En recherchant dans le Père Goriot les traits communs aux trois ou quatre protagonistes, vous définirez ce qu'on appelle un personnage balzacien.

« Pour Balzac ce forçat évadé, ce bandit criminel est plus courageux et plus estimable que le banquier Nucingen quivole beaucoup plus d'argent par ses spéculations, sans prendre aucun risque.En face de l'injustice sociale, de la cruauté de cc qu'on nomme le monde, il n'y a qu'une solution franche, c'est larévolte de Vautrin : telle est la conclusion à laquelle semble aboutir Balzac.Vautrin n'a pas un rôle antipathique; bien que démon tentateur de Rastignac, il est son protecteur presquebienfaisant. b) L' argent.Entre Rastignac qui n'a pas encore d'argent et le Père Goriot qui n'en a plus, Vautrin est une sorte de roi, de sorcier: il est le banquier des forçats.

Il lui suffit de faire signe à un-ami pour décrocher.

un héritage.

Ce personnage,balzacien par ses mystères et son habileté, semble affranchi de la matière, des préoccupations mesquines quiécrasent les autres.

Autrefois victime de la société, il est maintenant devenu bourreau, mais un bourreau moinscruel que la société officielle, composée, selon lui, de criminels en habit de soirée : « Le secret des grandes fortunessans cause apparente est un crime oublié parce qu'il a été proprement fait.

» IV.

— LA MÉDIOCRITÉ Quel est le trait le plus caractéristique des personnages balzaciens? D'autres romanciers ou auteurs tragiques ontégalement su montrer l'absolu dans la passion, la cruauté d'un monde impitoyable.

Mais ce qui est propre à Balzac,c'est « l'histoire naturelle des esprits ».

Il observe les hommes comme le naturaliste étudie les effets de l'instinctchez les animaux.

La société a ses lions, comme Vautrin; elle a ses serpents, tels Gobseck; elle a aussi ses insectespuants, ses parasites.Les personnages les plus typiquement balzaciens sont peut-être Madame Vauquer, puis la Michonneau et Poiret,malgré — ou plutôt à cause de — leur insignifiance.

Pour peindre la tenancière, Balzac a appliqué son principe : « Aunid on reconnaît l'oiseau.

» La crasse, la misère, la tristesse du décor peignent d'avance le répugnant personnagequi exploite ses hôtes.

Avare, perfide et cruelle sous des dehors bourgeois et honnêtes, la Vauquer marcherait surun cadavre pour gagner quelques sous.

Elle ne tue pas parce qu'elle n'en a pas le courage.

Elle reste médiocre entout.La Michonneau, cette « Vénus du Père-Lachaise », est de la race des serpents.

Elle livre Vautrin pour trois millefrancs : les trente pièces d'argent de Judas.

Poiret son complice est la « punaise qu'on écrase ».En face de cette misère féroce, la vertu est insignifiante et désarmée.

Que peuvent Madame Couture et VictorineTaillefer ou les soeurs d'Eugène contre un monde fort, cruel, impitoyable qui les écrase comme le Char de Jaggernat? CONCLUSION Balzac a donc su imprimer la marque de son génie aux personnages du Père Goriot.

Ils ont, comme la pensionVauquer, une odeur sui generis.

Ils sont peints par de petits détails qui en montrent la médiocrité, ou par desobservations qui nous révèlent leur tempérament, les causes de leur comportement.

Bien que mus par des passionséternelles, ils sont inséparables de leur époque et de leur milieu.. »