ÉRASME. Influence d' — en France
Publié le 05/12/2018
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ÉRASME. Influence d' — en France. On pourrait mesurer à l’aune de l’accueil qu’elles réservent à Érasme le degré de liberté des grandes périodes de notre histoire intellectuelle. L’âge de la ferveur, qui s’achève avant même que ne meure le prince des humanistes, correspond à la première partie du règne de François Ier; celui de la méfiance et du tri, à la montée des guerres civiles et religieuses; celui de l’oubli, aux effets de la Contre-Réforme, tandis que l’avènement des Lumières entraîne une redécouverte militante; le xixe et le XXe siècle, par le truchement ambigu de l’érudition, relisent et, plus souvent qu’on ne l’aurait attendu, se passionnent.
Autour de 1520, Érasme exerce une autorité sans partage : « En ces années, il y a, chose inouïe, quelqu’un qui exerce sur l’Europe une véritable royauté intellectuelle. Le premier des souverains en esprit du monde moderne (le second se nommera Voltaire) » [Lucien Febvre]. Les souverains, pape compris, se le disputent. Ses écrits, gérés avec un sens aigu de leur exploitation commerciale, s’arrachent. Après un mois, il ne reste plus chez l’éditeur de l'Éloge de la folie que soixante exemplaires pour un tirage initial de mille huit cents, chiffre prodigieux pour l’époque. On dénombre plus de trois cents éditions du Nouveau Testament, des Adages ou de l' Éloge, plus de six cents des Colloques. Servi par le latin, qui lui ouvre toutes les frontières, Érasme aide à savoir, à croire et, peut-être, à douter.
«
tout
entre 1530 et 1550, mais marque lui aussi sa préfé
rence pour le pédagogue : il donnera quinze des trente
éditions que l'on compte à ce moment des Apophtegmes.
Ces titres viennent les premiers (qui s'en étonnera?) sous
la plume des lecteurs : «Qui m'eust faict veoir Erasme
autrefois, il eust esté malaisé que je n'eusse prins pour
adages et apophtegmes tout ce qu'il eust dict à son valet
et à son hostesse >> (Montaigne).
Puis vient le concile
de Trente, dont les effets se font aussitôt sentir.
Henri
Estienne avait, dès 1558, préfacé les Adages sur un ton
défensif; en 1570, le catholique Nicolas Chesneau, pré
venant le travail de Paul Manuce, les édite sous forme
expurgée.
Le tri est opéré : mis à part la Praeparatio ad mortem,
on a cessé en France entre 1530 et 1550, et pour long
temps, d'imprimer autre chose que les œuvres pédagogi
ques.
A quelques exceptions près, ce sont aussi les seules
que l'on traduise ouvertement.
Sans doute surprend-on
ici ou là chez Boaistuau, chez La Perrière ou dans le
Livre de police humaine des versions de fragments de
l' lnstitutio principis christiani, de l'adage Dulce bellum
inexpertis ou des pages philogamiques, mais les respon
sables se gardent bien de citer leur source.
Chez les
auteurs, 1' incompréheJ1sion, voire 1' hostilité, domine :
Tahureau reproche à Erasme ses attaques contre « ces
pauvres petits prestres »; Belleforest ne le trouve pas
«chaud catholique».
Seuls quelques modérés, comme
les auteurs de la Satyre Ménippée, cherchent à l'heure
des guerres de Religion à réactualiser quelques dévelop
pements pacifistes.
[Voir BIBLE, HUMANISME].
De l'oubli à la réhabilitation
Au xv11 • siècle, la cause paraît entendue.
A l'exception
de la traduction des Colloques par Chappuzeau (Entre
tiens familiers, 1662), on ne relève guère dans la pre
mière moitié que des Civilités.
Mais il faut compter avec
une survivance clandestine (dont le culte que Patin et
d'autres libertins érudits vouent au souvenir d'Érasme
est l'aveu), facilitée par le nombre d'exemplaires impri
més au siècle précédent et encore conservés dans les
bibliothèques.
La fin du siècle voit, surtout chez les protestants réfu
giés, un regain d'intérêt pour des textes moins anodins :
Claude Bosc donne, au début du xvm • siècle, une édition
du Manuel du soldat chrestien (1711) et du Mariage
chrétien (1714), ta n d is que La Bizardière rédige une Vie
(1721) de l'humaniste.
Mais les deux événements mar
quants sont constitués par 1' article intelligent, informé et
favorable de Pierre Bayle dans son Dictionnaire critique
(première édition en 1697), qui exercera une forte
influence sur les élites des décennies à venir; et par
l'édition des Opera omnia, que Jean Le Clerc -dont la
figure et l'activité ne sont pas sans évoquer celles
d'Érasme -procure à Leyde de 1703 à 1706.
Il est
significatif que l'on ait ressenti le besoin de redonner
tout Érasme dans les milieux mêmes qui se passionnent,
après Spinoza et Richard Simon, pour l'exégèse biblique.
On a voulu voir dans le travail de Le Clerc la naissance
d'« un âge d'objectivité» dans les études érasmiennes :
ce serait plutôt ce qui le rend enfin possible sans que la
sérénité de l'éditeur y soit pour quelque chose.
Car
rôdera encore tout au long du xvm• siècle et au xrx• la
méfiance des premiers censeurs : pour un Voltaire, qui
se borne à voir dans l'Éloge de la folie (dont la vogue,
quoique nourrie de plus d'un contresens, ne s'était pas
démentie) «un lieu commun assez insipide », combien
de « philosophes» dénonceront encore le « scepti
cisme » de l'humaniste de Rotterdam! Le rédacteur ano
nyme du très progressiste Dictionnaire de Pierre
Larousse le diffame sur un mode plus subtil : « Érasme
n'avait que des idées à sa table.
Il était ingénieux, subtil, clairvoyant,
mais incapable de considérer aucun sujet de
haut.
Il vulgarise facilement les idées d'autrui; lui-même
n'en a pas ».
Et si c'était cela, 1' « érasmisme » : non pas
l'absence d'idées mais «ce génie de la conciliation, cet
amour de la paix et de l'unanimité » (J.-C.
Margolin) qui
court le risque de déplaire aux enragés pour prévenir les
effets du fanatisme? On comprendrait pourquoi, active
et bâtie sur pierres vives, une sodalitas erasmiana, ins
truite de quelques expériences d,e notre temps, s'efforce
aujourd'hui à la renaissance d'Erasme et à sa diffusion
(grâce en particulier à la traduction) auprès de nos
contemporains.
BIBLIOGRAPH1E Il n'existe pas d'ouvrage en français consacré spécifiquement
à l'influence et à la réputation d'Érasme dans notre pays.
Mais il
est peu d'études vouées au grand humaniste qui n'envisagent, ne
fût-ce qu ·en passant, ces questions.
Pour les matériaux de pre
mière main, c'est-à-dire les éditions et les traductions anciennes,
on se reportera à la Bibliotheca Erasmiana de F.
Vander Heghen,
Gand, 1863 (et réimpression en 1961 ).
Plusieurs entreprises col
lectives de longue haleine sont en cours : l'édition critique des
Opera omnia (Amsterdam, North-Holland Publ.
Comp.), la tra
duction en anglais des œuvres complètes, y compris la corres
pondance (Univ.
of Toronto Press), la traduction en français de
la correspondance (Univ.
de Bruxelles).
où l'on trouvera tous
les renseignements bibliographiques nécessaires.
On se reportera
aussi aux Bibliographies érasmien!1es publiée-s avec régularité
par Jean-Claude Margolin dont l' Erasme par lui-même (Paris,
Le Seuil,.
»
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