Étudiez les marques de la présence de l'auteur dans « De la cour » et « Des grands »
Publié le 14/08/2014
Extrait du document
On imagine souvent qu'un traité de morale doit être « objectif «. Pourtant aucun écrit n'échappe aux marques d'énonciation, et même le on peut recouvrir toutes sortes de référents. C'est très net chez La Bruyère : dans DC, 41 (« on n'est point effronté par choix mais par complexion «), le on désigne l'homme en général, tandis que dans DC, 42 (« on cherche, on s'empresse, on brigue, on se tourmente «), le on désigne clairement le courtisan. Le jeu sur le on fait partie des procédés du traité de morale. Mais, en outre, La Bruyère a l'habi¬tude de manifester directement sa présence dans l'écriture par l'emploi du je, les manifesta¬tions de cette présence correspondant à divers rôles.
«
Le souci du style
La Bruyère se pose aussi en écrivain soucieux d'exactitude.
Dans DC, 84, «que dis-je? » et « ajouterai-je? » lui permettent de surenchérir dans la peinture de la fatuité.
Il manifeste
certaines précautions dans l'analyse:
«je crois pouvoir dire [ ...
] » (DC, 33).
Dans DC, 87,
il atténue le ton du moraliste par une modalisation de la phrase : «il me semble que ...
».
Les variations et les corrections
Il peut exposer une même réflexion en faisant varier l'expression.
Dans DG, 45, il pro
pose d'abord une métaphore, puis se reprend:
«je dirai plus simplement et sans figure»,
montrant ainsi la nécessité, pour le discours moral, d'être parfois exposé sans détours.
Dans DC, 10 et DC, 19, au moyen de l'expression« je veux dire», il feint de se
corriger pour effectuer
un glissement de sens qui transforme la première expression, neutre,
en une remarque spirituelle et chargée de sous-entendus.
Ill.
La Bruyère moraliste
L'observateur
La Bruyère se pose en observateur qui enquête: «Je vois un homme[ ...
] J'en vois un
autre[ ...
] J'en découvre un[ ...
] Je veux un homme[ ...
]» (DC, 31), où le dernier verbe
montre qu'il s'agit d'une quête morale et non d'une rencontre réelle.
La Bruyère apparaît
comme un observateur silencieux,
un témoin caché:« Il n'y a rien qui enlaidisse certains cour
tisans comme la présence du prince : à peine les puis-je reconnaître» (DC, 13).
Même chose
dans DC,
39: «L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y en vois si peu, que je commence
à soupçonner[ ...
] ».La lucidité du moraliste dépasse celle des homme de cour qu'il côtoie.
Le juge
Témoin, La Bruyère cherche à corriger les hommes.
Il donne des leçons paradoxales
aux courtisans devenus maladroits par excès d'ambition (DC, 43).
Ce rôle de
juge des
hommes va très loin puisque, dans DG, 2, La Bruyère dit
«je vous plains » et« souffrez
que
je vous méprise », à un grand que les contemporains ont identifié avec le duc de Bourbon,
ancien élève de La Bruyère.
Ces paroles seraient impossibles sans le masque du moraliste.
IV.
Le jeu avec le vous
Le faux vous
Il faut d'abord distinguer les vrais vous du vous en position de complément, qui est la
forme du
on quand il n'est pas sujet: tel est le cas dans DC, 30.
Un interlocuteur polymorphe
Quand La Bruyère convoque un interlocuteur, ce n'est presque jamais seulement
le lecteur destinataire de I' œuvre.
Le
vous a en fait la même extension que le je : il peut être
courtisan, lecteur, ou homme objet
du discours moral.
C'est quelquefois le courtisan, comme
dans DC, 78, où
le moraliste engage avec l'un d'eux un dialogue désabusé.
C'est surtout le
pécheur qui a besoin d'entendre un discours moral.
Dans DC,
50, La Bruyère invite d'abord
ce
vous au spectacle d'un homme heureux.
Mais bientôt il lui montre que ce bonheur est une
illusion.
Il se pose aussi en accoucheur des âmes, qu'il invite à se connaître mieux.
(DG, 8,
39).
C'est à la lucidité que La Bruyère convie son interlocuteur.
Dans DG, 36 le tutoiement
manifeste !'autorité du moraliste
et!' égalité que crée le discours moral entre les conditions..
»
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