En réfléchissant sur quelques exemples pris dans des œuvres littéraires, vous commenterez cette formule de Fromentin : « Le bonheur réside dans l’égalité des désirs et des forces ».
Publié le 02/11/2016
Extrait du document
INTRODUCTION
Il est difficile de prétendre que notre bonheur dépend entièrement de nous. Les circonstances nous donnent notre lot. Mais il nous appartient de le saisir ou non, de faire fructifier nos chances ou de les laisser se perdre. C’est là que le moraliste a son mot à dire. Selon Fromentin, « le bonheur réside dans l’égalité des désirs et des forces ». Il ne propose pas là une formule magique, mais plutôt une sorte de formule scientifique : appliquons à la multiplicité des cas un même rapport mathématique, et nous serons également garantis contre deux malheurs, qui sont l’excès des désirs el le manque de désirs.
Peut-être en effet le problème du bonheur, tel qu’il est posé dans la conscience commune et illustré dans les œuvres littéraires, se ramène-t-il à cette alternative. Assurons-nous-en sur quelques exemples. Il restera alors à voir si l’élégante solution proposée ici en théorie gardera dans la pratique sa simplicité et sa vigueur.
I. LE BONHEUR SUPPOSE UNE LIMITATION DES DÉSIRS
Une des plus sûres recettes du bonheur serait sans doute de s’appliquer à limiter ses désirs. Car désirer au-delà de ce que l’on peut atteindre, c’est se vouer à la déception, au dégoût de soi et des autres, à la condition humiliée et amère du « raté ».
Le personnage de Lorenzo dans le Loreniaccio de Musset, Rubempré le héros des Illusions perdues de Balzac, pour avoir trop présumé de leurs forces, sombrent dans le désespoir. Arthur Rimbaud, après sa tentative pour « changer la vie », retombe dans ce qu’il appelle son Enfer. Sur le mode comique, Picrochole, don Quichotte, Alceste, M. Jourdain sont aussi les victimes de leur « démesure ». Voilà pourquoi, après les Épicuriens et les Stoïciens, les écrivains français de formation humaniste invitent à se garder de former d’ambitieux projets qui seraient la source de déceptions inévitables. Les Odes de Ronsard, inspirées d’Horace, les Essais de Montaigne et notamment le chapitre intitulé « De ménager sa volonté », les Épitres
«
10 LA CONDUITE INDIVIDUELLE
de Boileau, certaines fables de La Fontaine comme Les
Souhaits, La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf
s'accordent surce point.
Suivons donc le secret de sagesse que
Voltaire fait figurer à la dernière ligne de Candide et contentons
nous de
«cultiver notre jardin ».
II.
LE BONHEUR SUPPOSE
UNE CERTAINE VIVACITÉ DE DÉSIRS
Est-ce à dire que pour atteindre le parfait bonheur il faudrait
s'interdire
tout désir ? S'agiraitcil de prendre pour modèles
ces hiboux que Baudelaire nous montre figés dans leur immo
bilité et devons-nous admettre sans réserves que
« L'homme ivre d'une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment D'avoir voulu changer de place»?
Il ne le semble pas.
Car le bonheur suppose une certaine
vivacité de désirs et
l'homme blasé est, à tout prendre, un person
nage aussi désolant que
le «raté».
Dans Candide, le seigneur
Pococurante,
en dépit de ses richesses, de sa culture, de sa
hardiesse d'esprit, n'éprouve aucune joie parce qu'il est « dégoûté
de
tout ce qu'il possède» et ne voit rien d'autre à désirer.
On
sait assez la place que tient, à ce titre, 1 'ennui de vivre dans la
littérature contemporaine.
Il s'exprime dans la Nausée de
Jean-Paul
Sartre comme dans l'Étranger d'Albert Camus.
Il
emplit tout le théâtre de Samuel Beckett.
Déjà La Fontaine
dans le Philosophe scythe nous avertissait qu'étouffer tout
désir, ce serait «cesser de vivre avant que l'on soit mort».
Tout semble préférable, selon Ronsard, à cette insensibilité :
«Si est-ce que je ne voudrais
A voir été ni roc ni bois ...
Car ainsi dur je n'eusse aimé
Toi qui rn 'as fait vieillir, Cassandre.
»
III.
CET ÉQUILIBRE EST-IL RÉALISABLE?
Le principe de Fromentin, dans sa sage mesure, semble donc
bien ouvrir aux hommes le chemin du bonheur.
Encore faut-il
qu'il se révèle applicable dans la conduite de la vie.
1.
Ce principe de sagesse ne peut convenir à tous les hommes.
Sans doute faut-il reconnaître d'abord qu'il ne peut convenir
à tous les tempéraments.
Une âme exaltée, éprise d'absolu,.
»
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