Devoir de Philosophie

Électre et Oreste Acte 1, scène 8, Livre de poche (Grasset), pp. 61-63 - GIRAUDOUX

Publié le 04/08/2014

Extrait du document

giraudoux

 

Pour sauver sa soeur d'un mariage qu'il juge indigne d 'eUe, Oreste a évincé le jardinier

et pris sa place d'époux, avant de révéler à Électre sa véritable identité. Électre,

qui ne manque pas une occasion de défier sa mère, s'est empressée de lui présenter

son nouveau mari, déclinant son offre de revenir auprès d'elle vivre au palais. Le

frère et la soeur se retrouvent alors face à face et célèbrent leurs retrouvailles, sous le

regard attentif du Mendiant.

LE MENDIANT, ÉLECTRE, ORESTE

ORESTE. Pourquoi hais-tu à ce point notre mère, Électre?

ÉLECTRE. Ne parle pas d'elle, surtout pas d'elle. Imaginons une minute, pour

notre bonheur, que nous ayons été enfantés sans mère. Ne parle pas.

ORESTE.J'ai tout à te dire.

5 ÉLECTRE. Tu me dis tout par ta présence. Tais-toi. Baisse les yeux. Ta parole

et ton regard m'atteignent trop durement, me blessent. Souventje souhaitais,

si jamais un jour je te retrouvais, de te retrouver dans ton sommeil.

Retrouver à la fois le regard, la voix, la vie d'Oreste,je n'en puis plus. Il eût

fallu que je m'entraîne sur une forme de toi, d'abord morte, peu à peu

10 vivante. Mais mon frère est né comme le soleil, une brute d'or à son lever .. .

Ou que je sois aveugle, et que je regagne mon frère sur le monde à tâtons .. .

Ô joie d'être aveugle, pour la soeur qui retrouve son frère. Vingt ans mes

mains se sont égarées sur l'ignoble ou sur le médiocre, et voilà qu'elles touchent

un frère. Un frère où tout est vrai. Il pourrait y avoir, insérés dans cette

15 tête, dans ce corps, des fragments suspects, des fragments faux. Par un merveilleux

hasard, tout est fraternel dans Oreste, tout est Oreste!

ORESTE. Tu m'étouffes.

ÉLECTRE.Je ne t'étouffe pas ... Je ne te tue pas ... Je te caresse.Je t'appelle à la

vie. De cette masse fraternelle que j'ai à peine vue dans mon éblouissement,

20 je forme mon frère avec tous ses détails. Voilà que j'ai fait la main de mon

frère, avec son beau pouce si net. Voilà que j'ai fait la poitrine de mon frère,

et que je l'anime, et qu'elle se gonfle et expire, en donnant la vie à mon

frère. Voilà que je fais son oreille. Je te la fais petite, n'est-ce pas, ourlée, diaphane

comme l'aile de la chauve-souris? ... Un dernier modelage, et l'oreille

25 est finie.Je fais les deux semblables. Quelle réussite, ces oreilles! Et voilà que

je fais la bouche de mon frère, doucement sèche, etje la cloue toute palpitante

sur son visage ... Prends de moi ta vie, Oreste, et non de ta mère!

ORESTE. Pourquoi la hais-tu? ... Écoute!

ÉLECTRE. Qu'as-tu? Tu me repousses? Voilà bien l'ingratitude des fils. Vous

30 les achevez à peine, et ils se dégagent, et ils s'évadent.

146

ORESTE. Quelqu'un nous surveille, de l'escalier...

ÉLECTRE. C'est elle, c'est sûrement elle. C'est la jalousie ou la peur. C'est

notre mère.

LE MENDIANT. Oui, oui, c'est bien elle.

LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX

35 ÉLECfRE. Elle se doute que nous sommes là, à nous créer nous-mêmes, à nous

libérer d'elle. Elle se doute que ma caresse vat' entourer, te laver d'elle, te rendre

orphelin d'elle ... Ô mon frère, qui jamais pourra me donner le même bienfait?

ORESTE. Comment peux-tu ainsi parler de celle qui t'a mise au monde! Je

suis moins dur pour elle, qui l'a été tant pour moi!

40 ÉLECTRE. C'est justement ce que je ne peux supporter d'elle, qu'elle m'ait

mise au monde. C'est là ma honte. Il me semble que par elle je suis entrée

dans la vie d'une façon équivoque et que sa maternité n'est qu'une complicité

qui nous lie.J'aime tout ce qui, dans ma naissance, revient à mon père.

J'aime comme il s'est dévêtu, de son beau vêtement de noces, comme il s'est

45 couché, comme tout d'un coup pour m'engendrer il est sorti de ses pensées

et de son corps même.J'aime à ses yeux son cerne de futur père, j'aime cette

surprise qui remua son corps le jour où je suis née, à peine perceptible, mais

d'où je me sens issue plus que des souffrances et des efforts de ma mère.Je

suis née de sa nuit de profond sommeil, de sa maigreur de neuf mois, des

50 consolations qu'il prit avec d'autres femmes pendant que ma mère me portait,

du sourire paternel qui suivit ma naissance. Tout ce qui est de cette naissance

du côté de ma mère, je le hais.

giraudoux

« LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX 35 ÉLECfRE.

Elle se doute que nous sommes là, à nous créer nous-mêmes, à nous libérer d'elle.

Elle se doute que ma caresse vat' entourer, te laver d'elle, te rendre orphelin d'elle ...

Ô mon frère, qui jamais pourra me donner le même bienfait? ORESTE.

Comment peux-tu ainsi parler de celle qui t'a mise au monde! Je suis moins dur pour elle, qui l'a été tant pour moi! 40 ÉLECTRE.

C'est justement ce que je ne peux supporter d'elle, qu'elle m'ait mise au monde.

C'est là ma honte.

Il me semble que par elle je suis entrée dans la vie d'une façon équivoque et que sa maternité n'est qu'une compli­ cité qui nous lie.J'aime tout ce qui, dans ma naissance, revient à mon père.

J'aime comme il s'est dévêtu, de son beau vêtement de noces, comme il s'est 45 couché, comme tout d'un coup pour m'engendrer il est sorti de ses pensées et de son corps même.J'aime à ses yeux son cerne de futur père, j'aime cette surprise qui remua son corps le jour où je suis née, à peine perceptible, mais d'où je me sens issue plus que des souffrances et des efforts de ma mère.Je suis née de sa nuit de profond sommeil, de sa maigreur de neuf mois, des 50 consolations qu'il prit avec d'autres femmes pendant que ma mère me por­ tait, du sourire paternel qui suivit ma naissance.

Tout ce qui est de cette nais­ sance du côté de ma mère, je le hais.

(PLAN DÉTAILLÉ) Enjeu du texte : une haine ambiguë et inexpliquée Cette scène de rencontre entre le frère et la sœur dévoile la complexité du personnage d'Électre (voir Approche 6, p.

130).

Il joue également un grand rôle dans le déclenchement de l'action (voir Approche 5, p.

126) : en invitant sa sœur à justifier sa haine, Oreste la pousse à se mettre en quête de la vérité.

Le texte s'ouvre sur une question d'Oreste: étonné de voir Électre mani­ fester tant d'hostilité envers leur mère, il voudrait en connaître la raison.

Mais Électre ne va pas répondre à sa demande : - dans un premier temps elle exprime son émerveillement de retrouver le frère perdu, en des termes empruntés au vocabulaire amoureux (1.

5 à 16); -puis son exaltation s'accroît : elle s'imagine donnant à Oreste sa forme et sa substance, de manière à remplacer leur mère (1.

18 à 27) ; - enfin, elle évoque sa haine pour Clytemnestre (1.

38 à 50) : celle-ci n'est que l'envers de son amour exclusif pour son père.

Le duo fraternel Les trois longues tirades d'Électre sont à peine interrompues par les répliques, extrêmement brèves, de son frère : le déséquilibre du dialogue reflète le rapport de forces qui s'instaure entre les personnages.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles