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Émile Zola, La Fortune des Rougon

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

 

(Après le coup d'État du 2 novembre 1851, un soulèvement a lieu en Provence. Pendant la nuit, deux jeunes gens ont rejoint, par la route qui descend de Plassans, un pont sur la Viorne, au fond de la vallée, et, sur l'autre versant, ils vont apercevoir trois mille insurgés républicains qui descendent de la route de Nice et auxquels le jeune homme devait se joindre.)


La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque) sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, était comme couvert par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne (2), le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté.


Émile Zola, La Fortune des Rougon

 

Vous présenterez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez y analyser, par exemple, les procédés par lesquels l'auteur associe la nature la colère des hommes pour former une vaste symphonie. Mais ces indications ne sont pas contraignantes, et vous avez toute latitude pour organiser votre travail à votre gré, en évitant toutefois toute étude linéaire et toute séparation artificielle du fond et de la forme.

 

Le texte commence par la descente des insurgés. Ce mouvement ne doit pas être perçu négativement, il permet simplement de donner une impression de vitesse accrue par l'expression «un élan«. Ce nom laisse d'ailleurs une impression de force et d'espoir, tout à fait adaptée au propos.

 

« La grandeur. L'animation. La fusion avec les insurgés. Ce premier plan correspond à celui qui était proposé dans le libellé. Deuxième plan Premier thème : un texte descriptif dans au sein du réalisme Second thème : un récit épique Il est certain que cette deuxième organisation est plus difficile à respecter, parce que le caractère épique éclate detoute part dans le passage. Troisième plan Premier thème : le mouvement de la foule et de la nature Deuxième thème : la grandeur du spectacle Troisième thème : l'animation Ces trois caractéristiques seraient toutes placées sous le signe de l'amplification qui donne effectivementl'impression d'une vaste symphonie. Nous allons suivre ce troisième plan.

Mais les deux autres étaient tout à fait possibles, le premier correspond mêmeaux suggestions du libellé. PLAN DÉTAILLÉ Premier thème : le mouvement de la foule et de la nature Une foule en marche Le texte commence par la descente des insurgés.

Ce mouvement ne doit pas être perçu négativement, il permetsimplement de donner une impression de vitesse accrue par l'expression «un élan».

Ce nom laisse d'ailleurs une impression de force et d'espoir, tout à fait adaptée au propos. La puissance du mouvement est accrue par «la route, devenue torrent, roulait des flots vivants», avec les allitérations en «r» qui insistent sur l'idée. À cette impression s'ajoute le surgissement : «l'irruption de ces quelques milliers d'hommes», «quand les derniers bataillons apparurent», «semblèrent sortir».

Là encore, le mouvement situe d'emblée le passage dans une symbolique de la révolte, de la force. Le contrepoint nécessaire À la fin du texte, Zola parle du «peuple invisible et innombrable» et aussi des «hommes cachés».

L'immobilité qui en découle ne doit pas être comprise comme une négation du mouvement général.

Garces différents «guetteurs» sontgagnés à leur tour par le chant révolutionnaire et leur présence donne donc l'impression d'une expansion.

Ce n'estplus le mouvement visible qui l'emprunte, mais l'amplification du son avec la reprise toujours plus forte de laMarseillaise. Le mouvement de la nature Il ne s'agit pas d'un paysage immobile : la route devient «torrent» et l'image de l'eau se retrouve au fil du texte.

«La cascade» désigne, nous dit-on, les terres en gradins, et la lumière elle-même connaît une métamorphose : «sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune».

Enfin, de façon plus réaliste, le cours d'eau «la Viorne» est cité. L'importance de cet événement s'explique bien évidemment par l'image «flots vivants», où le peuple est comparé à un fleuve avec ce que cela suppose de force. Tout au long du commentaire, nous verrons qu'une correspondance s'établit entre les hommes et la nature pouramplifier le spectacle et lui donner une tonalité épique.

Il est à ce titre significatif de constater que le passagecommence par le mouvement appliqué aux hommes : «la bande descendait...» , et se termine par le même thème lié cette fois au paysage : «la campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol...».

Implicitement, cette image évoque tous les troubles qui bouleversent l'époque et qui agitent la société. Mais on note que le passage de «la bande» à « la campagne», «l'air», «le sol», de «descendait» à «ébranlement», inscrit encore le texte dans un mouvement amplificateur.. »

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