En 1937 Georges Duhamel développait dans Défense des lettres une thèse qu'on peut résumer ainsi : Les « arts dynamiques » (radio, cinéma) nous entraînent dans leur mouvement et ne nous permettent ni de nous arrêter pour réfléchir, ni de revenir en arrière, ni même de choisir. Encourageant ainsi la passivité ils sont, à l'inverse de la lecture, un obstacle à une formation culturelle véritable. Expliquez et discutez cette idée. ?
Publié le 16/03/2010
Extrait du document
Il semble que toute innovation culturelle doive être toujours signalée d'une façon décisive par ceux-là mêmes qui par réaction ou frayeur s'attachent à la défense des anciennes formes : ainsi voyons-nous dans la Défense des lettres, ouvrage où Georges Duhamel expose des vues pessimistes sur la radio et le cinéma — devenus selon lui des menaces pour la culture, abolissant la réflexion, la possibilité de réexamen, la liberté de choix, et favorisant la passivité — l'indice le plus net d'une irrésistible ascension des « arts dynamiques «.
Tout en reconnaissant le bien-fondé des mises en garde de Duhamel, on est cependant amené à se demander si une opposition où l'on fait de la lecture le domaine du choix et de la participation, donc de la culture, et où d'autre part on assimile l'utilisation des médias audiovisuels à la passivité, donc à l'inculture, n'est pas un schéma outré et sans véritable fondement.
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Première partie : explication et arguments en faveur de la thèse de Duhamel
A. Explication.
Le lecteur peut s'arrêter au cours de sa lecture, revenir en arrière, reprendre son livre le lendemain. Il y a de sa part choix, réflexion. De ce fait la lecture est un véritable moyen de culture.
«
« Beaucoup de gens lisent comme on tricote » (A.
de Sertilanges).
• L'auditeur et le spectateur ont une possibilité de choix au départ : choix d'une émission; choix d'un film.
On peut « revenir en arrière » en revoyant un film ou simplement en réfléchissant sur les souvenirs qu'on a du film.
Le cinéma, par ailleurs, exige de plus en plus une activité, et même une agilité, de la part du spectateur.
« Le cinéma exige du spectateur une certaine technique spéciale de l'art de deviner; au fur et à mesure queprogressera le cinéma, cette technique se compliquera.
» (Eikhenbaum, 1927).
La compréhension d'un film n'est pas quelque chose qui va de soi; à la suite de la projection d'un film de C.
Autant-Lara adaptant le roman de Radiguet, Le diable au corps (film qui se présente comme un enterrement interrompu parun certain nombre de flashes-back qui expliquent comment on en est arrivé là), des personnes interrogées direntqu'elles avaient aimé le film, mais qu'elles ne comprenaient pas pourquoi on y avait inséré quatre enterrements.
B.
Un jugement prématuré.
Duhamel prend une maladie de jeunesse pour quelque chose de définitif; or :
• On constate qu'après une phase de ravissement béat l'homme s'adapte aux média : on choisit les émissions; uncertain contact public-producteurs s'établit (un million de coups de téléphone en un mois pour une émission auxÉtats-Unis).
Les émissions ou les films sont suivis souvent d'une discussion (pratique systématisée dans les ciné-clubs).
Les média ne transforment pas leurs adeptes en robots comme le voulait Duhamel.
• Un certain nombre d'inventions ont rendu caduques les critiques de Duhamel : l'électrophone, le magnétophone, lemagnétoscope permettent de « choisir » et de « revenir en arrière ».
La télévision par câbles ouvre par ailleurs des possibilités de création.
• Caractère complémentaire du livre et des « arts dynamiques ».
Les « arts dynamiques », qui eux-mêmes font une grande consommation d'ouvrages écrits, n'ont pas fait diminuer lalecture, au contraire.
Le spectateur achète souvent un livre en rapport avec une émission qui l'a intéressé; laréflexion, pour venir après coup, n'en garde pas moins sa valeur.
Conclusion à la deuxième partie
L'opposition entre la lecture, domaine de l'effort, donc de la culture, et les « arts dynamiques », domaine de lapassivité, donc de l'inculture, est une opposition artificielle sans véritable fondement.
Conclusion
Les risques d'une sorte d'asphyxie culturelle sous l'action des « arts dynamiques » ne sont pas purement imaginaireset le cri d'Arme de Duhamel pas tout à fait inutile.
Il faut pourtant reconnaître que ces risques ont été bienexagérés, que les « arts dynamiques » peuvent être un moyen de culture à l'égal du livre, et même souhaiter quel'école, qui les a jusqu'ici boudés, leur ouvre plus largement ses portes.
Cela pourrait être, comme l'écrit MichelTardy dans Le professeur et les images, l'occasion d'une « passionnante aventure pédagogique »..
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