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Eschyle, le dépassement du divin (Choéphores Euménides)

Publié le 10/03/2012

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eschyle

 I-               Eschyle ou le dépassement du divin

 

1-     La justice de Zeus : « Souffre selon ton acte « :

 

A la page 24[1] des Choéphores, le coryphée, situant le besoin de justice éprouvé par Oreste sous l'égide de Zeus, rappelle les grands principes d'une justice qui ne trouvait sa réalisation qu'au sein de la volonté divine. Ces principes sont résumés dans les vers 309-313, par le biais de structures parallèles qui suggèrent l'égalité qui fonde le talion. Une incise conclusive termine ces vers sous la forme d'une sentence « trois fois vieille « qui peut être attribuée au roi des dieux de l'Olympe : « souffre selon ton acte «. Le rapport étroit (équivalence) entre l'offense et le châtiment y est clairement exprimé. Clytemnestre, ayant commis un assassinat, doit ainsi payer la mort d'Agamemnon de sa propre mort. C'est en tout cas ce que suppose le coryphée qui considère cette issue comme conforme à « la voie où s'engage le Droit «, c'est-à-dire à la loi de Zeus. La vengeance qui se prépare, et qui aboutira au matricide et à l'assassinat d'Egisthe, trouve ainsi sa pleine légitimité dans la caution apportée par la volonté divine.

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« Une fois la vengeance accomplie, Oreste adresse aux citoyens d'Argos un discours où il procède à la légitimation deson acte.

Il s'agirait, en effet, d'un acte de justice : - oui j'ai tué ma mère, non sans justice- - l'oracle de Pythô- m'assura que j'agirais sans être coupable de crime- (Chph, v.1027-1031) Or, malgré l'assentiment du peuple,représenté par le choeur des captives et le coryphée (Tu as bien agi- cesse de t'accabler- v.1045 et suivants),Oreste surprend les présents par son intention de s'exiler loin de sa patrie.

A l'évocation des « chiennes furieuses de[sa] mère », le coryphée tente de le persuader de son bon droit et explique ses visions par « le trouble de sespensées » face au « sang frais encore sur [ses] mains ».

Mais le coryphée est contraint de reconnaître là « latroisième tempête » qui s'abat sur le palais des Atrides, après les « malheurs de Thyeste » et l'assassinatd'Agamemnon[2].

Qualifier les évènements de la fin des Choéphores de « tempête » annonce une suitemouvementée de l'histoire et relègue le dénouement de la pièce au rang de péripétie.

Ainsi, le modèle de justice,préconisé par les dieux, semble présenter quelque imperfection puisque le consensus n'est pas obtenu et quecertaines entités divines (les Erinyes de la mère) réclament vengeance contre Oreste en dépit de la promessed'impunité reçue de l'oracle de Zeus.

La justice divine se heurte ainsi à un constat d'échec devant l'absence deconsensus entre les différentes générations de dieux.3- Le tribunal : institution humaine, justice imparfaite mais gain en discernement Purifié de son crime dans letemple d'Apollon et devenu désormais « suppliant »[3], Oreste se dirige vers Athènes où il doit soumettre son cas àAthéna sur l'Acropole.

Son séjour chez des « mortels » au cours de son voyage a contribué, pour sa part, àl'atténuation de sa souillure.

Il se présente ainsi aux pieds de la déesse.

Celle-ci se présente d'emblée comme unjuge ayant le souci de l'équité :Athéna : Vous êtes deux mais je n'entends qu'une moitié.

(Eumd, v.428, voir aussi v.430) Suite au dialogue entre les Erinyes et Athéna, celle-ci finit par être investie de la charge de juger cetteaffaire.

Ecoutant Oreste à son tour, elle en conclue que le cas est « trop grave », puisque le « suppliant » semblerespectable d'une part et la colère des Erinyes difficile à contenir d'autre part.

Elle décide alors de désigner desjuges choisis parmi les « meilleurs citoyens » d'Athènes qui devront alors prêter « serment » pour rendre la justice etqui inaugureront ainsi sa nouvelle « loi instituée à tout jamais »[4].

Le tribunal de l'Aréopage venait d'être institué.Cette nouvelle justice ne se contente plus des anciennes sentences[5] (caractère mécanique du talion) et proposeune véritable investigation, promettant ainsi un gain substantiel en matière de précision et de discernement : Athéna : Pour vous, convoquez vos indices et vos témoignages- (Eumd, v.485) Indices, témoignages, la justice ne semble plus se contenter d'une exécution automatique des vieuxprincipes divins.

Même Apollon y assistera en tant que témoin, partie prenante (accusé !) et avocat d'Oreste (Eumd.v.576-580).

Les oracles divins, eux-mêmes, seront soumis à l'enquête pour que la validité en soit vérifiée.

Il ne fautpas perdre de vue que les juges qui finiront par trancher sont humains.

Humains, de nombreux arguments, présentéspar la défense divine d'Oreste, le sont aussi.

Certains sont politiques (l'alliance entre Argos et Athènes), voiresubjectifs (la primauté du sang du père)[6].

La volonté de Zeus, argument parmi les autres, ne semble plussuffisante pour trancher l'issue du procès.

Cette forme de justice devient celles des hommes, de leurspréoccupations, de leurs passions.

Les dieux y sont des « acteurs » comme les autres, même sur le plandramaturgique où, contrairement aux Choéphores[7], ils sont devenus personnages de l'intrigue, évoluant parmi leshommes et contraints de faire preuve de rhétorique pour persuader.

Cela est valable aussi bien pour Apollon etAthéna que pour les Erinyes qui joueront même le rôle, ô combien humain, de mauvaises perdantes à l'issue duprocès.

Au cours de ce dernier, les imperfections seront non seulement humaines mais aussi, et surtout, divines :Apollon et Athéna font montre de partialité et influencent l'issue du jugement, ils usent aussi d'arguments sophistes(Le sang du père plus important que celui de la mère, Athéna qui n'a pas connu de mère se range du côté du père) ;quant aux Erinyes, plus passionnées que rationnelles, elles discuteront cette issue.

4- Les Euménides : le nouveau rôle des dieux ou l'utopie d'Athènes Les juges n'ayant pu départager les parties àcause de l'équivalence des votes, Athéna fait pencher la balance en faveur d'Oreste en lui donnant sa voix[8].

Or,les Erinyes, qui avaient pourtant accepté que le tribunal juge cette affaire, protestent contre l'issue du procès, sesentant perdantes, et profèrent des menaces contre Athènes[9].Des promesses de compensation sont alors faites par Athéna : rétablir les équilibres : la vraie justice n'est pas cellede l'individu mais celle qui garantit le bien de la communauté.

Il s'agit, en fait, d'une véritable stratégie rhétorique depersuasion : promettre l'utopie sur un mode hyperbolique !Le rôle alloué aux Erinyes, devenues Euménides (bienveillantes) est toujours de veiller à la justice mais selon unenouvelle conception qui dépasse l'acharnement vindicatif.

Le concept de justice est travaillé par les fondements quereprésente une justice collective garantie par les équilibres sociaux.

Quand tout le monde est satisfait (Oreste, lesErinyes, les citoyens d'Athènes) le règne de la justice s'établit.

C'est ce qui est figuré par cette vision paradisiaquedans laquelle baignerait la cité sous l'égide des Euménides : Prospérité, Justice, Paix, Bonheur, Amour et Amitié,Fécondité, Dieux bienveillants et justes...Mohsine Ayoub, professeur agrégé de lettres, Maroc [1] Edition de référence : GF, traduction de Daniel Loayza, 2012.

[2] Chph, pp.57-58. »

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