ÉLOGES, « Pour fêter une enfance », Saint-John Perse, 1911 (commentaire littéraire)
Publié le 07/03/2015
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Lecture de « Pour fêter une enfance «, in Éloges de Saint-John Perse (1887-1975)
Et tout n’était que règnes et confins de lueurs.
Et les troupeaux montaient, les vaches sentaient le sirop-de-batterie... Croissent mes membres
et pèsent, nourris d’âge ! Je me souviens des pleurs
d’un jour trop beau dans trop d’effroi, dans trop d’effroi !
... du ciel blanc, ô silence ! qui flamba comme un regard de fièvre... Je pleure comme je
pleure, au creux de vieilles douces mains...
Oh ! c’est un pur sanglot, qui ne veut être secouru, oh ! ce n’est pas cela, et qui déjà berce mon front comme une grosse étoile du matin.
... Que ta mère était belle, était pâle
lorsque si grande et lasse, à se pencher,
elle assurait ton lourd chapeau de paille ou de soleil, coiffé d’une double feuille de siguine,
et que, perçant un rêve aux ombres dévoué, l’éclat des mousselines inondait ton sommeil !
... Ma bonne était métisse et sentait le ricin ; toujours j’ai vu qu’il y avait les perles d’une sueur brillante sur son front, à l’entour de ses yeux – et si tiède, sa bouche avait le goût des pommes-rose, dans la rivière, avant midi.
... Mais de l’aïeule jaunissante et qui si bien savait soigner la piqûre des moustiques,
je dirai qu’on est belle, quand on a des bas blancs, et que s’en vient, par la persienne, la sage fleur de feu vers vos longues paupières d’ivoire.
... Et je n’ai pas connu toutes Leurs voix, et je n’ai pas connu toutes les femmes, tous les hommes qui servaient dans la haute demeure
de bois ; mais pour longtemps encore j’ai mémoire
des faces insonores, couleur de papaye et d’ennui, qui s’arrêtaient derrière nos chaises comme des astres morts.
ÉLOGES, « Pour fêter une enfance «, Saint-John Perse, 1911.
Dans les années 1900 s’opère un véritable tournant poétique, les poètes semblent rechercher leur propre voix poétique, libérée des contraintes longtemps exercées sur la poésie avec notamment les règles malherbiennes, ce sont des modernités qui éclosent et non une modernité. Quelle est cette modernité prônée par Saint-John Perse ? S’agit-il d’un poème, de prose ou de vers libres ? Ou comme l’écrira l’auteur de « page «, terme résolument vague qui lui permet d’échapper à toute catégorie. Ces quinze strophes regroupées en quintils comprennent des alexandrins, conduisent à parler de poème. Mais nous sommes loin de la versification, souvent un seul mot occupe une ligne. Faut-il alors comme pour Rimbaud et Baudelaire, parler de prose poétique, de poèmes en prose ? À proprement parler, il n’est pas question de vers libres à la manière d’Apollinaire puisque apparait tout un travail sur les sonorités, sur les formes versifiées, le refus manifeste de faire « vers «, l’absence de majuscule au début de certaines phrases. Sans aucun doute, c’est le terme de « verset « qui convient le mieux pour qualifier la forme prosodique. Qu’entendre par le substantif Éloges ? N’est-il question que de l’élégance du mot ou du genre comme expression d’une commémoration laudative ? Et comment comprendre la marque du pluriel ? Que louent ces éloges ? Pourquoi sont-ils indéterminés ? Ce n’est pas simplement l’intitulé du recueil, mais aussi le titre de différents poèmes. Sans doute, ne faut-il pas dissocier ces deux dimensions. Que l’on retrouvent dans l’étymologie : Logos, qui veut dire tout à la fois la Parole, discours mythologie, l’âme du monde de l’antiquité grecque, la poésie dans un tissu relationnel toujours mystérieux qui forme un tout indissociable.
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Dans les années 1900 s’opère un véritable tournant poétique, les poètes semblent
rechercher leur propre voix poétique, libérée des contraintes longtemps exercées sur la poésie
avec notammen t les règles malherbiennes, ce sont des modernités qui éclosent et non une
modernité.
Quelle est cette modernité prônée par S aint-John Perse ? S’agit- il d’un poème, de
prose ou de vers libres ? Ou comme l’écrira l’auteur de « page », terme résolument vague qui
lui permet d’échapper à toute catégorie.
Ces quinze strophes regroupée s en quintils
comprennent des alexandrins, conduisent à parle r de poème.
Mais nous sommes loin de la
versification, souvent un seul mot occupe une ligne.
Faut -il alors comme pour Rimbaud et
Baudelaire, parler de prose poétique, de poèmes en prose ? À proprement parler, il n’est pas
question de vers libres à la manière d’Apollinaire puisque apparai t tout un travail sur les
sonorités, sur les formes versifiées, le refus manifeste de faire « vers », l’absence de
majuscule au début de certaines phrases.
Sans au cun doute, c’est le terme de « verset » qui
convient le mieux pour qualifier la forme prosodique.
Qu’entendre par le substantif Éloges ? N’est -il question que de l’élégance du mot ou
du genre comme expression d’une commémoration laudative ? Et comment comprendre la
marque du pluriel ? Que louent ces éloges ? Pourquoi sont -ils indéterminés ? Ce n’est pas
simplement l’intitulé du recueil, mais aussi le titre de différents poèmes.
Sans doute, ne faut -il
pas dissocier ces deux dimensions.
Que l ’on ret rouvent dans l’étymologie : Logos , qui veut
dire tout à la fois la Parole, discours mythologie , l’âme du monde de l’antiquité grecque, la
poésie dans un tissu relationnel toujours mystérieux qui forme un tout indissociable.
« Pour fêter une enfance » apparaît co mme une louage, une clameur, un long poème
en prose, découpé en six parties , nous avons ici affaire à la quatrième qui en effet nous plonge
directement dans ce qui semble avoir déjà commencé anltérieurement avec la conjonction de
coordination « et » qui fait le lien avec quelque chose en amont de lui.
Plus qu’un poème prosaïque, « pour fêter une enfance » est chant, chanson, récitation.
La célébration est un rappel qui ne laisse rien de côté car tout est inscrit au fond du cœur.
Le
poème est i ci commémoration qui réactive tout ce qui a été sans rien omettre : le climat, les
choses, les éléments naturels, les mains, les visages.
Le récitatif n’est pas répétition, mais
recréation.
La poésie persienne nomme, épelle, cr ée des rapports nouveaux entr e les divers
éléments introduisant une correspond ance nouvelle entre les choses et les créatures.
La mise en italique est ici surprenante puisque ordinairement elle est marque
d’insistance.
Ici elle emporte tou t le chant, la ligne courbe de l’étrangeté du monde.
L’italique
envahie tout le poème et porte la singularité de Saint -John Perse qui va avec cette typographie
plus loin que ne la fait Apollinaire.
Cette écriture oblique spécifie l’allure du poème qui se
présente comme un véritable « manifeste », bien au- delà de la seule stylistique, elle traduit le
mouvement, le rythme, la mélodie et la musicalité de ce qui est dit.
Dans une certaine mesure,
l’italique est déjà métaphorique, pour ne pas dire poésie par opposition à l’écriture prosaïque,
commune ; par contraste avec la raideur des caractères romains.
Cette écriture penchée fait
signe à la mise e n page singulière combinée avec les espaces et les blancs.
Comme chez
Mallarmé ou encore Cendrars, Alexis L éger entend jouer avec la poésie moderne en
déployant toutes les ressources visuelles de l’écrit.
Contrairement à la poésie classique, le vers
libre se libère des contraintes codées en ne mettant pas de majuscules au début de chaque
vers, en aérant davantage le te xte pour bénéficier de toute la page, en répartissant les blancs et
les m ots avec une nouvelle dextérité : « et qui si bien » ou encore « je dirai… ».
Ce qui induit
l’effet de mouvement, de balancement : « de bois ; mais pour longtemps encore j’ai /
mémoir e », mais aussi la mise en évidence de la rime, de la tonalité du chant.
Il est difficile ici
de ne pas y voir l ’audace stylistique de Claudel.
Ces cassures, loin de perturber le sens,
assignent au contraire au poème son harmonie, sa musique.
Grace à cette nouvelle
organisation typographique, le visuel se conjugue avec la sonorité des alexandrins : « sirop -.
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