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Electre de Giraudoux: ACTE I, SCÈNE 3 (commentaire)

Publié le 17/01/2022

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Personnage énigmatique, mais essentiel, puisqu'il prend une place de plus en plus grande dans la scène, le Mendiant mérite qu'on s'interroge sur les composantes de son rôle et sur sa fonction dramatique. Être complexe, il est un personnage à plusieurs « entrées ».

« faisait le Président dans la scène précédente.

Son discours se veut éclaircissement et révélation (sur les dieux,sur la justice) ; il faudrait presque le qualifier de didactique.

Ce langage peut même devenir révélation desecrets de famille.

Lorsque Égisthe affirme : « Je sais ce que tu vas me dire au nom de ta brave et honnêtefamille, au nom de ta digne belle-soeur l'infanticide, de ton oncle respecté le satyre, et de ton déférent neveu,le calomniateur », il fait écho à ce que le Président prétendait n'être qu'une simple hypothèse de raisonnement: « [...] pour qu'il soit découvert — j'invente au hasard — que notre vieille tante a étranglé jeune fille sonnouveau-né, pour qu'on le révèle à son mari, et, afin de calmer cet énergumène, qu'on ne doive plus rien luiceler des attentats à la pudeur de son grand-père » (acte I, scène 2). Cependant, ce discours qui révèle ou explique, n'emprunte pas une voie directe.

Il est déjà, à un certain degré,un langage figuré.

C'est d'ailleurs ce que soulignent les répliques du Président (« Si nous parlions d'Électre,seigneur ? ») et du Jardinier (« Qu'avez-vous dit ? »).

Ce langage n'est donc pas aussi transparent qu'ilprétend l'être.

Il procède par comparaisons, par images, qui semblent autant de détours.

Aussi le discoursd'Égisthe peut-il être qualifié d'allusif et de tangentiel. 1. La parabole caractérise les deux interventions majeures du Mendiant.

Le terme a bien ici son sens originel et habituel de comparaison, de discours allégorique, c'est-à-dire de langage détourné.

En effet, les répliques duMendiant semblent tout d'abord saugrenues et déplacées.

Mais elles contiennent un sens profond et troublant. 2. La parabole des hérissons est bien plus qu'une déploration pitoyable de vagabond prétendument ivre.

Elle est un enseignement détourné (donc une parabole) qui permet de s'interroger sur la justice et sur le destin.Elle semble corroborer les dires d'Égisthe, mais elle les rectifie et les remet sournoisement en cause.À cette première parabole fait suite celle de la louve Narsès.

Le sens du discours allégorique,faussement anecdotique, se précise.

Électre, qui était le jeune hérisson victime d'un destinimpitoyable est devenue la louve sanguinaire. Les vaticinations sont représentatives d'un langage qui est non seulement prophétique mais métaphorique.

Il est amusant de constater ici à quel point la prétendue ivresse du Mendiant est ambiguë.Elle a pour écho l'ivresse de l'inspiration poétique ou du délire prophétique.

Mais, comme Cassandre, dansLa Guerre de Troie n'aura pas lieu, le Mendiant n'annonce que le malheur. Les multiples détours d'une parole bavarde finissent par occulter les répliques d'Égisthe.

Ils obscurcissentle sens, tout en donnant beaucoup plus d'épaisseur à un destin où des éléments disparates sontétroitement liés les uns aux autres pour former un univers de signes énigmatiques.

Au bout de cesdétours, apparaît le verbe « se déclarer » qui représente l'accomplissement d'un destin pour Électre, Égisthe, mais aussi pour Agathe.

La parole oraculaire jette un jour brutal sur l'avenir lorsqu'elle évoque, dans la dernière réplique, « un complot d'assassins » et propose comme modèle une anecdote où « lesang a coulé ».

Le langage devient alors équivoque. 1. La connivence et le brio sont des fondements de l'écriture giradulcienne qui suppose une complicité amusée, parce qu'elle repose sur la dérision, le jeu avec les mots, les références clins d'oeil.

Le langage ydevient une sorte de fête de l'intelligence et de l'humour, où le dramaturge semble ne rien vouloir prendreau sérieux.

Quelques exemples illustreront cet aspect très particulier.

L'escabeau qu'on apporte est ladérision du trône qui échoit aux rois ou aux dieux, mais il permet aussi au Mendiant de dominer la situationet de jouer un rôle d'arbitre.

La mère aux sept enfants (allusion amusée à la symbolique du chiffre sept)qui fesse toujours le même, n'est pas sans rappeler le tableau iconoclaste de Max Ernst : La Vierge corrigeant l'Enfant Jésus devant trois témoins (1936).

La louve Narsès est un joyeux amalgame entre la réutilisation irrévérencieuse de la louve romaine (ou du loup du Petit Chaperon Rouge) et un nom vaguement grec (il pourrait aussi bien évoquer l'Égypte).

La balance où le Mendiant a pesé les mains de laboulangère de Corfou, est l'objet métaphorique où Giraudoux réactive l'expression « peser le pour et lecontre » et transforme en scène burlesque la traditionnelle déclaration d'amour.

Jeu avec les mots lorsqu'ilest question de « noeuds », de « boucle », de « lacets » ; mais les trois termes sont également lamétaphore filée du destin.

Pour le verbe « se déclarer », le dramaturge se livre à une éblouissante démonstration de la polysémie, associant chardonneret, brochet, juges, roi.

De même, il cultive un certain goût du paradoxe lorsqu'il fait dire au Mendiant : « Elle se déclarera sûrement à la minute où unhomme la prendra pour la première fois dans ses bras.

» Giraudoux donne toute sa richesse au texte, devenu un tissu (c'est le sens originel du mot textum).

Il irrigue le dialogue et lui donne sa dynamique, mais aussi son identité. Le rôle du Mendiant Personnage énigmatique, mais essentiel, puisqu'il prend une place de plus en plus grande dans la scène, leMendiant mérite qu'on s'interroge sur les composantes de son rôle et sur sa fonction dramatique.

Êtrecomplexe, il est un personnage à plusieurs « entrées ». C'est un vagabond.

Le serviteur le définit comme tel : « [...] ce mendiant qui circule dans la ville depuis quelques jours.

» Sa connaissance des routes explique la parabole des hérissons, celle de la campagne, 2.. »

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