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ENFANCE et JEUNESSE (littérature d'— et de —)

Publié le 06/12/2018

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ENFANCE et JEUNESSE (littérature d'— et de —)

 

L’expression « littérature d’enfance et de jeunesse » recouvre les œuvres écrites pour la jeunesse — ce qu’il est coutume d'appeler, non sans ambiguïté et avec une condescendance certaine, « littérature enfantine » — et des œuvres littéraires destinées aux adultes, que celles-ci aient été « confisquées » par les enfants et les jeunes à la recherche d’une matière à lire autre ou qu’elles aient été « récupérées » par les adultes pour les proposer à ce vaste public potentiel, éphémère mais sans cesse renouvelé, qu’est la jeunesse. La démarche de confiscation traduit une non-satisfaction des besoins des jeunes lecteurs; la démarche de récupération a des motivations commerciales affichées et, plus subtiles, des motivations de domination paternaliste à visée élitiste.

 

Littérature spécifique, littérature confisquée ou littérature récupérée, ces trois courants se retrouvent de façon permanente, mais avec des dosages divers selon le contexte de production des œuvres et d’accès à la lecture. En effet, l'histoire de la littérature d'enfance et de jeunesse est à l’image du statut de l’enfant dans la société.

 

L'adulte en miniature

 

D’abord adulte en miniature, l’enfant partage la vie des adultes, donc leurs lectures : c’est par la confiscation des romans de chevalerie, des légendes et récits historiques qu’il accède à la littérature de divertissement et à une lecture relativement autonome. Mais il faut aider cet enfant à s’intégrer pleinement à la société adulte; naît alors la littérature didactique spécifique à la jeunesse : les livres d’instruction enseignent les rudiments et un minimum de connaissances, essentiellement pratiques; les livres d’éducation enseignent les codes de comportement social qui permettent de tenir un rang dans la société. C’est une littérature de classe, essentiellement destinée aux enfants d’une bourgeoisie qui veut affermir les positions acquises.

 

Vint un moment où la littérature didactique trouva son expression dans des genres que le contexte socioculturel permettait de proposer aux adultes; par exemple les Fables de La Fontaine, dont la destination était fort ambiguë puisqu’elles s’adressaient au «monde» qu’il « faut amuser comme un enfant », et que l’institution scolaire récupérera plus tard pour les destiner spécifiquement à la jeunesse. Le cas des Histoires ou Contes du temps passé ou Contes de ma mère l’Oye (1697) de Charles Perrault est tout aussi ambigu : transcrits par un adolescent, écrits par un adulte, destinés à être lus dans les salons, ces contes s’avouaient instrument de didactisme moral, faisant « avaler les vérités solides et dénuées de tous agréments, en les enveloppant dans des récits agréables et proportionnés à la faiblesse de leur âge [des enfants] ». Littérature de jeunesse, littérature d’adulte? La marge est déjà bien mince en cette fin du xvne siècle.

 

Elle est mince aussi entre la littérature populaire d’expression orale et la littérature destinée à un public lettré. Les Contes de Perrault ont été puisés à la tradition orale aussi bien qu’à des sources écrites italiennes qui n’hésitaient pas à revendiquer leur origine populaire et à désigner l’enfant comme destinataire. D’autre part, dans un xvme siècle plus préoccupé de faits que de fées, les contes merveilleux, qui, par l’écriture, avaient acquis un statut littéraire, retrouvent le peuple à travers le livre de colportage et les images d’Épinal : et, jusqu’à la fin du xixe siècle, ils s’adressent surtout à un public enfantin.

 

La manipulation didactique

 

Là n’est pas la seule destinée du conte. La rigidité de sa structure en favorisa la manipulation; et la nature des manipulations suivit les impératifs culturels, politiques ou sociaux du moment. Celle qu’opéra Charles Perrault était commandée par des motivations liées à son rôle politique auprès de Colbert et à sa profession de foi littéraire, mais aussi par son désir déclaré de s’adresser aux enfants d’une classe sociale. Le conte merveilleux connut ainsi maintes transformations au xviiie siècle : seul le « conte moral », pour reprendre l’expression anglaise, c’est-à-dire le récit à but moralisateur, s’adressait aux enfants. Cette évolution même du contenu entraîna une évolution des structures; le conte merveilleux se débarrassa de ses caractéristiques narratives : doublement, triplement, dénouement manichéen disparurent. Le récit moral, l’historiette didactique le remplacèrent. Et l’on rencontre encore chez Berquin, le premier écrivain français spécifique de l’enfance et de la jeunesse, des récits moraux à structure de conte, à côté de récits très courts débarrassés de l’enveloppe structurelle du conte.

 

L’enfant, découvert comme public, devint, au début du xviiie siècle, objet de préoccupation pédagogique. Les idées et tendances qui s’exprimaient dans la plupart des pays d’Europe trouvèrent une dimension nouvelle dans la synthèse qu’en fit Rousseau dans l’Émile (1762) : ce ne sont plus des principes d’ordre théologique qui guident le pédagogue, mais des principes d’ordre social. L’enfant est un être à part entière, qui doit pouvoir se construire en homme autonome capable de faire face aux réalités sociales. Le conte évolue alors vers ce récit moral dont nous parlions, vers le récit de formation.

 

Mme Leprince de Beaumont — qui, la première, appréhenda le problème des niveaux, lié à celui de l’âge —, en prolongeant le Magasin des enfants (1757) par le Magasin des adolescentes (1760), Mme de Genlis, avec les Veillées du château, petit cours de morale à l'usage des enfants (1784), firent de la littérature d’enfance et de jeunesse une sorte de catéchisme moral. L’exemple le plus marquant est celui de l’Ami des enfants (1782-1783) d’Arnaud Berquin, qui, traduit immédiatement en anglais et dans la plupart des langues européennes, notamment en russe, et même dans deux langues de l’Inde, récupéré par l’édition chrétienne pour sa morale, puis par l’école publique pour ses récits scientifiques, fut la lecture des

 

enfants de la bourgeoisie européenne pendant plus d’un siècle. Ces volumes annoncent pourtant une évolution vers un catéchisme social, défendant les valeurs du travail, de la dignité humaine, de la tolérance, mettant en scène des gens simples, appartenant le plus souvent à une petite bourgeoisie travailleuse. Cette tendance s’accentue chez Nicolas Bouilly (1763-1842), dont les récits — Contes à ma fille, Contes populaires. Contes aux enfants de France — n’oublient pas les milieux laborieux des ouvriers ou des artisans des villes.

Pourtant un changement va s’opérer dans les années 1830. La loi Guizot (1833), en organisant l’instruction primaire, ouvre à la presse et à l’édition un immense public potentiel de lecteurs. On voit alors apparaître des journaux destinés à l’enfance et à la jeunesse scolarisées. Par sa forme même, l’Ami des enfants de Berquin peut être considéré comme le premier périodique pour enfants. Après bien des titres éphémères, le Journal des enfants en reprend la structure, y ajoute un feuilleton, des jeux et des gravures de grande qualité. Il durera de 1832 jusqu’à la fin du xixe siècle, avec quelques interruptions.

 

Il est fort difficile, dès le xviiie siècle, de dissocier la littérature étrangère traduite ou adaptée en France de la littérature proprement française. L’échange au niveau européen est intense. Mme d’Aulnoy, qui, en même temps que Perrault, avait publié des contes, fut traduite dès 1699 en Angleterre; Perrault le fut en 1729; c’est à l’Allemand C.F. Weisse que Berquin doit son titre T Ami des enfants; la structure de son ouvrage est imitée à la fois de celle de Weisse et de celle de J.H. Campe, qui, lui-même, s’était fait connaître en 1779, en empruntant à l’Angleterre l’idée de son Robinson der Jungere, immédiatement traduit en français (le Nouveau Robinson)', en 1785, Berquin traduisait librement le Petit Grandisson du hollandais et, en 1786-1787, Sandford et Merton de l’Anglais Thomas Day. Bien des historiettes de Berquin devinrent des classiques des chapbooks, livres de colportage anglais.

 

Cette littérature spécifique — monde irrationnel des contes ou monde réaliste dont l’évocation est manipulée à des fins didactiques — ne suffisait pas à satisfaire les besoins enfanti ns : besoin d’échapper aux adultes; besoin de réel qui soit tremplin vers l’imaginaire; besoin de divertissement. Les enfants avaient déjà trouvé cela dans le Robinson Crusoé de Defoe (1719), mais l’adulte récupéra vite cette littérature confisquée : une multitude de Robinson ont été publiés depuis plus de deux cent cinquante ans. La littérature de colportage en fit des éditions tronquées, n’en conservant que le récit d’aventures ou l’aspect de documentaire technique, qui servirent, tout comme pour le conte, de point de départ à des Robinson adaptés pour la jeunesse. Bien souvent un seul thème de l’œuvre originale est retenu pour faire passer des valeurs religieuses, morales, sociales ou politiques. A partir d’une œuvre destinée aux adultes, une fois encore a été créée une littérature spécifique à la jeunesse, traduisant une attitude de « néocolonialisme » vis-à-vis de l’enfance.

« «faut amuser comme un enfant», et que l'institution scolaire récupérera plus tard pour les destiner spéci fiqu e­ ment à la jeunesse.

Le cas des Histoires ou Contes du temps passé ou Contes de ma mère l'Oye (1697) de Charles Perrault est tout aussi ambigu : transcrits par un adolescent, écrits par un adulte, destinés à être lus dans les salons, ces contes s'avouaient instrument de didac­ tisme moral, faisant. »

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