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En 1831, Guizot nomma Michelet chef de la section historique aux Archives. Rentré chez lui, le soir, le nouveau fonctionnaire confie ses impressions à son Journal intime

Publié le 12/02/2012

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guizot

J'ai éprouvé aujourd'hui une émotion comparable à celle qui m'envahissait lorsque, tout petit, j'allais visiter, au cloître des Augustins, le Musée des Monuments français, maintenant disparu. Mon coeur battait à se rompre, quand je pénétrais sous ces voûtes sombres, quand je contemplais dans la pénombre ces visages blêmes, quand, ardent, curieux, craintif, je m'en allais, lentement, de salle en salle, d'âge en âge. Je n'étais pas bien sûr qu'ils fussent tout à fait morts, ces dormeurs de pierre, étendus sur leur rude lit; je m'attendais à les voir ouvrir les yeux et se dresser sur leur séant, pour me conter leur histoire en une langue archaïque. Et je m'en revenais plein de songes à la maison paternelle....

guizot

« Bossuet et de Buffon, de Racine et de La Fontaine; voix rudes et herolques du Dauphine et de la Franche-Comte; voix innombrables de l'Ile-de-France, creuset de l'unite nationale; voix lentes et lourdes, mais solides et positives des Flandres; voix joviales et rusees des Picards et des Normands; voix rudes et reveuses de la Bretagne; enjouees et chantantes de l'Anjou, de la Touraine, de l'Orleanais; voix railleuses et sonores de la Gascogne; voix chaudes et musicales, insouciantes et legeres, du Languedoc et de la Pro- vence; voix apres de l'Auvergne, patrie de Pascal.

Voix diverses, dont le chceur formidable execute une symphonie unique.

J'entendis encore la voix des siecIes, traversee par des,rumeurs, des chants, des cris, des detonations.

Du fond de notre histoire, montaient les chants des moines de Saint-Martin et de Saint-Honorat; de tout le moyen age s'ele- vait un concert religieux fait des graves psalmodies conventuelles, des melo- dies gregoriennes, s'accompagnant des carillons de cloches et des accords solennels des grandes orgues, le tout entrecoupe des appels chroniques : Dieu le veult! repetes par tout un peuple.

roifis, avec l'aurore des temps nouveaux, la grele musique qui portait les vers de Ronsard; at les polyphonies deGoudimel, executees par les Huguenots dissidents sur le parvis des eglises, tandis que se celebrait a l'interieur le sacrifice de Ia Messe : les Psaumes de David rimes par Marot, se dressant en face de Ia liturgie catholique...

Et, parmi ces musiques contradictoires, le rire enorme de Gargantua, le tocsin de la Saint-Barthelemy...

De Versailles me parvinrent les echos du siècleemperruque.

Trompettes des carrousels, Te Deum eclatants, musique de Lulli sur des couplets de Moliere; musique de J.-B.

Moreau sur les chceurs d'Esther et d'Athalie, la triste devotion, apres Ia griserie des fetes amou- reuses...

Et, vers la fin, de sourds grondements, les inutiles avertisse- ments de Fenelon, de Vauban, de Boisguilbert, retentissant comme un glas funebre, annoncant de loin les funerailles de la monarchie...

Puis la Regence: plus de tour reguliere, plus de Versailles; de cent demeures princieres surgit le son des violons, des hautbois, des clavecins et des epinettes; on danse menuets et gavottes; on se grise de Champagne et de chansons...

Fetes galantes de Watteau, roucoulades des faux bergers et des aristocratiques bergeres, qui se prolongent en passant par le mediocre Devin du Village, les eras de Gretry, et les airs de Rameau, chers au grand Diderot...

jusqu'a la Marseillaise, le ca Ira et le Chant du Depart...

Fusillade de Fontenoy : ssieurs les Anglais, tirez les premiers 2.; la guerre en dentelles; les Hoch! gutt,raux des geants de Frederic, apres Rosbach; la canonnaile de Valmy; queffe &range, quelle fascinante musique s'exhale des siecles!... Les homirswpres.

les sieclesembltent aussi vouloir me confier leurs pensees, leurs secrets ralousepent garde's.

Pentendis la voix sepulcrale de Charlemagne, civilisateur de l'qccident, et bourreau des Saxons, sortant des caveaux d'Aix-la-Chapelle, et True retracant le grand reve imperial, sit& &route; la voix des Capetiens qui me contait le projet royal, d'ordre et d'unite, si souvent traverse, par les ennemis de l'exterieur, par les dissen- sions interieures, par les fautes des souverains, par la nature meme, .t les rivieres et les montagnes reclamant contre l'unite Voix de Louis VII, In Croise, < chaque jour bien confesse et administre, se lancant a travers la cavalerie turque » ; voix de Philippe-Auguste, rattachant a la couronne la Picardie et la Normandie, accelerant la construction de Notre-Dame de Paris, des halles, des hopitaux; voix de Louis IX, rendant in justice sous le chene de Vincennes, accueillant les pauvres, partant a la delivrance du tombeau- du Christ : Louis le Saint, « Phomme du moyen age at son dernier enfant 1 » Bossuet et de Buffon, de Racine et de La Fontaine; voix rudes et héroïques du Dauphiné et de la Franche-Comté; voix innombrables de l'Ile-de-France, creuset de l'unité nationale; voix lerites et lourdes, mais solides et positives­ des Flandres; voix joviales et rusées des Picards et des Normands; voix rudes et rêveuses de la Bretagne; enjouées èt chantantes de l'Anjou,- de la Touraine, de l'Orléanais; voix railleuses et sonores de la Gascogne; voix chaudes et musicales, insouciantes et légères, du Languedoc et de la Pro­ vence; voix âpres de l'Auvergne, patrie de Pruical.

Voix diverses, dont le chœur formidable exécute une symphonie unique.

J'entendis encore la voix des siècles, traversée par des-rumeurs, des chants, des cris, des détonations.

Du fond de notre histoire, montaient les chants des moines de Saint-Martin et de Saint-Honorat; de tout le moyen âge s'éle­ vait un concert religieux fait des graves psalmodies conventuelles, des mélo­ dies grégoriennes, s'accompagnant des carillons de cloches et des accords solennels des grandes orgues, le tout entrecQupé des appels chroniques : Dieu le veult! répétés par tout un peuple.

J'ouïs, avec l'aurore des temps nouveaux, la grêle musique qui portait les vers de Ronsard; et les polyphonies de Goudimel, exécutées par les Huguenots dissidents sur le parvis des églises, tandis que se célébrait à l'intérieur le sacrifice de la Messe : les Psaumes de David rimés par Marot, se dressant en face de la liturgie catholique ...

Et, parmi ces musiques contradictoires, le rire énorme de Gargantua, le tocsin de la Saint-Barthélemy ...

De Versailles me parvinrent les échos du siècle emperruqué.

Trompettes des carrousels, Te Deum éclatants, musique de Lulli sur des couplets de Molière; musique de J.-B.

Moreau sur les chœurs d'Esther et d'Athalie, -la triste dévotion, après la griserie des fêtes amou­ reuses...

Et, vers la fin, de sourds grondements, les inutiles avertisse­ ments de Fénelon, de Vauban, de Boisguilbert, retentissant comme un glas funèbre, annonçant de loin les funérailles de la monarchie ...

Puis la Régence: plus de cour régulière, plus de Versailles; de cent demeures princières surgit ,le son des violons, des hautbois, des clavecins et des épinettes; on danse ~enuets et gavottes; on se grise de Champagne et de chansons...

Fêtes galantes de Watteau, roucoulades des faux bergers et des aristocratiques bergères, qui se prolongent en passant par le médiocre Devin du Village, les ~éras de Grétry, et les airs de Rameau, chers au grand Diderot ...

jusqu'à la Marseillaise, le Ça ira et le Chant du Départ ...

Fusillade ·de Fontenoy : «Messieurs les Anglais, tirez les premiers »; la guerre en dentelles; les Hoch! gutf~raux des géants de Frédéric, après Rosbach; la canonnade de Valmy; qu~e étrange, quelle fascinante musique s'exhale des siècles! ...

Les hom~x:è..I..cL6S, siècles~-. »

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