En réfléchissant sur les formes variées que prend la fête dans le monde d’aujourd’hui, pensez vous que, comme l’affirme Jean Cazeneuve, la fête confirme la hiérarchie en la niant pour un instant bien déterminé.
Publié le 12/11/2016
Extrait du document
L’un des problèmes les plus importants et les plus riches d’enseignements concernant la fête est peut-être posé par les ressemblances et les différences entre les fêtes populaires les plus prestigieuses d’aujourd’hui et les fêtes archaïques : celles qui étaient célèbres dans l’Antiquité ou au Moyen Age, et celles qui persistent encore dans les populations dites primitives ou << sauvages ».
Existe t il non seulement une définition, mais, mieux, un canevas général de l’effervescence populaire institutionnalisée qui convienne à ces différentes étapes de l’évolution des fêtes? Il faut, pour s’en approcher, se donner au moins quelques facilités au départ en considérant, parmi les festivités modernes, celles qui présentent d’assez nets caractères de survivances, ou qui, du moins, mettent en jeu des formes de participation et d’action contrastant avec les cadres de la vie contemporaine. C’est dire qu’on aura intérêt à se pencher moins sur les célébrations nationales comme celle du 14 juillet que sur les grandes festivités folkloriques dont le carnaval est l’exemple le plus répandu.
Un des thèmes les plus courants, parmi ceux qui témoignent de la distance par rapport à l’existence courante, c’est la négation des hiérarchies et barrières sociales. Les saturnales, dans la Rome antique, en étaient la meilleure illustration. Durant ces festivités, qui commémoraient l’âge d’or et le règne de Saturne, les esclaves, coiffés du chapeau des hommes libres, revêtus des vêtements de leurs maîtres, avaient le droit de plaisanter avec ceux-ci et de leur dire n’importe quoi. Au Moyen Age et jusqu’à la Renaissance, la fête des fous était marquée par les pitreries des prêtres, les moqueries à l’adresse des plus hauts prélats et des dignitaires du royaume.
Le carnaval, à Rio par exemple, fait descendre tout le monde dans la rue et mêle dans un désordre général gueux et riches. Ailleurs, il est l’occasion de satires, de parodies où sont représentés et critiqués ou même tournés en dérision les gens les plus influents de la ville ou de l’Etat. Pendant le Halloween, aux États-Unis, les enfants narguent les adultes. Au soir de la Sainte-Agathe, en plein carnaval, les femmes s’arrogeaient tous les droits, ce qui contrastait avec les coutumes patriarcales.
Jean Cazeneuve, La Vie dans la société moderne, 1982.
«
Aussi, plusieurs
auteurs ont-ils cru déceler des analogies entre fêtes
et révolutions .
C'e st là une vue superficielle qui méconnaît un autre
principe essentiel de la fête, à savoir qu'elle est par essence hors de la
réalité sociale normale.
En vérité, elle confirme la hiérarchie en la
niant pour un instant bien déterminé, car elle situe le contrordre (IJ
dans un monde différent.
Sans doute les inversions des statuts
sociaux, même dans ce contexte, ont elles pu éveiller des inquiétudes
chez les détenteurs du pouvoir.
Tout le monde n'aime pas la
plaisanterie.
Mais d'autres, peut être plus avisés, pouvaient juger
efficace ce défou lement organisé, limité, institutionnalisé .
Plus judi
cieusement encore, les sociologues ont examiné les rapports entre ces
étranges coutumes et les références mythologiques, fort explicites
dans beaucoup de cas, notamment dans les saturnales.
La fête se
présente alors, en effet, comme une actualisation de la période
créatrice, c'est à dire du chaos primordial qui, dans les temps les plus
lointains, se caractérisait par le mélange des êtres et des choses.
Tout
était possible avant que les dieux ou les grands ancêtres civilisateurs
eussent établi les règles qui, par la suite, devaient régir l'univers,
mettant chacun à sa place.
Freud disait que la fête est un « excès permis ».
Cette permission,
on le voit, est fondée sur l'évocation du processus formateur originel
qui, précisément, y mit f n.
RoGER CAILLOIS, qui a, plus que tout
autre, insisté sur cet aspect de la fête, le rattache au « sacré de
transgression ».
Il l'explique par la nécess ité, apparue aux primiti fs,
de régénérer périodiquement l'ordre naturel et social, usé chaque
année par le temps profane.
Pour cela, on consolide et rénove les
règles en remontant à leur source, en jouant, en mimant l'avènement
de l'ordre après le tohu bohu.
Dans le carnaval d'au jourd'hui, cette référence à la période
fo rmatrice du monde semble bien avoir disparu.
Pourtant, on y
perçoit très bien la mise entre parenthèses du temps de la fête qui
n'e st pas et ne doit pas être vécu comme le temps proprement
terrestre .
Le sacré n'est plus visiblement évoqué, mais on n'est pas
tout à fait dans le cycle profane.
JEAN CAzENEUVE, La Vie dans la société moderne, 1982.
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(1) Contrordre : l'ordre renversé..
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