Dom Juan , II, 2 : «Le séducteur à l'oeuvre » - Molière (commentaire)

« La répétition des mêmes mots ou expressions ajoute encore à cet assaut verbal : les mots « beau », « belle »,« beauté » reviennent six fois dans le texte. DJ comprend rapidement la secrète ambition de Charlotte et flatte aussi sa vanité et son désir d’ascension sociale :elle mérite mieux qu’un « simple paysan » ! 2) Charmer. La flatterie a d’autant plus de pouvoir qu’elle émane d’un aristocrate, impressionnant par sa prestance physique et larichesse de ses habits (décrits précédemment par le regard naïf de Pierrot).

Il contraste ainsi avec la balourdise dePierrot quand ce dernier se plaint à Charlotte de son manque d’affection.

DJ, lui, use d’un ton courtois pour faire sadéclaration : « s’il vous plaît », « je vous prie », « souffrez que je les baise ».

Il sait tourner le compliment avec unraffinement précieux : « Point du tout, vous ne m’êtes point obligé de tout ce que je dis, et ce n’est qu’à votrebeauté que vous êtes redevable.

» Charlotte n’a sûrement pas l’habitude d’être traitée avec autant d’égards. 3) Promettre. DJ promet implicitement le mariage comme gage de bonne foi pour achever de persuader Charlotte.

Rappelons que lamariage a, au XVII, un caractère beaucoup plus sacré qu’aujourd’hui, qu’il est indissoluble et qu’une femme mariée,abandonnée comme l’a été Elvire, est vouée à la honte et au déshonneur.

Par conséquent, en contractant cesmariages, DJ prend des risques : les frères d’Elvire le pistent pour venger leur sœur.

Mais c’est pour le séducteur unmoyen infaillible d’arriver à ses fins ; c’est pourquoi, il le fait très vite intervenir dans son entreprise de séduction :« Vous n’êtes pas mariée, sans doute ? » II/ Les acteurs du combat amoureux (un jeu cruel qui révèle la perversion de DJ). 1) La résistance de Charlotte. Charlotte est visiblement éblouie par DJ.

Elle qui, dans la scène précédente, avait une position de supériorité etmanifestait à l’égard de Pierrot dédain et froideur se trouve à présent dans la situation fragile de l’amoureuse.Consciente de surcroît de la barrière sociale qui la sépare de DJ, elle adopte un ton de soumission : « Je suis bienvotre obligée ». Cependant, elle ne cède pas sans résistance, n’étant guère sotte.

Elle a de l’amour-propre et de ladignité : « Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c’est pour vous railler de moi ».

De la même manière,elle connaît ses limites et le signale au libertin qui la met mal à l’aise par ses subtilités verbales : « Monsieur, toutcela est trop bien dit pour moi et je n’ai pas d’esprit pour vous répondre ».

Enfin, elle est honnête et révèle qu’elleest promise à Pierrot, si peu enthousiaste soit-elle. Mais ce bon sens paysan n’est pas assez fort pour résister au plaisir de la vanité et Charlotte ne refuse pas le baiserque DJ lui donne sur la main.

Loin de s’indigner, elle réagit même avec coquetterie : « Si j’avais su ça tantôt, jen’aurais pas manqué de les laver avec du son ». On sent aussi qu’elle fait un effort pour se mettre au niveau de DJ, en évitant les tournures et les jurons de sonpatois.

DJ représente ici le prince charmant qui vient l’enlever de sa misère. 2) La perversion de DJ. DJ est immédiatement attiré par la beauté de la jeune paysanne qu’il traite comme une bête : « Peut-on rien voirdes plus agréable ? Tournez-vous un peu… », « Haussez un peu la tête, de grâce… », « Ouvrez vos yeuxentièrement… », « Que je voie un peu vos dents je vous prie ».

DJ, avant de consommer, vérifie la qualité de lamarchandise.

Charlotte n’est pour lui qu’un objet sexuel qu’il dévore déjà du regard, tel un chasseur ou un gourmet.Il va même jusqu’à s’avilir en embrassant la main sale de la paysanne.

Ce moment de la séduction est celui quepréfère DJ, son désir y est exacerbé par l’attente. Mais le plaisir de DJ est plus raffiné que la simple satisfaction instinctive.

Il aime que Charlotte lui résiste et l’idéequ’il va briser son union avec Pierrot ajoute du piment.

Ce plaisir est d’autant plus déloyal que Pierrot vient de lesauver de la noyade. Le raffinement est porté à son comble avec l’usage du blasphème.

Charlotte accuse DJ de la railler et celui-ci, alorsqu’il ment effrontément, se défend en invoquant Dieu : « Moi, me railler de vous ? Dieu m’en garde ».

Il poussemême l’insolence jusqu’à se faire passer pour un envoyé divin : « le Ciel, qui le connaît bien, m’a conduit ici toutexprès pour empêcher ce mariage ».. »