ÉLÉGIE (Histoire de la littérature)
Publié le 06/12/2018
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ÉLÉGIE. Élégie est le calque du latin elegia, lui-même formé sur le grec elegeia issu de elegos (chant de deuil), d’étymologie inconnue, peut-être apparenté à eleleu (cri de douleur), ou à un mot phrygien conservé en arménien, elegn (roseau), mais sûrement pas dérivé de l’expression é legein (dire hélas!), comme le voulait une étymologie
populaire. Le mot désigne, dans l'Antiquité, tout poème écrit en distiques élégiaques (formés d’un hexamètre et d’un pentamètre dactyliques), quel que soit le thème qu’il traite. A partir de la Renaissance, l’élégie se définit, au contraire, par un critère thématique exclusif de toute marque formelle; elle exprime des sentiments tendres ou tristes : joies et peines de l’amour, amitiés et deuils, mélancolie devant la fuite du temps et le déclin de toute chose. Mais cette mutation sémantique — qui est peut-être régression à un sens originel — n’est ni radicale ni irréversible : sous le litre d'élégies, on trouve des poèmes — écrits ou non en distiques — qui ressemblent à des épîtres, englobent des narrations et des descriptions, abordent toutes sortes de sujets; parallèlement, les sentiments élégiaques se font jour dans de multiples formes telles que le sonnet, l’ode, la tragédie, l’épopée ou le poème didactique... Les théoriciens ne s’accordent pas sur l’étendue du domaine thématique qui appartient en propre à l’élégie : les uns, comme Du Bellay et Boileau, se cantonnent à la mélancolie et au deuil; certains, comme Mancini-Nivernois et Marmontel, aux passions amoureuses; d’autres, comme Chénier et Millevoye, reviennent à la diversité antique, ou même, comme Tré-neuil {Discours sur l'élégie héroïque, 1817), réclament une totale mutation des thèmes.
Le concept
Sans critère formel pour assurer sa stricte définition, l’élégie est moins un genre poétique qu’une certaine tonalité mélancolique de l’inspiration qui exclut la poésie de l’action (l’épopée), de l’affrontement (la tragédie), de l’invective (la satire) : loin de la grandeur héroïque, de la fatalité pathétique, de la brutalité véhémente qui engage dans les luttes humaines, l’élégiaque se limite à une tristesse songeuse. Il prend avec la réalité cette distance du chant qu’évoque Du Bellay dans ses Regrets :
... Je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante. Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante.
Il se cantonne dans une intimité sentimentale et affective où s’ébauchent déjà une retraite devant le flux de la vie et les orages de la passion, un apaisement favorisé par les régularités harmonieuses du vers, une réintériorisation de l’événement par le souvenir. Aussi l’élégie est-elle instable, fugace, menacée, dès sa renaissance au xvic siècle, par un éclectisme thématique qui brise l’illusoire unité de la méditation nostalgique, ou, après l’âge romantique qui l’épanouit, sans cesse interrompue par une grinçante ironie, une intrusion de violences affectives ou verbales qui dissipent les chimères et les mirages de la rêverie grise.
La renaissance de l'élégie
Au Moyen Âge, les peines d’amour des troubadours et des trouvères, les lassitudes d’un Charles d’Orléans, qui confie à des strophes délicates son histoire « de larmes toute enrubannée », les regrets et les appréhensions de Villon appartiennent au courant élégiaque. Mais l’élégie ne renaît, en tant que forme et concept distincts, qu’au début du xvie siècle, avec Marot, où elle ressemble souvent à une épître, et surtout avec les poètes de la Pléiade. Du Bellay prescrit un retour à l’antique : « Distille, avec un style coulant et non scabreux, ces pitoyables élégies, à l’exemple d’un Ovide, d’un Tibulle et d’un Properce, y entremêlant quelquefois de ces fables anciennes, non petit ornement de poésie ». Ce dernier

«
conseil
ouvre dangereusement la porte à l'envahissement
du narratif.
Ronsard donne des pièce� funèbres, amou
reuses ou courtisanes sous Je titre d' Etégies et un chef
d'œuvre de sympathie douloureuse avec la nature
(Contre les bûcherons de la forêt de Gastine, 1584).
Après lui, Desportes, Bertaut cultivent un genre qui
décline à l'époque classique.
Boileau en fixe alors la
thématique :
La plaintive élégie , en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil;
Elle peint des amants la joie et la tristesse.
Le premier xvm• siècle dissout cette spécificité dans
le badinage, la bergerie, l'idylle ou l'épître mythologique
et romanesque (1' « héroïde », qui se déchaîne à la suite
de la Lettre d'Héloïse à Abélard de Pope, traduite en
1751 ).
Le second pratique surtout l'élégie amoureuse,
qui évoque les péripéties, les joies sentimentales et sen
suelles, les craintes ct les cris des amants (Parny, Poésies
érotiques, 1778; Bertin, Amours, 1780).
Mais l'esprit ou
le libertinage remplacent souvent la passion, la tendresse
et la grâce, qui composent, selon Marmontel, la« simpli
cité touchante et noble» d'un genre qu'André Chénier
ramène à ses d1versités antiques en chantant Glycère ou
Fanny, mais aussi « la Jeune Tarentine » ou « Néaere »
(Élégies, publiées en 1819).
L'épanouissement romantique
Dès la fin du siècle des Lumières, avec la mode de la
sensibilité, l'influence d'œuvres anglaises ou allemandes
(comme J'Élégie écrite dans un cimetière de campagne
[1751] de Gray ou les Idylles [1762] de Gessner), le
nouveau sentiment de la nature, l'élégie devient une
confidence plus sincère et moins soucieuse d'effet : Fon
tanes atteint dans le genre une discrète pureté (le Jour
des Morts dans une campagne, Stances à une jeune
Anglaise).
Sous 1' Empire et sous la Restauration, le
genre connaît, son âge d'or, avec une multitude de
recueils : les Elégies (1811) de Millevoye et les Médita
tions ( 1820) de Lamartine s'apparentent, par leurs thè
mes et leur tonalité, à une immense production riche
en plaintes, pleurs, langueurs et appels à Dieu.
Joseph
Tréneuil, dans son Discours sur l'élégie héroïque
( 1817), peut bien réclamer plus de hauteur et moins de
subjectivité,, la confession emplit les œuvres d7 Mme
Dufrénoy (Elégies, 1807), de Victoire Babois (Elégies
maternelles, 1805), de Marceline Des bordes- Valmore
(Élégies et romances, 1818), aussi bien que celles de
Guttinguer, de Soumet, de Charles Loyson, de Fontaney
et de Sainte-Beuve.
Si, après 1830, le nombre de poèmes
qui s'avouent.
»
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