Devoir de Philosophie

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte III, scène VII

Publié le 28/03/2011

Extrait du document

rostand

 

Partie du programme abordée: Théâtre du XXe siècle. Conseils pratiques: Cet extrait d'un grand «classique« du théâtre, revitalisé par le cinéma, a le mérite d'être construit sur de nombreux effets rhétoriques qu'on étudiera avec soin. On veillera aussi à analyser l'aspect théâtral (texte écrit pour être entendu et joué par des acteurs). Cyrano aime en secret Roxane, mais il se juge trop laid pour mériter son amour. Roxane, de son côté, aime un ami de Cyrano, Christian, lequel est trop timide pour oser lui déclarer ses sentiments. Cyrano prête sa voix à son ami pour faire sa déclaration. La scène se situe, une nuit, sous les fenêtres de Roxane. Christian est présent, mais dissimulé. Cyrano Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien, Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien, S'il se pouvait, parfois, que de loin, j'entendisse Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice ! - Chaque regard de toi suscite une vertu Nouvelle, une vaillance en moi! Commences-tu À comprendre, à présent ? Voyons, te rends-tu compte ?  

Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ? Oh ! Mais vraiment, ce soir, c'est trop beau, c'est trop doux ! Je vous dis tout cela, vous m'écoutez, moi, vous ! C'est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste, Je n'ai jamais espéré tant ! Il ne me reste Qu'à mourir maintenant ! C'est à cause des 'mots Que je dis qu'elle tremble entre les bleus rameaux ! Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles ! Car tu trembles ! car j'ai senti, que tu le veuilles Ou non, le tremblement adoré de ta main Descendre tout le long des branches du jasmin ! (Il baise éperdument l'extrémité d'une branche pendante.) Roxane Oui, je tremble, et je pleure, et je t'aime, et suis tienne ! Et tu m'as enivrée ! Cyrano Alors, que la mort vienne ! Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte III, scène vii, 1897. Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, montrer comment l'auteur fait sentir, en ce moment théâtral, la montée progressive de l'émotion.

 

rostand

« paradoxalement, il n'a jamais été si sincère.

Nous pourrons nous interroger sur le sens du travestissement pourCyrano : sert-il avant tout à dissimuler ses traits, ou bien au contraire à révéler son véritable caractère ? C'estpourquoi dans un premier temps, nous étudierons la complexité de la situation d'énonciation et dans un secondtemps, nous nous demanderons comment se manifeste le trouble profond de Cyrano dans cet extrait. L'étude de la situation d'énonciation dans ce dialogue théâtral s'avère très intéressante : elle donne lieu à une miseen abyme.Cyrano parle à Roxane.

Roxane croit s'adresser à Christian.

Mais le spectateur le voit d'un autre œil : Roxane parleau corps de Christian et à l'esprit de Cyrano.

L'illusion visuelle est possible grâce à l'ombre du soir, évoquée àplusieurs reprises dans le texte.

L'illusion sonore est moins parfaite : Roxane a perçu le changement de timbre devoix : « C'est vrai que vous avez une tout autre voix » (l.21).

Toutefois, elle l'impute à l'émotion.

Christian, présentdiscrètement sur la scène, est exclue du dialogue, réduit à la position de spectateur impuissant.

On s'aperçoit que lapart de Cyrano dans le dialogue est beaucoup plus importante que celle de Roxane : elle ne fait que relancer Cyranopar des réponses courtes, parfois même monosyllabiques ( « Quoi ? » l.17), qui ne font que reprendre les propos deCyrano : « sans se voir ? »/ « Vous le fûtes ! »/ « Si nouveau ? »/ « Raillé de quoi ? »/ « La fleurette a du bon »(l.4/11/27/30/35).Cyrano joue donc un rôle, celui de Christian : c'est une forme de « théâtre dans le théâtre ».

Quant à Christian,c'est à la fois le metteur en scène du spectacle, puisqu'il a poussé Cyrano à prendre sa place, et un spectateurmuet.

La position de Roxane, sur son balcon, offre une similitude avec celle des spectateurs de théâtre quisurplombent aussi la scène.

Ses réactions sont simplement admiratives ou étonnées, comme en témoignent lesnombreux points d'exclamation et points d'interrogation qui ponctuent ses répliques : cette attitude assez passivefait aussi penser à celle d'une spectatrice.

Ce « théâtre dans le théâtre » constitue une mise en abyme du motif dela comédie.Les spectateurs ne comprennent pas les paroles de Roxane de la même manière que celle-ci.

Edmond Rostandétablit un jeu complice avec le public, qui perçoit les allusions que Cyrano fait à dans propre cas : on peut craindreque Cyrano en vienne à se démasquer.

L'auteur répète le même procédé tout au long de l'extrait : Cyrano parle delui sans faire exprès, et il est obligé de se rattraper in extremis pour que cette maladresse paraisse explicable auxyeux de Roxane.

Ainsi, elle a du mal à comprendre pourquoi il est enchanté de lui parler dans le noir : le spectateursait tout à fait que pour Cyrano, c'est l'occasion de cacher son physique disgracieux.

Alors, Cyrano met en valeur leromantisme de la situation pour la rendre plausible.

De même, le public pense que Cyrano est prés de l'aveu, quand ildit : « Parce que…jusqu'ici / Je parlais à travers… » (l.15).

Le suspens est d'ailleurs aiguisé par les points desuspension : on peut craindre que le mot suivant soit : « Christian »…Mais le héros l'évite.

Quand Cyrano avoueavoir peur d'être raillé, chacun - Roxane mise à part- comprend qu'il s'agit d'une allusion à son nez.La situation d'énonciation permet donc établir un jeu subtil avec le spectateur, qui ne perçoit pas le discours deCyrano de la même façon que Roxane.

On se demande donc s'il va se démasquer… Cyrano court le risque de révéler à Roxane sa véritable identité parce qu'il est profondément troublé.

Beaucoupd'éléments témoignent de ses sentiments très intenses.Les didascalies reflètent vraiment l'émotion de Cyrano, qui le déstabilise… Le héros « que l'émotion gagne de plus enplus » ne sait plus quoi faire puisqu'il « se rapproche avec fièvre », mais s'arrête « avec égarement », il est «bouleversé ».

Son émoi lui fait perdre ses mots, alors même qu'il a déjà démontré dans le pièce à maintes reprisestoute sa dextérité verbale : ses hésitations sont marquées par les nombreux points de suspension (« Je nesais…tout ceci » l.25, « si nouveau…mais oui… d'être sincère » (l.27).

Il est même obligé de modifier un mot : « Maisde…d'un élan ! » (l.31), dans une sorte de balbutiement.

La difficulté de Cyrano à poursuivre sa déclaration estsymbolisée par une allitération en ( r ) qui semble rendre sa diction plus rauque : « La peur d'être raillé, toujours aucœur me serre » (l.29) et « Je pars pour décrocher l'étoile et je m'arrête / par peur du ridicule, à cueillir la fleurette» (l.33-34).

Le champ lexical de l'émotion est aussi très présent : « vertige », « émoi », « peur », « cœur »…De plus, on associe souvent Cyrano à l'idée d'un certain orgueil, ou du moins à une grande assurance.

Ici, il atendance à offrir une image de lui-même dévalorisée.

Ainsi, la double antithèse qui l'oppose à Roxane dans sadeuxième réplique : « noirceur » / « blancheur », « ombre » / « clarté », l'associe à l'obscurité.

On peut y voir unsymbole de son anonymat : il est destiné à rester dans l'ombre.

Il avoue son manque de confiance en lui : sa « peurd'être raillé », sa « peur du ridicule ».

Le héros dévoile ici ses failles, sa fragilité.Enfin, alors même que cette scène est basée sur le travestissement, Cyrano ne s'est pourtant jamais montré sisincère qu'en cet instant.

Les adverbes « jamais » et « enfin » témoignent de l'attente que Cyrano a dû endurerpour déclarer sa flamme à Roxane.

C'est une sorte de libération pour lui.

Le thème de la sincérité est très présent,alors que toute la scène est un mensonge, comme le montrent ces expressions : « mon vrai cœur », « j'ose enfinêtre moi-même », « être sincère ».

Cyrano masqué par les ombres du soir est plus authentique que le jour, où ilavoue inversement être plus superficiel : « Oui, mon cœur, / Toujours de mon esprit s'habille » (l.31-32).On découvre donc ici un nouveau Cyrano, débarrassé de sa cuirasse d'homme d'esprit, et paradoxalement plus vrai,alors qu'il se fait pourtant passer pour un autre. Cet extrait de Cyrano de Bergerac s'est révélé doublement intéressant.

D'un part, il s'agit d'une mise en abymethéâtrale qui instaure un jeu très complice avec les spectateurs, basé sur la double entente.

D'autre part, Cyrano yréalise un paradoxe : alors qu'il se fait passer pour un autre, il n'a pourtant jamais été aussi sincère…Letravestissement sert donc ici à révéler plutôt qu'à masquer, comme cela semble être assez souvent le cas authéâtre.

Ainsi, dans le Jeu de l'amour et du hasard, Silvia et Dorante découvrent grâce à leur déguisement endomestiques une attirance mutuelle qu'ils n'auraient sans doute pas éprouvée si vivement s'ils s'étaient rencontrésdans un cadre convenu.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles