En vous appuyant sur des exemples précis empruntés à des œuvres littéraires, et éventuellement à d'autres domaines artistiques, vous vous demanderez dans quelle mesure un artiste peut user de la laideur pour engendrer la beauté.
Publié le 08/03/2011
Extrait du document
La difficulté de ce sujet naît de la multiplicité des domaines à la fois différents et liés, auxquels il réfère : 1) L'impossibilité même, où nous sommes de définir objectivement « le beau « et « le laid « et de départager le « beau « du « laid «, risquerait de nous égarer dans des digressions d'ordre éthique, et philosophique, qu'il nous faut cependant aborder brièvement. 2) D'autre part, si le thème du beau nous conduit à des problèmes d'esthétique pure, il touche également le domaine de l'histoire de l'art (ou plus ponctuellement de l'histoire littéraire). En effet, la conception du beau en art varie selon les écoles et les époques. 3) A l'arrière-plan de ces problèmes fondamentaux, surgit également celui de la fonction de l'art. L'utilisation de la laideur a-t-elle joué ou joue-t-elle encore un rôle précis, d'avant-garde artistique, sociale, ou bien doit-elle être acceptée gratuitement dans une œuvre d'art ?
«
artistique.
En insistant sur le rôle d'agent intermédiaire ou plutôt de magicien et de démiurge, tenu par l'artiste (cf.
le mythe dumage, du voyant de la conception romantique chez Hugo, Baudelaire, Nerval), on éclaire le décalage qu'il fauttoujours maintenir même dans des œuvres réalistes, entre l'art et la nature, entre la réalité et l'œuvre d'art.
Commele dit Malraux dans Les Voix du Silence : « Un coucher de soleil admirable en peinture n'est pas un beau coucher desoleil mais le coucher de soleil d'un grand peintre, comme un beau portrait n'est pas d'abord le portrait d'un beauvisage.
»
Il devient clair alors qu'avec les moyens relatifs à chaque domaine artistique (l'utilisation particulière du langage,techniques picturales, procédés de mise en scène), en fait avec tout ce qui constitue « le style » d'un artiste (qu'ilsoit purement personnel ou revendiqué par une école) un créateur peut user de ce qu'on nomme « la laideur » dansla nature, pour parvenir à la beauté en art.
Les termes de « réel », de « réalité », de « nature », que nous venons d'employer, appellent nécessairement celuide « réalisme ».
L'art réaliste, comme son nom l'indique, puise sa source dans le réel, dans ce qu'on pourrait appelerla laideur quotidienne, mais il ne propose jamais une copie conforme du réel.
Il procède à des découpages dans le temps réel, à des choix (décor, personnages), à des déformations, à desexagérations (cf.
le naturalisme) ; en un mot, l'art réaliste s'appuie sur le réel pour organiser une lecture du réel àtravers un miroir déformant que constitue l'œuvre d'art façonnée par l'artiste, et instaurer un sens second «allégorique ».
Nos propos trouvent d'ailleurs appui dans cette remarque de Flaubert : « Il faut partir du réalisme pouraller jusqu'à la beauté » qui souligne la volonté de l'artiste de ne pas considérer la reproduction du réel comme unbut en soi, l'accord total entre la forme et la pensée restant pour lui le moyen de transcender le réel : « Plus le motcolle dessus (la pensée), plus c'est beau.
»
En prenant deux exemples littéraires fort éloignés dans le temps, nous essaierons de voir comment deux écrivains,Rabelais et Zola, ont utilisé et modelé le réalisme, la laideur, pour les transfigurer en une matière artistique.
• Parodie du roman de chevalerie, le Gargantua de Rabelais regorge de détails à la fois horribles et réalistes,particulièrement dans la partie du roman consacrée à la guerre picrocholine.
Chez Rabelais, la laideur se trouve transcendée d'une manière dont le passage de la bataille du clos de Seuilly, où unmoine seul défait toute une armée, nous offre peut-être le plus bel exemple : le récit ne nous oblitère aucun détail,ce qui sans le recours à l'invraisemblable deviendrait insoutenable.
Les bras sont arrachés, les têtes volent enéclats.
Tout l'art de l'auteur consiste à effacer l'horreur par le rire : d'abord par l'exagération : le moine prend l'allured'une machine à tuer, d'où procédé de comique qui consiste à appliquer du mécanique sur du vivant ; en second lieupar une verve intarissable et un verbe expressif.
La Beauté (telle que nous l'avons définie plus haut) réside dans cet exemple en ce que Rabelais, de par son stylemême, dans le choix de consonances expressives, laisse présent à l'esprit du lecteur tout l'horrible d'une bataille (àl'arrière-plan, hurlements des blessés, chocs des bâtons sur les corps), tout en en occultant la laideur : le récitbascule en effet dans le burlesque, le grotesque.
De là naît le rire ; la laideur se trouve comme sublimée et par làmême le récit réaliste se métamorphose en récit de type merveilleux (le merveilleux se trouvant assuré par ailleurs,par le gigantisme des personnages).
• Chez Zola, la laideur réelle subit une distorsion, par amplification et non plus par dérivation comme chez Rabelais.Le donné brut réel, puisé dans la vie quotidienne (là encore on ne cherche pas de cas limite à tendancefantastique), se trouve restructuré au niveau des images, des métaphores.
Ainsi, dans le défilé des mineurs(Germinal% l'humain semble s'être dissous en une bête monstrueuse, collective, toute en mâchoires et enmugissements.
Chaque détail de réel sert alors de tremplin à l'évocation d'un symbole, et tout le passage prendprogressivement l'allure d'une vision prophétique, apocalyptique, incluse dans un ample et puissant mouvementépique, qui n'a plus rien à voir avec un simple défilé de grévistes en colère.
• Le mouvement romantique, quant à lui, s'inspire largement de la laideur.
Que l'on songe à la laideur de Quasimodo,qui atteint, comme le dit Hugo, la perfection (Notre-Dame de Paris), à « Ce que dit la bouche d'ombre », (Hugo, LesContemplations), et à bon nombre de poèmes des Fleurs du Mal (voir en particulier le poème intitulé « Une Charogne»).
L'horrible se met donc au service de la littérature qui en use libéralement et gratuitement.
Il inspire et anime lalittérature fantastique : la laideur mutée en horreur sert à maintenir une hésitation chez le lecteur quant à la naturedu monde évoqué par le récit.
Mais depuis la Préface de Cromwell de Victor Hugo, le non-renoncement à la laideur en matière d'art entre dans lecadre plus général de la bataille que mène le romantisme contre le dogmatisme sclérosant du classicisme.
Laconception du beau change, la laideur reprend ses droits.
L'entrée du « laid », du réalisme dans l'art, marque également un changement dans la destination de l'art..
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