Explication de texte, extrait de Histoire d'un voyage en terre de Brésil, de Jean de Léry: Début du chapitre IV : "Pour retourner à notre navigation... plustot qu'ils ne feront en l'eau douce."
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
L’Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, de Jean de Léry est à lire comme “ inventaire et aventure” [1]. Le narrateur décrit ce qu’il découvre pendant son voyage et narre ce qu’il a vécu comme péripéties. Cette double composition de l’œuvre est très perceptible dans les chapitres III & IV. Dans le chapitre III, il se livre à une description minutieuse, sur le mode de l’inventaire, des toutes les espèces marines observées lors de la traversée de l’aller. Le chapitre IV, inauguré par le passage que nous étudierons ici, consacre un retour à la narration du voyage et contient la relation des différentes épreuves que traverseront Léry et ses compagnons.
Nous remarquerons que ces épreuves, sous la plume de l’auteur, orientent le récit vers la mise en place d’un parcours initiatique qui transfigurera le narrateur et en fera le détenteur du Savoir fondé sur l’expérience vécue !
Dans cette perspective, le passage progresserait en deux mouvements :
- Du début du passage jusqu’à la ligne 34 : “ …fust muée en eau douce. ”, où il sera question des épreuves d’initiation.
«
ces événements.
La série noire continue avec une autre variété de feu que représente la chaleur accablante dusoleil, qui va générer une autre plaie : la soif ! Cette troisième épreuve est aussi représentée sur le mode del'hyperbole et ce par le moyen d'un lexique emphatique : “ le soleil y est si ardent ”, “ les véhémentes chaleurs”…Cette traversée se transforme ainsi à proximité de “ la ligne Equinoctiale ” en véritable traversée du désertpropice à des fantasmes comme celui des mariniers qui “ souhaitent… que l'eau de mer fust muée en eau douce ” ,propice aussi à la mise en scène de cette expérience des limites de l'humain vécue par Léry comme une perte de laparole à cause d'une trop grande soif.Remarquons, avant d'aborder les suites de cette expérience, que le passage d'une épreuve à une autre se fait selonune logique de la surenchère comme peuvent en témoigner les mots-liens qui ouvrent la première et la deuxièmephrase dudeuxième paragraphe : “ Au surplus ”, “ Davantage ”.
Cette surenchère est caractéristique d'uneévolution, un cheminement, voire un processus !Quant à la perte de la parole qui constitue l'acmé de ces épreuves, elle ne durera pas très longtemps et ne signifieraen aucun cas la fin du récit qui continue avec une allusion mythologique unique dans ce passage : le supplice deTantale.
L'évocation de ce mythe à cet endroit précis, juste après l'expérience du silence, nous semble trèssignificative : ici semble s'être opérée une métamorphose, celle du voyageur qui meurt à une forme de langageprofane pour renaître à une autre forme, celle du langage de la connaissance.
Les épreuves n'ont ainsi servi qu'àpréparer cette métamorphose à la manière d'une sorte de parcours initiatique d'où le narrateur sort maître de laConnaissance.Celle-ci se manifeste d'abord à travers l'usage du mythe que l'on peut ranger du côté de l'érudition et du savoirlivresque.
Mais cette pointe d'érudition se retrouve rapidement évacuée pour ouvrir le champ à une autre forme deconnaissance, un savoir d'une autre envergure, un savoir exclusif et spécifique à Léry en sa qualité de voyageur etde marin, un savoir empirique acquis à travers le périlleux processus d'expérimentation !Détenteur de ce savoir, Léry devient une autorité ayant le pouvoir d'enseigner, preuves matérielles à l'appui.
Aussi “respond ”-il à la question que se posent les marins sur la possibilité de boire, en cas de pénurie d'eau douce, del'eau de mer, et sa réponse prend la forme d'une phrase aussi longue qu'alambiquée qui témoigne d'une grandemaîtrise de l'écriture.
Une sorte de double prouesse, le tour de force de l'écrivain et l'exploit du scientifique parexpérience.
Il s'agit en fait d'y démontrer que l'eau de mer ne peut pas être potable quelles que soient lestentatives des marins pour l'adoucir.
Il a ainsi recours à la négation de toutes les propositions supposées des autres,considérées juste comme des allégations et non des certitudes.
Le premier argument qu'il utilise, concernant lemanque de stabilité des navires pour de telles opérations alchimiques, est présenté comme une simple parenthèse “…(joint que les branlemens et tourmentes…ny pour garder les bouteilles de casser)… ”, tandis que l'expérience, elle,est donnée comme l'argument majeur doté qu'il est d'une grande force de persuasion que lui confère la brutalité del'image des “ trippes et boyaux ” qu'on “ jette ” après avoir ingéré cette eau salée, malgré sa ressemblanceapparente avec l'eau douce.
En réalité, le véritable débat pour Léry, ici, n'est pas de savoir si cette eau peut êtrebue ou non, l'enjeu réside plutôt dans la concordance ou non entre l'apparence et l'essence des choses, montantd'un cran dans le maniement du savoir empirique, Léry arrive ainsi à démontrer, expérience à l'appui , que pureté etclarté ne coïncident pas nécessairement avec utilité.
Elargissant davantage le débat sur l'apparence et l'essence, ilcontinue en exposant une vérité, plutôt inouïe mais que l'expérimentation permet facilement d'établir : il est questiondu poisson que l'on peut dessaler au contact de cette eau pourtant salée !Il arrive donc à prouver le contraire de ce à quoi pourrait aboutir un profane en la matière.
Or, ici les profanes setrouvent être les “ philosophes ”, ce qui consacre définitivement la supériorité du savoir empirique sur le savoirthéorique ! Léry, à la fin de son parcours initiatique transforme son savoir en force et en supériorité qui luipermettent de lancer un défi à ces “ philosophes ” : “ …je laisse à disputer aux philosophes ” avec toute la chargede dédain pour la science théorique que l'on peut lire dans cet emploi du verbe “ laisser ”.L'expérience est donc l'origine de la connaissance de l'auteur de l'Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil,mais elle est aussi le moyen de vérifier et donc de consolider cette connaissance.
De plus, elle constitue l'armepolémique dont il se sert pour battre en brèche la connaissance par ouï-dire, indirecte et donc faillible [3].Ce texte peut ainsi se lire comme une apologie du savoir empirique appréhendé par le corps et restitué par l'écriture.Mais il est plus que cela, il est aussi le lieu de l'établissement d'une vérité, celle du dépassement de l'apparence versl'essence des choses.
De même que l'eau de mer, Léry contrairement au dénigrement apparent qu'il voue auxphilosophes finit par s'ériger lui même en philosophe et dépasse même ce statut avec l'expérimentation corporelledes vérités.Ce parcours de métamorphose du voyageur /marin vers le savant qui enseigne des vérités à autrui se ressentégalement au niveau de la voix du narrateur.
En effet, nous assistons à l'intervention de plusieurs types de “ je ”, àdifférentes étapes du passage : la première apparition du “ je ” dans “ j'y ay veu ” est celle du narrateur témoin quirestitue une expérience vécue au sein d'une collectivité.
Ce “ je ” émerge donc à peine du “ nous ” qui désignel'ensemble des voyageurs sur le navire.
Le premier “ je ” qui assure l'individualité de Léry est celui qui intervient danscette phrase : “ …j'en ay perdu le parler… ” qui relate bien l'expérience individuelle.
La troisième occurrence du “ je”, quant à elle, démarque davantage la voix du narrateur qui devient celle du polémiste née du silence.
Le dernier “je ” dans la phrase : “ …je laisse disputer aux philosophes… ” fait de Léry la voix de l'autorité qui dispense le savoir,même aux philosophes, novices en cette matière où l'expérience vécue lui permet d'exceller !Ce passage est donc aussi le lieu d'une transfiguration de la voix narrative.Conclusion :Cet extrait constitue le compte rendu d'une partie de la traversée de l'aller sur la route du Brésil, un voyage jalonnéd'épreuves inscrites sous le signe du dramatique, de l'épique et de l'extraordinaire : la tempête, la pluie de soufre etla soif.
Ces épreuves sont à lire comme une expérience des limites pour Léry qui en sort métamorphosé : de simpletémoin rapportant des faits, il passe à une véritable référence scientifique, qui développe une conception nouvelledu savoir à son époque, un savoir qui ne se base plus sur l'ouï-dire et le livresque mais se fonde sur l'expériencedirecte, personnelle, corporelle..
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