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En 1883, Jules Ferry, adressant une lettre aux instituteurs, écrit : «Que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non ! La famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens.»

Publié le 17/01/2022

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ferry

Pour traiter ce sujet, on fera naturellement appel à l'expérience personnelle et à une réflexion aussi peu livresque que possible. On aura intérêt néanmoins à situer la lettre de Jules Ferry dans son contexte historique, et à confronter différents points de vue (ne pas oublier de se faire «l'avocat du diable« et d'exposer des idées que l'on ne partage pas, quitte à les contester ensuite).

 

I. L'école selon Jules Ferry

- Une école de combat.

- Au service de la République.

- A la finalité essentiellement civique et morale.

II. L'école aujourd'hui

- Elle n'est plus seule à dispenser le savoir.

- Instructions civique et morale : valeurs périmées.

- Des exigences contradictoires.

- L'école déchirée : zone protégée ou ouverte au monde ?

III. La mission de l'école

- Être un lieu de rencontre.

- Protégé de la vie mais ouvert sur elle.

- Où l'on acquiert un savoir, où l'on maîtrise le langage.

 

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« est un enseignant) ; elle doit surtout jouer un rôle civique et moral. Son rôle civique est de pallier les insuffisances des parents.

Il y a aussi de la générosité dans ce programme :soustraire l'enfant à ses parents, ce n'est pas seulement le soustraire à des idées périmées, c'est surtout lesoustraire au travail manuel obligatoire et harassant, l'ouvrir à la connaissance minimale, l'arracher parfois à un milieuqui risque de le détruire (à l'alcoolisme par exemple qui fait des ravages ou aux mauvais traitements que certainssubissent).

La «société» se charge ainsi de sauver l'enfant en lui inculquant de sains principes.

L'éducation civiquejoue un rôle fondamental : fonctionnement des institutions, de la commune, etc.

À l'époque où les médias sont plusdiscrets que de nos jours (essentiellement écrits : les journaux sont très abondants mais pas encore lus par tousnécessairement), l'école est la source d'information privilégiée : la République rappelle aux enfants, par exemple, queles hordes teutonnes ont privé la patrie de deux de ses plus belles provinces : l'Alsace et la Lorraine qu'il faudradonc reconquérir.

L'enthousiasme (provisoire) d'août 1914 pour la guerre n'a pas d'autre origine.

Le livre de lecturele plus répandu, «Le Tour de France par deux enfants», enseigne aux petits écoliers les vertus républicaines.L'enseignement est aussi profondément moral.

Il s'agit de former non des intellectuels, mais des «citoyens».

Lecours de morale joue à l'école un rôle prioritaire : le but, c'est de «faire des honnêtes gens», respectueux de la loi(qu'ils connaîtront), conscients de leurs devoirs (et de quelques droits aussi).

On y apprend à respecter les valeurscommunes : la propriété sacrée, le drapeau tricolore (Jules Ferry est aussi le père du colonialisme français : ledrapeau de la République et de l'École va flotter sur les toits de Saïgon et de Dakar, légèrement taché de sang).

Ony vante aussi les mérites de la propreté : l'hygiène est au coeur des préoccupations des hommes de pouvoir (Quisongerait à le leur reprocher ?).

Les petits Français sauront désormais qu'il faut se laver les mains avant chaquerepas, mais qu'il ne faut pas hésiter à se les salir si la patrie est en danger.

Telle est, en cette année 1883, lamission de l'école.

Est-ce encore notre vision des choses ? Il faut se faire une raison : l'école de Jules Ferry est morte.

Les combats d'arrière-garde n'y changeront rien, ni lanostalgie, ni les larmes amères sur le passé perdu...

Le monde a changé.

Il y a longtemps que l'école n'est plus pourles enfants la source universelle du savoir, et cela pour de nombreuses raisons.

Les écoliers ont désormais dans leurgrande majorité des parents, une famille qui ont été à l'école eux aussi et qui donc peuvent aider leurs propresenfants dans la mesure de leurs moyens.

Le développement des radios, télévisions et autres moyens decommunication fait que le jeune enfant apprend, acquiert un certain savoir bien au-delà des bancs de l'école, chezlui, au cinéma, voire dans la rue.

Le système a éclaté considérablement et l'école n'est plus qu'un élément parmid'autres de cette acquisition des connaissances.

Quant à l'instituteur, comme l'école à laquelle il appartient, sescompétences, sa puissance ont été largement remises en question.

De héros incontesté il est devenu un simple etmodeste fonctionnaire essayant tant bien que mal d'initier quelques bambins agités et gavés de chewing-gums et declub Dorothée à l'apprentissage difficultueux de la lecture et de l'écriture (il reste néanmoins un personnage qui faitrêver si l'on en croit le succès du feuilleton télévisé «L'Instit».

N'y aurait-il pas comme le souvenir d'un paradis perdu?).

L'école, publique et privée, est tiraillée entre diverses exigences contradictoire.

En somme, comme toutes lesinstitutions, elle est en crise, parfois aiguë. Elle semble d'ailleurs avoir abandonné tous les principes chers à Ferry : certes, dans le primaire, ni les dissertations,ni les exposés ne sont encore vraiment à l'ordre du jour, et on peut le comprendre.

Mais l'éducation civique nonplus, et on le comprend moins : les désirs du ministre actuel passeront-ils dans la réalité ? On peut l'espérer, maisen douter, tant sont grandes les pesanteurs.

L'école a pourtant, là encore, un beau rôle à jouer, et former des«citoyens» n'a rien d'aberrant en théorie, bien au contraire.

C'est peut-être même plus urgent que d'apprendre àbredouiller quelques mots d'anglais approximatifs à des enfants de huit ans...

Quant à l'éducation morale, pluspersonne ou presque, ne s'en charge, ni l'instituteur dont ce n'est plus la fonction, ni la famille souvent dépasséepar les événements, ni les fabricants de programmes télévisés pour les enfants plus attentifs à l'audience qu'aucontenu éducatif des émissions que l'on concocte.

Est-ce une des raisons d'un certain retour à l'ordre chrétien (oujuif ou musulman) auquel on assiste aujourd'hui ? Dans des sociétés un peu égarées par des changements troprapides, et rendues méfiantes par certaines «réussites» du système économique (taux de chômage, etc.), on peutconsidérer que les valeurs religieuses sont des valeurs sûres auxquelles on peut tenter de se raccrocher, quitte,pour le même prix, à se faire endoctriner et à enfermer les enfants dans un moule de pensée d'où ils auront du mal àsortir.

Il serait dommage que le fait d'acquérir une morale soit lié à l'acquisition parallèle d'oeillères et de vision dumonde intolérante.

C'est d'autant plus dommage que la «morale» est universelle et n'appartient à aucune confession: pourquoi ne pas enseigner une morale humaniste, fondée sur des notions solides comme le respect de l'autre, deses idées, de sa personne physique et morale, de son existence tout simplement ? L'école pourrait à ce moment-làjouer un rôle efficace de contre-pouvoir au lieu de tenter de courir après «la vie comme elle est», sans parvenirjamais à la rattraper. C'est qu'aujourd'hui, à l'école, on demande à peu près tout et le contraire de tout.

Ce qui explique qu'elle déçoive unpeu tout le monde : enfants, maîtres et parents.

Ceux-ci, de plus en plus nombreux à travailler, homme et femme,ou, pire encore, à chercher un emploi, ont de moins en moins de temps à consacrer à «l'élevage» de leurprogéniture, aussi voudraient-ils que l'école les prît en charge (à condition que ce soit «aux bonnes heures» et aux«bons jours» : pas de travail le samedi puisqu'eux chôment ce jour-là, tant pis si cette coupure est absurde pour lesenfants) du matin au soir et du lundi au vendredi (avec des vacances moins longues).

Trop souvent, les familles sedéchargent de l'éducation de leurs enfants sur des maîtres fréquemment mal formés (ou pas formés du tout) à cettetâche difficile.

Le bon «maître» est en effet (mission impossible) un individu (mâle ou femelle) omniscient,omniprésent, qui réunit les qualités du père (et de la mère), de l'éducateur spécialisé, de l'infirmier, dupsychanalyste et du confesseur, et tout cela pour un traitement d'une modestie tout à fait exemplaire [et, en prime(mot inconnu dans ce métier !) une absence quasi complète de considération de la part des usagers de l'école].. »

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