Devoir de Philosophie

Étudier le sonnet de du Bellay : Heureux qui comme Ulysse...

Publié le 09/02/2012

Extrait du document

bellay

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquist la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage!
Quand revoiray-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup d'i:wantage?
Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ageux,
Que des palais romains le front audacieux;
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine;
Plus mon Loyre gaulois que le Tybre latin,
Plus mon petit Lyré que le mont Palatin;
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Du Bellay avait une prédilection marquée pour le sonnet: «Sonne-moi, écrit-il dans la « Deffence et Illustration «, ces beaux sonnets, aussi docte que plaisante invention italienne ... « En cela, il participe à l'esprit de la Renaissance : pour pindariser, Ronsard compose des odes; pour pétrarquiser, du Bellay rime des sonnets ... Eût-il témoigné à ce genre une si haute estime, s'il avait su que cette « plaisante invention « avait germé dans le cerveau de nos vieux troubadours, et que l'Italie n'avait fait que les imiter? ... On peut en douter, et supposer qu'il eût relégué le sonnet parmi les « espisseries « bonnes tout au plus pour les Jeux Floraux de Thoulouse et le Puy de Rouën. Et c'eût été grand dommage, car notre littérature ne posséderait pas le petit chef-d'oeuvre que nous allons analyser....


bellay

« CoRPS DE L'EXPLICATION.

- 1'• PARTIE.

- Le 1" quatrain est une ré~ flexion générale sur le plaisir de voyager et la jo~e de ,retrouver _ensuite les siens.

Le mot heureux commande tout le quatram : c est un en du cœur.

La comparài~on avec U~ysse et Jaso_n (cest~y-là ...

) révèle, le poète.

de l~ Pléiade, faret de souvemrs mythologiques.

Nr le voyage d Ulys~e_, ~u.

celw de Jason ne furent littéralement beaux.

Qu'on se rappelle les perrpehes du siège de Troie auxquelles Ulysse fut mêlé, les dix ans pendant lesquels il erra avant de regagner son île d'Ithaque, enfin les difficultés d'un autre ordre qu'il rencontra au retour; qu'on se remémore les épreuves fantas­ tiques imposées à Jason pour la conquête de la «Toison d'O~ », o_utrt; sa longue navigation avec les Argonautes : dompter des taureaux qm vom1ssa1ent des flammes; se servir d'eux pour labourer un champ et le semer ensuite de dents de dragon, etc ...

L'épithète peut toutefois se justifier.

Après un voyage pénible, on oublie les mésaventures, les fatigues; revenu au foyer, on savoure le plaisir du danger surmonté et celui de conter ses exploits.

Le pronom cestuy a disparu de la langue (dérivé de ecce istum), nous n'avons gardé que « celui » (de ecce illum).

Et puis est une transition fami­ lière, en harmonie avec le ton général du morceau.

Plein d'usage et raison.

Le xvr• siècle offre des acceptions aujourd'hui disparues.

Usage équivaut ici à expérience.

(Ce mot s'emploie encore cependant avec ce sens dans certaines expressions.

Exemple : l'usage du monde).

Notre grammaire moderne, régulière à l'excès, exigerait ici, d'usage et de raison.

La raison dont parle le poète, c'est la raison pratique, le jugement.

Tel est bien, en effet, le profit moral qu'on retire des voyages : « Il est bon de voyager quelquefois, a dit Sainte-Beuve, cela étend les idées et rabat l'amour-propre.

» - Entre ses parents: parmi=au milieu de (inter).

Les parents: acception primitive= êtres qui ont donné le jour (paria) et sens étendu : tous ceux qui nous sont unis par le lien du san!f.

Au temps du poète, les parents étaient plus nom­ breux qu'aujourd'hui dans la localité d'où une famille tirait son origine; on n'allait pas chercher fortune au loin, et l'on contractait des alliances sur place.

De là le puissant attrait du pays natal.

Ce mot parents laisse mélanco­ lique, si l'on songe que du Bellay fut orphelin de bonne heure et élevé sous Ia dure tutelle d'un frère aîné.

- Ange, alors féminin, est synonyme de vie ~aetas); on ne connaît pas encore l'accent circonflexe au xvr• siècle.

2• quatrain.

- Après des considérations générales, l'auteur fait un retour sur sa propre situation; l'accent devient plus personnel.

Revoiray-je est la forme régulière, mais désuète, du futur de revoir; on le rencontre encore au xvm• siècle.

- Hélas! ...

Au lieu d'exprimer la joie causée par cette perspective du retour, le poète gémit.

C'est que, malade, il craint de ne jamais revoir son petit village.

Petit, est déjà, implicitement, opposé à la grande Rome, dans l'esprit de du Bellay.

Le premier vers se prolonge à l'aide d'un heureux enjambement.

La cheminée : un singulier pour un pluriel, la rhétorique appelle cette figure une synecdoque.

Et en quelle saison.

« Et en » constitue un hiatus doux comme on en trouve chez Marot et chez les poètes deo la Renaissance, et que Malherbe eut peut-être fort' de bannir aussi impitoyablement.

Saison ne saurait être pris au sens littéral.

En quel temps? Quand donc? traduiraient exactement cet hémis­ tiche.

Le clos de ma pauvre maison.

Voilà en trois mots un tableau réaliste : une maisonnette et ses dépendances -- cour, jardin, vigne -, entourées de pierres sèches ou de haies vives.

Nous sommes déjà transportés en Anjou.

Qui se rapporte-t-il logiquement à clos ou à maison? Vraisemblablement à clos, qui semble le mot important du vers et s'oppose à province, à unè surface, à une étendue.

La règle est d'opposer le même au même.

Ce clos lui est une province et beaucoup davantage.

En vrai poète, l'auteur nous laisse deviner pourquoi.

C'est là que ses parents ont vécu, là qu'enfant il prenait ses ébats; tout y parle à son cœur, tandis qu'une province et le monde entier sont pour lui un désert moral.

2• PARTIE.

- La comparaison entre Rome et l'Anjou, jusque-là implicite, va se développer maintenant en détails précis.

Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux.

Au xvr• siècle, quand lao phrase commence par un adverbe, ou un membre de phrase, le sujet suit régulièrement le verbe.

Le séjour, mot poétique au lieu du terme prosaïque : maison, habitation, doit être pris au sens matériel; il justifie ainsi le verbe basty.

Il a une certaine distinction.

Mes ayeux : ici, du Bellay touche au sentiment le plus fort qui nous ramène au foyer.

Là réside l'âme des. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles