En forme de dissertation suivie, vous étudierez ces deux courtes oeuvres, écrites toutes deux par des poètes détenus, en marquant les ressemblances et les différences :situation, sentiments, expression, etc.
Publié le 17/01/2022
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En forme de dissertation suivie, vous étudierez ces deux courtes œuvres, écrites toutes deux par des poètes détenus, en marquant les ressemblances et les différences :situation, sentiments, expression, etc. J'écoute les bruits de la ville Et prisonnier sans horizon Je ne vois rien qu'un ciel hostile
Le jour s'en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Et les murs nus de ma prison
Belle clarté Chère raison
Guillaume APOLLINAIRE, A la Santé. (Ce poème a été écrit à la prison de la Santé en septembre 1911.)
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche dans le ciel qu'on voit Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là.
Vient de la ville.
— Qu'as-tu fait, ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul VERLAINE, Sagesse.
(Ce poème a été écrit dans la prison des Petits Carmes en septembre 1873.)
On a souvent rapproché l'art de Guillaume Apollinaire de celui de Paul Verlaine. Tous deux ont aimé les chansons indécises qui traduisent le rêve et la mélancolie, les paysages sentimentaux, les personnages mi-réels, mi-imaginaires, les rythmes irréguliers et les vers harmonieux et doux. Il est particulièrement intéressant de les comparer à partir d'un thème commun, celui de la prison, ou plutôt de l'état d'âme du prisonnier solitaire dans sa cellule, et nous ne serons pas surpris d'y découvrir d'évidentes ressemblances, mais aussi des différences notables dans les situations, les sentiments intimes et aussi les moyens poétiques mis en oeuvre par chacun.
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Mais aussi dans ces deux morceaux intervient la beauté de la poésie, qu'un vrai poète peut faire naître n'importe où: poésie des choses épurées et embellies : le ciel bleu, la feuille d'un arbre, une cloche, un oiseau, la ville pacifiéequ'on devine toute proche, la tristesse
même d'un enfant dévoyé, chez Verlaine, qui avait tout naturellement inséré ce témoignage dans son recueil de1881, Sagesse, à côté de prières ardentes et humbles, de confidences attendrissantes, de souvenirs littéraires et historiques, de paysages humanisés.
Apollinaire fut sans doute ému par cette poésie carcérale : il trouva tout naturel, se retrouvant dans la mêmesituation, de faire naître aussi la poésie dans le cachot et d'écrire les six courts poèmes groupés sous le titre A la Santé qui furent inclus ensuite dans le recueil Alcools.
Il évoque aussi les bruits de la ville, l'horizon et le ciel, et la tombée du jour...
2.
Mais bien des différences a) dans la vie
Mais les destinées et les situations réelles sont bien différentes : Verlaine est en prison à la suite d'une triste équipée avec Arthur Rimbaud.
La venue à Paris du jeune poète a été une catastrophe pour le ménage de Verlaine :il s'enivre, injurie sa femme Mathilde, la bat parfois; et, peu après la naissance de son fils, il abandonne le domicileconjugal.
En juillet 1872, les deux hommes quittent la capitale, vont en Belgique puis en Angleterre; ils se séparent,se retrouvent, mais Verlaine voudrait se réconcilier avec Mathilde.
C'est au cours d'une crise de fureur alcooliquequ'il tire deux coups de revolver sur son ami, se fait arrêter et condamner.
Ces années de prison seront l'occasiond'une conversion religieuse et morale qui donne son nom au recueil de Sagesse.
Mais, pour le moment, c'est la mélancolie, le regret, le remords qui dominent, sans doute aussi la vague douceur d'un calme salutaire après desannées de passions et de violences...
Apollinaire n'a péché que par imprudence dans ses amitiés de la bohèmeparisienne, et il a surtout été victime d'une malchance extraordinaire.
La police parisienne était aux abois à la suitedu vol de la Joconde au Louvre le 21 août 1911.
Un personnage assez suspect, qui avait été quelque tempssecrétaire d'Apollinaire, rapporta au directeur de Paris-Journal un buste qu'il avait dérobé au Louvre.
Apollinaire n'était pour rien dans cette affaire et se préoccupa même, avec Picasso, de faire restituer d'autres statuettes.
Maiscomme son nom avait été prononcé, il fut inculpé de recel de malfaiteur et de complicité de vol.
L'affaire ne pouvaitaller très loin, il fut libéré quelques jours après sur l'intervention de ses amis, et lavé de tout soupçon.
Mais le séjouren prison lui fut fort désagréable et si le souvenir de son maître Verlaine l'aida à tirer profit de ce séjour, il n'en exprime pas moins dans ces six poèmes l'amertume du condamné par injustice « Guillaume qu'es-tu devenu...
leLazare entrant dans la tombe...
Dans une fosse comme un ours chaque matin je me promène...
Que deviendrai-je ôDieu qui connais ma douleur...
Que lentement passent les heures...
Tu pleureras l'heure où tu pleures...
» jusqu'à ce dernier poème qui nous intéresse, où il attend de la raison une lueur de consolation et d'espoir.
L'esprit des deux poèmes, et la conception de la création littéraire qui s'y rattache sont fort différents.
Verlaine prend pour point de départ le paysage réel qu'il aperçoit de sa fenêtre.
Il nous l'a décrit dans des notes enprose et nous voyons clairement comment s'est faite la transmutation poétique : le paysage a été réduit àl'essentiel ; ciel bleu, arbre, oiseau, cloche, ne décrivent rien mais deviennent symboles d'une liberté, d'une puretéinaccessible, même la ville devient un élément de paix lointaine et refusée.
L'appel à Dieu, simple cri élémentaire, monte dans l'âme endolorie.
Le sanglot étouffé de la dernière strophe traduitla montée de l'émotion.
Chez Apollinaire, en vérité, la première strophe traduit une lucidité sans illusion : pas d'horizon, un ciel hostile, desmurs nus, et la ville, proche et interdite.., un monde limité, sans intérêt, sans vie.
C'est l'imagination vigoureuse etla volonté du poète qui vont faire surgir dans la solitude nue de la cellule, l'éclat de la raison, symbolisée par lalampe qui brûle comme la poésie.
b) dans la forme
Des musiques voisines, mais non semblables.
Les deux poèmes ont en commun la simplicité du vocabulaire et de la syntaxe, et la musicalité constante de laphrase et du vers, mais le mouvement et la liaison des strophes diffèrent nettement.
Pour Verlaine, 4 strophes groupées 2 par 2, chacune de 4 vers de 8 et 4 pieds, alternés.
Mêmes rimes aux vers 1 et3, 5 et 7, mêmes mots répétés à la fin des vers I et 3 et à la fin des vers 5 et 7.
Même disposition dans les strophes 3 et 4, aux vers 9 et 11, 13 et 15.
Toutes ces répétitions traduisent la lassitude et l'ennui.
Les deux premières sontnarratives, la troisième est plus personnelle, la quatrième au style direct, est presque une confession.
Apollinaire a répété lui aussi 4 fois la même rime : « Horizon, prison, prison, raison » dans son poème condensé sur 2quatrains, qui nous donnent l'impression d'un monde clos et dépouillé : l'absence de ponctuation chère à l'auteursouligne cette unité et, c'est dans l'intérieur même de la prison que jaillit la lumière de l'intelligence rassurante : 2phrases soudées dans les 2 premiers vers du second quatrain : le jour s'en va — voici que brûle..., une seule phrasepour les 2 derniers dont le vers final du poème, d'une extraordinaire densité avec ses quatre mots essentiels : «Belle clarté Chère raison »..
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