ÉPITAPHE de Gérard de Nerval
Publié le 03/11/2015
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ÉPITAPHE Introduction : L’épitaphe est un genre hérité de l'antiquité grecque et romaine et qui consiste, en sa forme la plus élémentaire, en un bref rappel des mérites du mort, éloge funèbre chargé d'émouvoir le passant, ou dernier message du disparu à l'humanité, la brièveté étant la règle générale. Or, nous avons affaire ici à une épitaphe relativement longue puisqu'elle emprunte la forme d'un sonnet. Cet élément n'est pas négligeable puisque notre texte est manifestement promis à la sépulture d'un poète dont on peut raisonnablement penser qu'il s'agit de Gérard de Nerval lui-même. Il sera intéressant d'examiner d'abord le texte par rapport à sa fonction classique d'éloge funèbre en soulignant le caractère original et déconcertant. On le regardera ensuite comme le poème d'un artiste jetant ses derniers feux et soucieux d'émouvoir en teintant de mélancolie voire de pathétique son ultime adresse aux vivants. 1. Un éloge funèbre et déconcertant. On peut noter tout d'abord que le portrait ici constitué déroge quelque peu à la tradition de la louange des défunts. A) Le portrait d'un lunatique. Ainsi, le personnage qui apparaît dans la première strophe semble être parfaitement lunatique. Les deux « tantôt », placés à l'hémistiche du vers 1 et au début du vers 3 qui introduisent respectivement « gai » et « sombre » nous installent dans le mode de l'alternance sans nuance. Cette impression est renforcée par la démultiplication du premier « tantôt » en une nouvelle alternative : « tour à tour amoureux et insoucieux ».
«
Ce poète, qui n'est jamais à l'heure, même quand il s'agit de la dernière, semble
enfin prendre quelques libertés par rapport aux règles de son art : en effet, outre la
composition bizarre du sonnet ou le premier tercet reprend le thème du premier
quatrain, et le second tercet celui du deuxième quatrain, comme si le poème
recommençait au vers 8, on peut noter que les rimes de la seconde strophe sont
croisées au lieu d'être embrassées comme le veut la tradition.
D) Un bilan d'échec.
Cette épitaphe nous paraît donc s'écarter nettement du modèle courant, ne serait-
ce que dans la mesure où le défunt ne semble pas bénéficier du traitement de
faveur que l'usage réserve aux trépassés ; beaucoup d'indications en font un
étrange oiseau dont la vie ne nous est pas présentée comme un chef-d’œuvre mais
comme un échec, si l'on en croit le bilan u vers 11 : « Il voulait tout savoir mais il n'a
rien connu » .
Il nous faut cependant aller plus loin dans l'examen de ce texte pour y découvrir,
derrière le ton léger et le parfum d’auto-dérision, la présence d'un artiste délicat,
expert en harmonie et capable de nous émouvoir.
2.
L'affirmation d'une grande maîtrise.
Il est évident qu'en composant cette épitaphe, Gérard de Nerval n'a pas cédé à la
facilité : les rimes sont en majorité très riches puisque dix d'entre elles sur quatorze
ont en commun deux syllabes : ainsi en est-il de « sonnait » et « frissonnait » , d'
« attendre » et « s'étendre » .
A) Le travail de l'harmonie.
Cette riches harmonie se trouve accrue par de subtils effets d'assonances et de
rimes intérieures, parfois enrichies d'allitérations.
Le vers 2 est un exemple : le son
[ou] redoublé dans « tour à tour » est repris dans « amoureux » et « insoucieux » ,
tandis qu'à son tour le son [eu] revient en écho dans « insoucieux » et
« amoureux » , et qu'enfin « tendre » prolonge le [ t ] déjà entendu dans « tour à
tour » .
D'autres effets du même ordre mais moins frappants abondent : « gai » rime à
l'hémistiche du vers 1 avec « sansonnet » , « un jour » au vers 4 reprend « tour à
tour » à cinq vers de distance, « s'émouvoir » et « savoir » riment ensemble, tandis
que « moment » et « distant » se répondent à l'hémistiche des vers 12 et 14.
B) Une tristesse profonde et dominée.
Cette harmonie renforce un climat de tristesse contenue et dominée.
Il s'agit donc
bien ici d'un poème triste, où l'on découvre la rencontre avec la mort d'un solitaire
au grand cœur, d'un inadapté consentant.
Le retour, au premier tercet, du thème du
premier quatrain, avec la reprise de « il » par quatre fois, rend bien cette
impression de complainte (effet de ressassement) et tout concourt à constituer
cette atmosphère de mélancolie légère et grave bien illustrée par le bilan du vers
11, construit sur une forte opposition, où le poète semble quitter la vie les mains
vides.
L'émotion s'accroît encore lorsque le moment fatal est évoqué : l'absurde politesse
que nous avons notée en première lecture, et qui rend le poète si docile, ne doit
pas nous cacher le caractère discrètement dramatique et pathétique de la scène :.
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