En quoi la fragmentation alphabétique du Dictionnaire Philosophique reflète-elle le caractère arbitraire et critique de l'écriture voltairienne ?
Publié le 29/08/2012
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Par exemple, la deuxième section de l'article « Athée « renvoie à « Fraude « : « Combien de fois les sangsues du peuple ont-elles portées les citoyens accablés jusqu'à se révolter contre le roi ? (Voyez Fraude) «. Nous retrouvons le même procédé mais plus implicite dans l'article « Catéchisme du chinois « qui renvoie à « Âme « : lorsque Cu-Su parle « Dieu vous a donné la raison, elle vous dit que l'âme doit être immortelle ; c'est donc Dieu qui vous le dit lui-même «. Ensuite, nous pouvons remarquer que Voltaire conduit le lecteur vers d'autres œuvres et non des articles à l'intérieur de son Dictionnaire. Nous l'observons dans l'article « Athée, Athéisme « où l'auteur établit un dialogue presque permanent avec le Dictionnaire de Bayle pour prendre sa défense, il répond ainsi aux Pensées diverses sur les Comètes : « M. Bayle a pu oublier un exemple frappant qui aurait pu rendre sa cause victorieuse «. En réponse à diverses querelles philosophiques que Voltaire et les hommes des Lumières ont menées avec leurs contemporains ou avec les philosophes des siècles précédents, Le Dictionnaire fait apparaître une quantité de noms français ou européen. Les articles « Égalité «, « Maître « ou encore « Luxe « sont dirigé contre Jean-Jacques Rousseau. Le nom n'apparaît pas dans le texte, mais il se voit en transparence par le lecteur. Par conséquent, la démarche philosophique de Voltaire, elle, n'est pas arbitraire et justement très réfléchie. Et ce souci doit être mis sur le compte d'un désir d'ordre qui pourrait être un aspect de l'activité rationnelle, et qui aboutit à l'irrationnel classement par lettres.
«
singuliers de ce prophète, et de quelques usages anciens ».
Mais après le titre se situe l'élément quasi le plus important : la matière de l'article.
b) L'organisation interne de l'article
Voltaire ne veut pas écrire une encyclopédie et que ces articles ressemblent à des dissertations.
De ce fait, il ne renonce pas à la base de tout article de dictionnairequi sont les définitions et les exemples, et il entend désormais donner plus d'importance aux informations surtout lorsqu'elles sont historiques.
En épluchant plusieursarticles, nous pouvons mettre en évidence les différentes compositions de celui-ci : Tout d'abord, l'étymologie est capitale dans la comparaison des religions.
Pourl'article « Abraham », Voltaire ajoute en 1765 dans l'édition Varberg :« Au reste ce nom Bram, Abram, était fameux dans l'Inde et dans la Perse : plusieurs doctesprétendent même que c'était le législateur que les grecs appelèrent Zoroastre ».
Elle peut aussi être utilisée pour situer le sens d'un mot égaré dans les institutionsreligieuses.
Ainsi, « Abbé » montre l'absurdité du sens premier appliqué au mot quand justement l'Église interdit aux prêtres de se marier et d'avoir des enfants :« Savez-vous qu'abbé signifie père ? ».
C'est vraiment à partir de l'édition Varberg, que l'étymologie sera présente dans le Dictionnaire Philosophique.
Ensuite, ladéfinition de l'article peut être traité différemment suivant sa structure ou sa visée : dans « Vertu », la définition est le modèle même du caractère polémique tiré dusavoir-faire voltairien : « Qu'est-ce que vertu ? Bienséances envers le prochain ».
Elle peut aussi être un éloge (« Tolérance »), une proclamation de foi, elle peutinclure un rapport mathématique (« Superstition ») et la définition et l'étymologie peuvent être imbriquées (« Miracle »).
La définition peut être traitée différemment :par prétérition comme dans « Critique » : « Je ne prétends point parler ici de cette critique scoliastes, qui restitue mal un mot d'un ancien auteur qu'auparavant onentendait très bien [...] », par énumération ou par exclusion.
Il y a des anti-définitions qui font saillir l'absurdité de la chose et de susciter l'indignation du lecteur :dans l'article « Inquisition », par exemple : « L'Inquisition est, comme on sait, une invention admirable et tout à fait chrétienne pour rendre la pape et les moines pluspuissants et rendre tout un royaume hypocrite ».
Nous pouvons aussi trouver la contre-définition de la question dans l'article « Torture » : « C'est une étrange manièrede questionner les hommes ».
Enfin, nous observons divers exemples et des rappels historiques.
Les exemples ne servent pas qu'à faire comprendre, ils incitent aussile lecteur à pratiquer une activité créatrice.
Voltaire propose des exemples dans l'article « Enthousiasme » dont le choix est par lui-même intéressant : exemple sur lethéâtre, l'Antiquité, la littérature classique avec Ovide et Sapho.
Ces exemples permettent d'aller plus loin dans l'analyse et de suivre la progression del'argumentation.
Le rappel historique constitue plutôt une tentative de synthèse.
Nous pouvons l'observer dans l'article « Baptême » qui est aussi lié à « Confession »du point de vue du sacrement et de l'historicité de l'article.
Pourtant, même si l'organisation interne des articles est conventionnelle, l'écriture voltairienne ne semblepas si ordonnée que cela.
c) L'ordre ou le non-ordre dans l'écriture
L'ordre arbitraire du Dictionnaire Philosophique et / ou le non-ordre de l'écriture peut aussi s'expliquer par le style de l'auteur mais aussi le primesaut de l'espritvoltairien.
Tout d'abord, nous apercevons que la pensée de Voltaire est ordonnée car il a écrit des articles en séries, ce qui lui a permit d'établir des liens entre eux.Nous l'observons dans les articles « Amour » et « Anthropophage » qui ont été publié en 1764 : « Amour » fait partie de la transition de l'article « Anthropophage »illustré par « Nous avons parlé de l'amour.
Il est dur de passer de gens qui se baisent à des gens qui se mangent ».
Ensuite, nous remarquons que l'écriture de Voltairen'est pas si organisée.
Effectivement, il a recourt entre chaque édition à des additions, des remaniement et des suppléments.
Pourquoi Voltaire serait-t-il revenu surses articles ? Nous pourrions penser que pour certains articles, il n'avait pas réussi à tout dire, la critique étant déjà assez cinglante pour, par exemple, l'article« Abraham » qui a été retouché deux fois en 1765 et 1767.
Son addition consistait simplement à montrer les autres origines possible d'Abraham et ainsi dénoncertoutes les absurdités du Christianisme.
Les remaniements sont moins évidents mais pour certains articles, la modification est nette.
Par exemple, l'article « Salomon »,a été remanié deux fois après sa publication en 1764.
L'entrée en matière était vraiment différente de la dernière édition.
Mais encore, les suppléments de sectionentière peuvent se situer soit en première partie, ce qui est le cas des articles « Lois » et « Foi » soit en deuxième partie pour l'article « Superstition ».
Mais l'arbitrairede la pensée voltairienne peut aussi correspondre au contexte historique du moment.
Nous le rencontrons pour l'affaire du Chevalier de La Barre à laquelle Voltaire aparticipé.
En effet, la lettre « T » n'était d'abord représentée que par « Tolérance » et elle a eu droit à l'ajout de quatre articles (« Théiste », « Théologien »,« Transsubstantiation » et « Torture ») du fait de l'urgence de la situation.
En revanche, le Dictionnaire Philosophique montre comment la volonté d'utiliser l'article dedictionnaire pour un combat contre les préjugés oblige assurément l'auteur à sortir de la routine de l'article de dictionnaire.
III – La démarche philosophique de Voltaire
a) Une dispersion pour mieux critiquer
Voltaire a préféré la succession de textes brefs, isolant une idée ou un fait, son système de pensée restant en arrière-plan et sa démarche philosophique apparaissantalors comme injustifiée.
De plus, le Dictionnaire Philosophique a fait scandale par son irrespect dévastateur, par l'ampleur de ses critiques, plus encore par ses enjeuxqui visent à un changement des valeurs et des mentalités.
Le Dictionnaire de Voltaire n'apparaît pas comme philosophique, nous le savons bien, c'est un dictionnaireanti-chrétien.
Ainsi, il utilise l'effet de dispersion pour mieux critiquer la religion.
Ce n'est pas un hasard si les articles portant sur le Christianisme sont ceux oùVoltaire a traité le sujet comme une suite historique.
Nous le remarquons nettement avec l'exemple de l'article « Confession » qui emploie le subterfuge de l'Histoirepour finalement dénoncer les évolutions tardives des dogmes chrétiens.
Un bel exemple de critique voltairienne de la Bible est donné par l'article « Genèse ».
L'articlese présente comme nos explications de textes, et suit le récit biblique ligne à ligne, isolant la citation du commentaire qui la suit immédiatement.
Pour cette fois, ilconteste les traductions.
Mais Voltaire n'aime pas citer et les citations sont rares.
Il procède plutôt par allusions et suppose sont lecteur suffisamment cultivé pourpouvoir les percevoir.
Ainsi, La Bible tient une place considérable dans les citations, elle est la cible de choix de sa polémique, elle lui permet à la fois d'attaquerl'érudition monacale et bénédictine, de dénoncer les fondements de la religion catholique et de manifester son anti-judaïsme, mais aussi de prouver les incertitudesdogmatiques du christianisme, les divergences d'interprétation, sinon les absurdités (« Ame », « Antitrinitaires », « Apocalypse », « Baptême », « Christianisme »,« Divinité de jésus », « Judée », « Miracle », « Péché originel »).
D'ailleurs, il n'a jamais prouvé dès le début des publications que la démarche alphabétique était delui, ce qui lui a permis de critiquer en liberté ou presque.
b) Une entreprise « collective » : gage d'anonymat
La polémique autour d'un dictionnaire est une polémique de longue durée ; elle se poursuit, comme les rééditions, sur plusieurs années.
C'est pourquoi, Voltaireaccessoirise la troisième édition de son Dictionnaire Philosophique d'une préface.
Cela permet de montrer que l'ouvrage est anonyme : « Mais, dans l'article« Miracle », nous avons ajouté une page entière du célèbre docteur Middelton, bibliothécaire à Cambridge.
On trouvera aussi plusieurs passages du savant évêque deGloucester, Warburton ».
Voltaire souligne explicitement que cet ouvrage est collectif et c'est un gage d'anonymat.
Mais, à l'intérieur du Dictionnaire, nous pouvonsaussi trouver la promesse de Voltaire par les signatures qui se situent après la conclusion d'un article.
En principe, un dictionnaire qui est l'œuvre d'un seul n'en a pasbesoin : inversement elle peut sembler nécessaire dans les ouvrages collectifs.
Elle peut constituer tantôt une honnête reconnaissance de dette, tantôt une habiletactique.
Nous pouvons retrouver les mêmes signatures comme celle de Monsieur Boulanger pour les « Baptême », « Julien » et « Pêché Originel ».
ou par desinconnus : l'article « Job » est signé « par un malade aux eaux d'Aix- La-Chapelle ».
La signature peut paraître ludique car Voltaire laisse l'ensemble du son ouvragedans l'anonymat.
Puis, elle peut servir de clôture de l'article qui soulignerait la diversité des tons, la différence d'un article à un autre, mais aussi le fait que chaquearticle puisse être comme une entité qui se suffit à elle-même, qui peut se lire isolément.Toutefois, Voltaire évoque aussi dans sa préface le rôle qu'il tente de donner au lecteur.
c) La volonté de faire réfléchir le lecteur
Voltaire voulait que la lecture de son livre ne soit pas suivie : une lecture arbitraire, à la seulevolonté du lecteur.
Dans sa préface, il dit clairement la mission du lecteur devant son ouvrage alphabétique : « Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteursfont eux-mêmes la moitié.
[…] Ce n'est même que par des personnes éclairées que ce livre peut être lu ».
En effet, contrairement aux portatifs qui l'ont précédé, celuide Voltaire ne se soucie pas de n'offrir au lecteur que des résumés.
Ainsi, nous pouvons remarquer deux grands aspects du dictionnaire qui mettent en action ledestinataire.
Tout d'abord, l'ouvrage est composé de renvois d'articles à d'autres articles.
Les renvois permettent de tricher en voulant faire paraître organiser le.
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