Eugène Ionesco: l'indignation de l'absurde
Publié le 21/11/2011
Extrait du document

Eugène Ionesco vient de publier Voyages chez les morts qui semble comme une suite du Roi se meurt et, tout à la fois, le début d'une nouvelle période de son oeuvre. Cet auteur d'origine roumaine par son père et d'origine française par sa mère, né en novembre 1912 à Slatina en Roumanie, a passé ses premières années en France, à Paris et en Mayenne. Il y a pour lui le terrible déchirement de la mésentente de ses parents. Il en sera marqué pour la vie. Il a voulu être acteur, mais son père désire qu'il soit professeur. Revenu en Roumanie en 1925, il est étudiant de français à l'université de Bucarest.

«
d'écrire une pièce sur l'insolite de la banalité : ce fut la Cantatrice Chauve intitulée d'abord L'An
glais sans peine (C'est l'erreur du capitaine des
pompiers dans la pièce prononçant une cantatrice
chauve au lieu d'une institutrice blonde et provo
quant l'hilarité qui détermina
le choix de ce titre
inattendu).
La critique a voulu voir trois périodes chez
Ionesco dramaturge .
Il y en aura même une qua
trième.
La première est celle des pièces courtes, en un acte, pour un public peu nombreux, avec des
personnages rudimentaires, dont le langage décalé par rapport à la pensée laisse éclater l'absurde et la
tristesse de notre condition dans un monde
ennemi.
Par là les œuvres de cette période qui va
de 1948 à 1951 sont grossissantes et parodiques.
Tels sont la Cantatrice chauve, Jacques ou la sou
mission, l'Avenir est dans les œufs.
On a su parler d'antipièce à propos de la Canta
trice chauve, nous tournons en rond comme chez
Beckett; on n'agit pas, on ne progresse pas.
Rai
sonnement et unité sont absents.
Le mécanisme du
théâtre
« fonctionne >> à vide.
Les acteurs sont
interchangeables dans cet échange de propos stu
pides
sur le quotidien.
'' La pièce, écrit Ionesco,
recommence avec les Martin, qui disent exacte
ment
les répliques des Smith dans la première
scène >>.
Et en notant que tout finit comme tout a
commencé, Ionesco nous avertit de son attaque
contre
« une sorte de petite bourgeoisie, le petit
bourgeois étant l'homme des idées neuves, des slo
gans,
le conformiste de partout ''·
Plus loufoque est la Leçon du drame comique
dirigé contre le langage, instrument de l'autorité.
Nous voyons une charmante jeune élève se présen
ter chez un vieux célibataire pour y préparer un
doctorat total.
Le professeur est troublé par cette
attrayante apparition si fraîche, si gaie.
Quelle
douceur
il apporte à ses propos ! Mais la leçon
débute par l'arithmétique : l'élève sait faire les additions, mais ignore les soustractions.
D'où l'énervement du maître.
Sera-t-on plus heureux
avec la philologie ? Hélas les considérations
pédantes sur de soi-disant parlers néo-espagnols
mettent
le professeur dans un état d'agressivité
dominatrice et enlèvent à la pauvre victime en
proie à une rage de dents toute son animation.
Pour finir
le maître, de plus en plus excité, l'abat
d'un couteau que nous ne voyons pas.
La bonne
tire la morale de la leçon :
« L'arithmétique mène
à la philologie et la philologie mène au crime "• ce qui ne l'empêche pas de faire entrer la quarante et
unième élève avant que la journée ne soit finie.
Que faut-il penser de Jacques
et la soumission de 1950? Cette« comédie naturaliste »est intérieure.
Jacques a montré jusqu'ici une certaine indépen
dance,
un certain individualisme.
Or ses parents
veulent le contraindre à leur conformisme, dont le signe de ralliement familial est « J'adore les pommes de terre au lard » Ils obtiennent en cela
un succès, et un autre en le mariant avec Roberte,
insuffisamment laide à ses yeux ravis par son triple nez.
Ionesco s'en prend à notre monde
où règne la
matière, c'est elle que représentent le père et la
mère, c'est-à-dire la famille bourgeoise, victo
rieuse de l'individualiste.
La pièce se continue dans l'Avenir est dans les
œufs de 1951.
Jacques et Roberte nous apparais
sent de nouveau.
Mariés depuis trois ans, ils n'ont pas d'enfants.
Or il faut se perpétuer.
D'où la for
mule « tu t'es marié, j'en suis fort aise; il faut cou
ver maintenant ' ».
Jacques obéit : sa femme pond
des œufs et il les couve pour qu'ils deviennent des
policiers, des athlètes, des soldats, des idéalistes ou
des anarchistes,
ou des nihilistes, ou des pessi
mistes et par surcroît des omelettes.
Notons les deux acclamations finales : « Vive la 'reproduc
tion ! vive la race blanche "·
Il y a déjà une prise de position devant la vie et
la condition de l'homme.
Elle va être précisée dans
les pièces de la seconde période de 1951 à 1954.
Elles s'intitulent les Chaises, Victimes du devoir et
Amédée.
Le public est plus nombreux, on fait
appel aux machines, une action ou un semblant
d'action apparaît.
Paul Surer parle de " style
expressionniste ».
Les personnages s'animent, sont plus incarnés, ils peuvent davantage.
La pre
mière de ces pièces, les Chaises, baigne dans une
atmosphère beckellienne.
Cette farce tragique nous présente en effet des
vieillards qui
n'ont jamais connu la chance dans la
vie et qui vivent dans une tour aussi ruinée que
leurs personnes et qu'entourent les eaux sur une île
déserte.
Eux aussi attendent de nombreuses visites .
Le vieux a un message qui doit sauver les
hommes et par un Orateur il en fera part à ses visi
teurs.
Ceux-ci, invisibles, vont arriver en nombre.
Les vieillards les accueillent avec affabilité.
On voit les chaises s'ajouter les unes aux autres.
L'Orateur lui-même se montre.
Il paraît très sûr de
lui .
Les vieillards, comptant sur lui, pensent qu'ils
ne sont plus nécessaires et se jettent dans la mer en
s'écriant
" Nous aurons notre rue "· Hélas l'Ora teur n'ouvre la bouche que pour émettre des sons
inarticulés et disparaître.
On entend l'eau puis le silence règne parmi les chaises.
Telle est la pièce.
Ionesco s'est chargé lui-même
de nous en expliquer
le sens : « Le thème, déclare
t-il n'est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le désastre moral des vieux, mais bien les chaises,
c'est-à-dire l'absence de personnes, l'absence de
Dieu, l'absence de matière, l'irréalité
du monde, le vide métaphysique, le thème de la vie, c'est le rien» .
C'est ce vide que poursuit Ionesco dans Vic times du devoir.
Il en a fait une parodie d'un drame
policier, d'un faux drame où la psychanalyse inter
vient : Ionesco nous rappelle du reste que " Toutes les pièces qui ont été écrites depuis l'An
tiquité jusqu'à nos jours n'ont jamais été que poli
cières ...
, Et d'ajouter : « Toute pièce est une
enquête menée à bonne fin.
Il y a une énigme, qui
nous est révélée à la dernière scène
».
Pourtant ici.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- CANTATRICE CHAUVE (la) d'Eugène Ionesco
- CANTATRICE CHAUVE (La) Eugène Ionesco. Anti-pièce en un acte
- Fiche de lecture : RHINOCÉROS d'Eugène Ionesco
- CHAISES (Les) Eugène Ionesco
- Fiche de lecture : ROI SE MEURT (Le) d'Eugène Ionesco