Dom Juan de Molière: Une structure éclatée
Publié le 05/08/2014
Extrait du document

Une structure éclatée
La dispersion spatiale
Absence d'unité de lieu
Ces fréquents déplacements rendent évidemment impossible
le respect de l'unité de lieu. Et, de fait, les précisions
contenues dans le texte prouvent un éclatement spatial qui
va totalement à l'encontre des règles classiques. Il est
préférable, pour mener à bien cette analyse, de s'appuyer
sur ces indications, plutôt que de se référer aux notations
contenues dans le Mémoire de Mahelot, répertoire des
mises en scène rédigé par les régisseurs qui se succédèrent
à l'Hôtel de Bourgogne puis à l'Hôtel de Guénégaud :
elles s'appliquent en effet aux représentations de la version
de Corneille de 1677.
Néanmoins. comme elles ne contredisent pas fondamentalement
les apports directs fournis par la comédie qu'elles
viennent parfois même préciser, il est utile de les signaler :
Acte I: il faut un palais; acte Il: une chambre, une mer;
acte Ill: un bois, un tombeau; acte IV: une chambre, un
festin; acte V : le tombeau paraît, il faut une trappe, de
l'arcanson [de la résine]. deux fauteuils. un tabouret.
L'action est loin d'être enfermée dans une pièce unique.
Elle ne se limite pas non plus au cadre plus large de la maison
ou de la rue, débordant même des limites de la ville pour se
répandre sur le vaste théâtre d'un pays : «La scène est en
Sicile«, est-il signalé. Les différents lieux scéniques, 6 en
tout, peuvent être facilement reconstitués.
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L'acte 1 a pour décor un palais. La remarque de Sganarelle
apercevant son maître : « Le voilà qui vient se promener
dans ce palais« (acte 1, scène 1) le précise. Ce n'est pas
une résidence isolée dans la campagne, mais située dans
~-ne agglomération importante. La question que pose Dom
Juan, inquiet de la présence de Gusman : « Et depuis quand
est-il en cette ville?« (acte 1, scène 2) l'indique formellement.
La destination de cette demeure est moins certaine : à voir
les personnages s'y succéder, à en croire l'expression «se
promener«, l'action se situe non pas à l'intérieur de l'édifice,
mais dans une galerie, dans une cour ou dans un parc. Lieu
indéterminé et neutre ouvert à tout venant? Asile momentané,
propriété d'un ami où Dom Juan se serait quelque
temps réfugié? Voilà qui serait plus vraisemblable, et qui
justifierait sa présence évidemment, mais aussi celle de
Sganarelle, mais également celle d'Elvire, sachant le trouver
là, et partant celle de son écuyer Gusman.
L'acte Il se déroule à la campagne, les paysans en
font foi. Au dehors, Dom Juan aborde Charlotte en ces
termes : «Quoi? dans ces lieux champêtres, parmi ces
arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme
vous êtes?« (scène 2). Sur la côte, les deux hommes viennent
d'échapper au naufrage, et Pierrot précise à sa promise :
« [. .. ] j'estions sur le bord de la mar [. .. ] « (scène 1 ). Ils
sont à peu de distance de la ville, le temps écoulé depuis la
scène précédente ne permettant pas un long déplacement.
L'unité de lieu, à l'intérieur de l'acte, n'est pas assurée sans
artifice : durant l'entretien entre Charlotte et Pierrot, les
deux rescapés se remettent de leurs émotions dans la maison
du paysan. Lorsqu'ils en sortent pour se promener, tout
en commentant l'échec de leur entreprise, c'est justement à
l'endroit où se trouve la jeune fille que les conduisent leurs
pas. Il eût été plus logique que la paysanne, comme elle en
exprimait d'ailleurs l'intention : «Par ma fi, Piarrot, il faut que
j'aille voir un peu ça« (scène 1 ), les rejoignît dans la cabane.
Il s'agit encore ici d'un lieu indéterminé commode, vestibule
en plein air, théâtre de l'affluence générale, où paraîtront
bientôt Mathurine, puis La Ramée.
L'acte 111 a pour cadre une forêt : les indications ne manquent
pas. C'est la précision, du pauvre : « [ ... ] quand vous
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serez au bout de la forêt«. qui vit par ailleurs« retiré tout seul
dans ce bois«. C'est la question que lui adresse Dom Juan :
«Quelle est ton occupation parmi ces arbres?« (scène 2).
C'est l'interrogation du maître au valet : «Mais quel est le
superbe édifice que je vois entre ces arbres?« (scène 5).
Cette forêt doit être proche et de la ville et de la mer. cet acte
marquant une continuité temporelle par rapport au précédent.
Mais. technique fréquente dans la tragi-comédie, les
personnages sont en mouvement, ce qui crée dans le décor
des modifications qui, au cours de la représentation, devaient
être sans doute indiquées de façon fort schématique. plutôt
suggérées que reproduites : à la scène 1, la conversation
entre les deux hommes se déroule, tandis qu'ils sont en
marche, jusqu'au moment où ils rencontrent le pauvre auprès
duquel ils s'enquièrent de leur chemin. Les renseignements
fournis prouvent qu'ils sont en plein coeur de la forêt. mais
sur une route, et non hors de toute voie tracée:« Vous n'avez
qu'à suivre cette route, Messieurs. et détourner à main
droite, quand vous serez au bout de la forêt« (scène 2).
A la scène 3, Sganarelle reste sur place, tandis que Dom
Juan vole au secours de Dom Carlos («Dom Juan, revenant
l'épée à la main«). A la scène 4, Dom Alonse survient en
cet endroit décidément fort fréquenté, et donne un détail
intéressant, la présence d'une fontaine ou d'une rivière :
« Faites boire là mes chevaux [...] «. Après le départ des deux
frères, les deux hommes continuent leur chemin, et, apercevant
le tombeau du commandeur, décident de le visiter :
«Dom Juan. - [ ... ] j'ai envie de l'aller voir [. .. ] Allons.
entrons dedans«; la fin de la scène 5 a donc pour décor ce
lieu funèbre : « Le tombeau s'ouvre, où lon voit un superbe
mausolée et la statue du Commandeur«.
A l'acte IV. nous voici enfin chez Dom Juan, dans une
salle prête pour le dîner. Aucun doute, le libertin attend son
repas : «Allons, qu'on me fasse souper le plus tôt que l'on
pourra« (scène 1 ). Il y est entouré de sa domesticité, il y
reçoit de nombreux visiteurs qui s'y pressent, pour une fois,
de façon fort vraisemblable. Ce retour dans une demeure peu
éloignée de la ville, car cet acte IV est à peu près dans le
prolongement temporel du précédent, n'est pas étonnant :
retrouvé par tous ceux qu'il fuyait, il n'a plus aucune raison

«
L'acte 1 a pour décor un palais.
La remarque de Sgana
relle apercevant son maître : « Le voilà qui vient se promener dans ce palais» (acte 1, scène 1) le précise.
Ce n'est pas
une résidence isolée dans la campagne, mais située dans
~-ne agglomération importante.
La question que pose Dom
Juan, inquiet de la présence de Gusman : « Et depuis quand
est-il en cette ville?» (acte 1, scène 2) l'indique formellement.
La destination de cette demeure est moins certaine : à voir
les personnages s'y succéder, à en croire l'expression «se promener», l'action se situe non pas à l'intérieur de l'édifice,
mais dans une galerie, dans une cour ou dans un parc.
Lieu
indéterminé et neutre ouvert à tout venant? Asile momen
tané, propriété d'un ami où Dom Juan se serait quelque temps réfugié? Voilà qui serait plus vraisemblable, et qui
justifierait sa présence évidemment, mais aussi celle de Sganarelle, mais également celle d'Elvire, sachant le trouver là, et partant celle de son écuyer Gusman.
L'acte
Il se déroule à la campagne, les paysans en font foi.
Au dehors, Dom Juan aborde Charlotte en ces
termes : «Quoi? dans ces lieux champêtres, parmi ces
arbres
et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes?» (scène 2).
Sur la côte, les deux hommes viennent d'échapper au naufrage, et Pierrot précise à sa promise :
« [.
..
] j'estions sur le bord de la mar [.
..
] » (scène 1 ).
Ils
sont à peu de distance de la ville, le temps écoulé depuis la
scène précédente ne permettant pas un long déplacement.
L'unité de lieu, à l'intérieur de l'acte, n'est pas assurée sans
artifice : durant l'entretien entre Charlotte et Pierrot, les
deux rescapés se remettent de leurs émotions dans la maison
du paysan.
Lorsqu'ils en sortent pour se promener, tout
en commentant l'échec de leur entreprise, c'est justement à
l'endroit où se trouve la jeune fille que les conduisent leurs pas.
Il eût été plus logique que la paysanne, comme elle en
exprimait d'ailleurs l'intention : «Par ma fi, Piarrot, il faut que
j'aille voir un peu ça» (scène 1 ), les rejoignît dans la cabane.
Il s'agit encore ici d'un lieu indéterminé commode, vestibule en plein air, théâtre de l'affluence générale, où paraîtront
bientôt Mathurine, puis La Ramée.
L'acte
111 a pour cadre une forêt : les indications ne man
quent pas.
C'est la précision, du pauvre : « [ ...
] quand vous
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