Explication Colloque Sentimental (Paul Verlaine : Les fêtes galantes)
Publié le 12/02/2012
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Dernier poème du recueil Fêtes galantes. Après la fête, le retour au quotidien, triste, à une atmosphère nocturne et mélancolique. Comme dans les poèmes précédents, le parc où marchent ces deux personnages étranges semble être le reflet de leur état d'âme. Derrière ce colloque chargé d'amertume, apparaît une vision très sombre de la vie et surtout de l'amour.
I. Un parc état d'âme.
A. Un lieu clos en hiver.
" Le vieux parc " (accompagné de l'article défini " le ") fait référence à un lieu déjà connu, soit du lecteur, soit du narrateur, soit des personnages : le parc, c'est un lieu clos, - le lieu de la vie, la vie elle-même peut-être ou on ne sait quel Eden (paradis perdu), - jeunesse perdue, par exemple - ici en train de se détériorer avec le temps. Ainsi le parc est " vieux " : le ton est donné dès le premier vers. Trois adjectifs en effet encadrent le nom " parc ", un devant, deux autres derrière: " vieux parc solitaire et glacé ". C'est l'hiver qui ronge tout. Les promeneurs ont fui. Le parc est devenu solitaire : l'hypallage (figure de style qui consiste à transférer un adjectif d'un nom à un autre : ici, ce n'est pas le parc, qui est solitaire, ce sont les hommes qui le traversent ) laisse supposer qu'il n'est plus peuplé que de solitaires (même s'ils marchent par deux) : telles ces " formes " qui " ont tout à l'heure passé "...
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les "folles avoines ").
C.
La métaphore des états d'âme.
Ce décor-là précisément, abandonné aux avoines folles et à la nuit, n'est-il pas, avec sa solitude et ses glaces, l'image même,le reflet exact, de ce que représentent les deux personnages qui nous sont montrés dans le poème ? Parc personnifié afinqu'il devienne la métaphore de leur âme.
Après le temps de la fête donc (voir le titre du recueil), après le passé que l'ondevine enjoué, l' " extase ancienne ", rythmé par le " coeur " qui " bat " au " seul nom " de l'amant (et que l'on n'a même pasbesoin de voir tant il est cher à l'autre), après tous "les beaux jours de bonheur indicible ", c'est le temps amer de ladésillusion qui commence, le temps du désenchantement.
Tout n'aura-t-il donc été qu'un rêve (" toujours vois-tu mon âmeen rêve ? " ; l'amour ne serait-il qu'illusion et la vie elle-même ne serait-elle qu'un songe ?) ou qu'apparence ? Ce monde desapparences, les mots " formes ", puis " spectres " ne sont-ils pas porteurs d'indices indiscutables de son existence ? Si toutn'est qu'illusion - l'amour, la vie même, - n'y aurait-il de réel que l'oubli, l'indifférence, la nuit où tout baigne à présent ? II.
La nostalgie du passé et des amours perdues.
A.
Temps perdu.
Le temps passe en effet (" passé " est répété deux fois en cinq décasyllabes).
Comment faire, comment s'y prendre, pour lerattraper ou le retenir ? Le premier distique impose déjà le ton nostalgique irrémédiable : " ont passé ".
Le choix du passécomposé, passé défini (qui signifie ici que l'action est terminée), indique le caractère inexorable des choses.
Trop tard.
Les"formes ont tout à l'heure passé ".
Écho repris, encore amplifié, au dernier vers, où le verbe " entendit", au passé simple,renvoie tout cela dans un passé irrémédiablement achevé, révolu.
Le présent ne sert qu'à dépeindre ce que sont devenues"les formes" entr'aperçues dans le flou de la nuit envahissante : "leurs veux sont morts " - comme si plus rien en eux, nullevie, nul sentiment, ne pouvaient s'y refléter; le qualificatif " morts ", même si l'adjectif ici a valeur métaphorique, n'enintroduit pas moins une note morbide (que le mot " spectres " va confirmer bientôt)...
Quant à " leurs lèvres ", elles " sontmolles ", adjectif un peu bizarre qui semble davantage traduire un sens figuré - une grande lassitude, par exemple - qu'unsens propre : métamorphose en tout cas d'un couple (d'amants ?) que le temps a transformé; " yeux " et " lèvres " qui à euxdeux évoquent les deux formes (opposées ou complémentaires) de l'amour, l'amour idéalisé avec les yeux (et plus tard dansle poème, avec le " coeur" et l' " âme "), avec les lèvres (plus loin les " bouches ") l'amour charnel.
B.
Amour passé.
Le dialogue qui suit (ou plutôt, pour reprendre le mot choisi - ironiquement - par le poète: le " colloque ") va d'ailleursconfirmer qu'il s'agit bien d'amour.
Mais d'amour passé: " passé " revient en effet deux fois, puis "ancienne ", puis le verbesouvenir, puis l'adverbe "toujours " lui aussi répété deux fois, et encore l'exclamatif " ah " qui précède l'évocation des "beauxjours " : tout, y compris l'emploi des temps des verbes conjugués, renvoie donc le bonheur dans les oubliettes de la mémoire.
C.
Souvenir et oubli.
Les " deux spectres " parlent donc d'amour.
"À peine " pourtant si on les entend : il faut prêter l'oreille tant ils chuchotentfaiblement.
Le narrateur indiscret prête donc l'oreille pour retranscrire leurs propos.
Mais qui parle là ? S'agit-il d'un hommeet d'une femme ? Et dans ce cas qui est l'homme, qui est la femme ? Mais à vrai dire tout cela n'a pas vraiment d'importance.Ce qui compte c'est le vide qui s'est ouvert entre eux et que rend sensible l'alternance de questions et de réponses quitraduisent les graves divergences entre les protagonistes.
L'un, le questionneur, est encore plein de nostalgie: "Te souvient-ilde notre extase ancienne? " semble évoquer un passé heureux ; le mot " extase ", très fort, rend compte aussi bien d'amourphysique que de sentiments.
La réponse, au contraire, montre une mésentente absolue.
Au souvenir de l'un en effet répondl'oubli complet de l'autre : "Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ? " À la question, succède une autre question ;au " tu ", un " vous " ; à la mémoire, l'oubli, et qui plus est, l'absence même de regrets d'avoir oublié...
Histoire anciennerangée au magasin des souvenirs perdus et tout cela sur le ton de l'aimable chansonnette, avec en écho, les tournuressyntaxiques impersonnelles archaïsantes (" qu'il m'en souvienne " insiste aussi sur le caractère involontaire de la mémoire etdonc de l'oubli) et musicales, qui renvoient le tout en un passé plus lointain encore...
D.
L'impossible permanence.
Les réponses aux questions de plus en plus pressantes (" Ton coeur bat-il toujours ? " ; " Toujours vois-tu ? ") qui insistentdésespérément (avec la reprise en chiasme de l'adverbe "toujours " ici dérisoire car " toujours " n'a plus aucun sens pourl'autre) sur une impossible permanence des choses et des sentiments, sont de plus en plus sèches: " non ", - ou consternantes: " c'est possible ".
Oubli, indifférence.
Au lyrisme romantique du poseur de questions : " Qu'il était bleu, le ciel, et grand,l'espoir ! " avec son rythme très marqué qui traduit l'enthousiasme, répond un autre vers où tout est fuite, obscurité, défaite:.
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