Dossier sur Tartuffe de Molière
Publié le 09/05/2011
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Le spectateur de 1669 — à la place duquel il faut se mettre avant toute lecture — avait beaucoup entendu parler de cette pièce qui lui révélait un auteur engagé dans un combat sur plusieurs fronts : • Mort au début de 1664, Molière aurait laissé à la plupart des témoins de sa vie le souvenir d'un acteur original au jeu très personnel, nourri de la « commedia dell'arte « et n'évitant pas toujours la « scurrilité «, l'outrance; Scaramouche a précisé ses dons de mime et il aime imiter au naturel les passions. Il a écrit une farce tournant à la comédie de moeurs et à la satire : Les Précieuses ridicules (1659); avec Les Fâcheux (1661), comédie jouée devant Fouquet recevant le Roi, il a inauguré un genre nouveau, soit par goût personnel, soit pour plaire à la Cour : la comédie-ballet. Il va y revenir le 29 janvier 1664 avec Le Mariage forcé. En 1662, L'École des Femmes a montré d'autres ambitions : faire rire en montrant le ridicule des caractères, humaniser les personnages jusque-là si près des fantoches de la farce traditionnelle; la comédie de caractères est née. Molière, depuis L'Étourdi et Dom Garcie de Navarre semble en revanche avoir renoncé à la comédie d'intrigue à l'espagnole de ses devanciers (Corneille).
«
L'Impromptu de Versailles, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance et ne se plaisent point du tout àtrouver des obstacles.
» Peut-être pense-t-il obscurément qu'un comédien n'est pas seulement un amuseur?
2 Les plaisirs de l'He enchantée : le premier Tartuffe
Pourtant, au théâtre, Molière n'a pas coutume de prêcher : Le Tartuffe, de loin la pièce la plus engagée, la plusdangereuse pour l'auteur, la plus virulente contre certaines forces de l'Ancien Régime, est créé dans le cadre le plusfrivole et pour une circonstance peu propice à la pensée.
Nous sommes loin de la pièce à thèse et ce n'est pas lemoindre paradoxe du Tartuffe.
Il a fallu bien des générations de pédants pour faire oublier que cette comédie estune farce, en tout cas ne s'adresse pas à un public de savants.
La polémique des dévots y sera pour quelquechose.• Nous sommes à Versailles : les travaux d'agrandissement du château vont commencer.
En attendant, on a dresséun décor dans les jardins.
Le Roi veut divertir la Reine et surtout sa favorite, Louise de La Vallière, vingt ans, « labelle boiteuse » de la chanson.
Le cadre est des plus artificiels : l'île où la magicienne Alcine de l'Orlando furiosoretient prisonniers les guerriers, en particulier Roger-Louis XIV, monté sur l'Hippogriffe.
« Sa symétrie, la richesse deses meubles, la beauté de ses promenades et le nombre infini de ses fleurs, comme de ses orangers, rendent lesenvirons de ce lieu dignes de sa rareté singulière.
»• Dans ce cadre féerique, on a le 7 mai une entrée royale, où d'Artagnan porte la lance et l'écu de Sa Majesté danslequel brillait un soleil de pierreries, avec ces mots : Nec cesso, nec erro.
Le 8, est créée la pièce la plus artificiellede l'auteur, manquée, inachevée, puisqu'elle commence en vers et finit en prose : La Princesse d'Élide, « comédiegalante, mêlée de musique et d'entrées de ballet ».
Triomphe de la fadeur, cette pièce développe les « lieuxcommuns de morale lubrique » dont s'indignent dévots et bien pensants:
Songez de bonne heure à suivreLe plaisir de s'enflammer;Un coeur ne commence à vivreQue du jour qu'il sait aimer.
Le 11 au soir, on revoit Les Fâcheux.
Le lundi 12 au soir est enfin joué Le Tartuffe, après une journée de sport, deloterie.
Le 13, c'est la clôture des fêtes avec la reprise du Mariage forcé.• Le Tartuffe créé ce jour-là et qui nous restera peut-etre toujours inconnu, ce premier Tartuffe est une pièce entrois actes et en vers.
Il paraît pourtant établi que le lie acte et le Ve de la comédie que nous lisons actuellementn'existent pas encore.
Le troisième et dernier acte devait se terminer sur la confusion de Tartuffe surpris par Orgonen train de courtiser Elmire.
Cette fuite soudaine ressemble à l'éclipse de Trissotin à la fin des Femmes savantes.• La comédie de 1664 paraissait inachevée pour une raison purement technique.
Une comédie était soit uncomplément de programme en 1 acte (farce en prose, comme Les Précieuses), soit une comédie soutenue en 5actes et en vers (L'École des Femmes), soit une pièce en 3 actes et en prose selon le modèle italien (Les Fourberiesde Scapin).
Molière nous présente avec son Tante un monstre : trois actes en vers, même si le destin de chacundes personnages est réglé, devaient donner une impression d'inachèvement.
Avec Dom Juan et L'Avare nous auronsd'autres monstres inverses de celui-ci (cinq actes en prose).
Quant à Amphitryon avec trois actes en prose, ilrappellera ce premier Tartuffe.Cette pièce jouée le 12 mai tenait certainement beaucoup de la farce; elle n'avait pas la majesté de la pièce en 5actes que nous connaissons.
Tartuffe y avait une tenue quasi ecclésiastique : « grand chapeau, petit collet,cheveux courts, équivoque entre la sacristie et le siècle ».
Les jeux de scène accusaient la vulgarité et la sensualitéd'un personnage de fabliau.
Il y manquait les tirades de Cléante et l'intervention décisive du Roi pour donner dusérieux à l'action, le dépit amoureux du He acte pour lui donner plus de poésie.
Tartuffe était encore plus paillard et.
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