Émile ZOLA, Au bonheur des dames: Octave Mouret et la « journée de grande vente »
Publié le 17/09/2011
Extrait du document
Et Mouret regardait toujours son peuple de femmes, au milieu de
ces flamboiements. Les ombres noires s'enlevaient avec vigueur sur
les fonds pâles. De longs remous brisaient la cohue, la fièvre de
cette journée de grande vente passait comme un vertige, roulant la
houle désordonnée des têtes. On commençait à sortir, le saccage
des étoffes jonchait les comptoirs, l'or sonnait dans les caisses;
tandis que la clientèle, dépouillée, violée, s'en allait à moitié défaite,
avec la volupté assouvie et la sourde honte d'un désir contenté au
fond d'un hôtel louche. C'était lui qui les possédait de la sorte, qui
les tenait à sa merci, par son entassement continu de marchandises,
par sa baisse des prix et ses rendus, sa galanterie et sa réclame. Il
avait conquis les mères elles-mêmes, il régnait sur toutes avec la
brutalité d'un despote, dont le caprice ruinait des ménages. Sa
création apportait une religion nouvelle, les églises que désertait
peu à peu la foi chancelante étaient remplacées par son bazar, dans
les âmes inoccupées désormais. La femme venait passer chez lui les
heures vides, les heures frissonnantes et inquiètes qu'elle vivait
jadis au fond des chapelles : dépense nécessaire de passion
nerveuse, lutte renaissante d'un dieu contre le mari, culte sans
cesse renouvelé du corps avec l'au-delà divin de la beauté. S'il avait
fermé ses portes, il y aurait eu un soulèvement sur le pavé, le cri
éperdu des dévotes auxquelles on supprimerait le confessionnal et
l'autel. Dans leur luxe accru depuis dix ans, il les voyait, malgré
l'heure, s'entêter au travers de l'énorme charpente métallique, le
long des escaliers suspendus et des ponts volants.
Émile ZOLA, Au bonheur des dames.
(Octave Mouret, propriétaire du grand magasin Au bonheur des dames, a organisé une importante journée de vente. Les clientes affluent dans les rayons et, du haut d'un escalier, Mouret contemple le spectacle.)
«
brutalité d'un despote, dont le caprice ruinait des ménages.
Sa création apportait une religion nouvelle, les églises que désertait
peu à peu la foi chancelante étaient remplacées par son bazar, dans les âmes inoccupées désormais.
La femme venait passer chez lui les heures vides, les heures frissonnantes et inquiètes qu'elle vivait
jadis au fond des chapelles : dépense nécessaire de passion
nerveuse, lutte renaissante d'un dieu contre le mari, culte sans
cesse renouvelé du corps avec l'au-delà divin de la beauté.
S'il avait
fermé ses portes, il y aurait eu un soulèvement sur le pavé, le cri
éperdu des dévotes auxquelles on supprimerait le confessionnal et l'autel.
Dans leur luxe accru depuis dix ans, il les voyait, malgré
l'heure, s'entêter au travers de l'énorme charpente métallique, le long des escaliers suspendus et des ponts volants .
Émile
ZOLA, Au bonheur des dames.
Vous ferez de
ce texte un commentaire composé : vous pourrez
étudier les procédés littéraires et vous demander ce que suggère
cette vision par Zola d'une grand magasin.
Avec la série des Rougon-Macquart, Émile Zola a voulu peindre
l' « histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second
Empire
"· La dispersion des descendants d'Adelaïde Fouque, la
paysanne névrosée qui a marqué pour toujours cette famille,
permet à Zola de brosser un tableau de la société du second
Empire
à tous ses niveaux .
Ainsi, dans Au bonheur des dames
(1883), il s'intéresse à la peinture du milieu du commerce, et en
particulier d'un grand magasin.
Le propriétaire du magasin, Octave Mouret, a organisé une
« journée de grande vente •.
Alors que la journée touche à sa fin,
il contemple, du haut d'un escalier, la cohue des acheteuses qui
continuent
à se presser dans les rayons.
Zola, toujours habile à
évoquer les foules, recrée pour nous l'atmosphère de ce grand
magasin.
A travers cette évocation, toutefois,
il trace le portrait d'un
homme, Octave Mouret, et se
livre à une réflexion critique sur la
place que conquiert le commerce dans la société de son temps.
Cette
« journée de grande vente » se caractérise par une atmos
phère de
fièvre.
Partout règnent l'agitation et le désordre.
C'est la
cohue, dont
la confusion est merveilleusement évoquée par Zola.
Du haut de son escalier, Mouret ne distingue que des têtes, ou bien
encore des silhouettes contrastées : dans ce peuple de femmes,
jeunes et
vieilles, « les ombres noires s' (enlèvent) avec vigueur
sur les fonds
pâles».
La foule est réduite à l'anonymat, que traduit.
»
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