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Dom Juan de Molière: Une comédie humaine

Publié le 22/02/2012

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On ne peut aborder Dom Juan sans tenir compte de la réalité historique dans laquelle cette pièce est ancrée. A bien des égards elle contient une chronique des moeurs de ces temps. Il est significatif que bon nombre d'épisodes aient été inspirés par des anecdotes recueillies dans les Historiettes de Tallemant des Réaux, le plus talentueux conteur de potins du XVIIe siècle. C'est une oeuvre qui précède de quelques années à peine Dom Juan. Molière a pu y trouver la source de la profession de foi rationaliste de son héros. Un certain Maurice de Nassau avait fait sur son lit de mort cette belle réponse à des théologiens venus le conjurer de se convertir : «Je vous dirai seulement que je crois que deux et deux sont quatre et quatre et quatre sont huit. » Tallemant avait aussi raconté comment l'archevêque de Reims, d'Estampe, de Valençay, renvoyait ses créanciers en les accablant de politesses, de même que Dom Juan congédiant Monsieur Dimanche. Le nom même de Monsieur Dimanche n'est peut-être pas de l'invention de Molière, il est attesté par des actes notariés de l'époque. Il n'est, à vrai dire, pas d'endroit de la pièce qui n'ait sa référence dans l'histoire de cette époque. La scène du pauvre a pu avoir pour origine un fait réel dont l'auteur était un seigneur libertin, le chevalier de Roquelaure, qui avait été emprisonné pour avoir raillé la religion. Quand l'origine des situations mises en scène par Molière ne provient pas directement de la réalité contemporaine, on peut la trouver dans la littérature. Déjà Cyrano de Bergerac avait représenté sur la scène des paysans parlant patois.
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« contamination entre la logique interne du personnage et la tentation de Molière de l'utiliser pour démasquer sesadversaires.Cependant tous ces aspects ne constituent pas le centre d'intérêt principal de l'oeuvre.

Ils ne concernent qu'unecertaine couche de la société.

Dans Dom Juan, Molière semble avoir poursuivi un dessein plus vaste qui consistait àrassembler sur la scène des échantillons de tous les milieux de manière à peindre une fresque de toutes lescomposantes du pays réel et non une élite pervertie, fût-elle la plus agissante et la plus dangereuse des forces quise mesuraient alors au sommet de l'Etat. La dimension sociale Molière dans Dom Juan, plus que dans aucune autre pièce, a représenté les différentes classes sociales avec leurmentalité, leurs moeurs, leur langage.

Les aventures de son héros sont un fil conducteur qui permet à l'auteurd'ouvrir à l'ensemble de la société la scène de théâtre d'ordinaire réservée à une minorité choisie.

Le dramaturge setransforme alors en ethnologue autant qu'en sociologue.

Il confronte des types humains déterminés par leursconditions de travail et de vie.Dom Juan, avant d'être homme de plaisir, est homme de loisir.

Il est un grand noble en voie de se déclasser.

Il agardé de ses origines le comportement humain du grand seigneur à qui tout est permis.

Ses relations avec son valettraduisent le pouvoir absolu qu'il détient de ses privilèges de caste.

La peur qu'il inspire à Sganarelle n'est pas pourcelui-ci qu'un alibi facile pour excuser sa lâcheté et sa complaisance; elle repose sur un chantage permanent exercépar un maître sans scrupules pour dévoyer un esprit faible.La licence à laquelle se livre Dom Juan s'explique en grande partie par son appartenance à la haute noblesse.

Leprestige de son nom, la faveur du Roi, en raison des services rendus autrefois par son père le mettent pendantlongtemps à l'abri des lois.

Il peut perpétrer ses forfaits en toute « impunité».

Le mot revient souvent dans sonapologie de l'hypocrisie.

Il est réduit à cet expédient quand l'excès de ses scandales incite son père à lui retirer sonsoutien.Dom Juan se sait orgueilleusement au-dessus des lois, il se sent également au-dessus des autres hommes.

Sonindividualisme et son amoralisme sont indissociables de ce sentiment de supériorité qui s'exprime par sa passion de ladomination.

C'est pourquoi la bravoure dont il fait preuve à maintes reprises, et jusqu'à la fin, face au Commandeur,n'est pas en contradiction avec sa scélératesse; elle en est le complément logique.Dom Juan est un noble dévoyé, mais il est un noble dévoyé parce qu'il est un noble décadent.

Il incarne ladécadence d'une classe qui a perdu dans la société la prééminence qu'elle avait dans le passé.La Fronde est, pour une classe en déclin, la dernière tentative de maintenir sa suprématie.

Sous Louis XIV,l'instauration de la monarchie absolue va définitivement étouffer les ambitions d'une noblesse qui, écartée desaffaires, devra désormais occuper ses loisirs : la galanterie était auparavant le repos du guerrier; elle deviendra saprincipale occupation.A la fin du XVIIIe siècle, peu avant la Révolution, Choderlos de Laclos a décrit dans ses Liaisons dangereusesl'aboutissement de ce processus de dégradation de la classe jadis dominante.

Dom Juan est le signe des premièresfailles qui apparaissent dans la position politique et sociale de l'aristocratie.Dom Juan ne croit plus aux valeurs qui fondaient son origine, son identité, aux valeurs que défend encore Dom Louis,assimilant la noblesse à la vertu.

Dom Juan fait au contraire de sa noblesse l'instrument de ses vices.

Mais, enréalité, la source de son comportement est dans la dévalorisation générale de l'aristocratie. La vie et la mort de Dom Juan illustrent le processus d'autodestruction d'une classe condamnée par l'histoire.La dernière mutation de Dom Juan prend tout son sens dans ce contexte-là.

La première partie du discours surl'hypocrisie devenue «un vice à la mode» montre bien que la fausse dévotion n'est pas le fait de quelquespersonnalités isolées.

C'est une stratégie qui permet non seulement une couverture commode pour des plaisirsinterdits, c'est surtout une manoeuvre politique de la noblesse frondeuse pour comploter contre la monarchie.

En seralliant à la cabale, Dom Juan imite le Prince de Conti, ancien Frondeur, ennemi juré de Louis XIV, qui en entrantdans la Compagnie du Saint-Sacrement entend se mettre à l'abri sous l'aile de la puissante confrérie.La référence à Conti comme modèle de Dom Juan prend dès lors une signification qui n'est plus anecdotique, elle faitde Dom Juan non plus un héros atypique, mais le représentant synthétique de toute une classe qui s'est attiréel'hostilité du Roi et cherche à se maint'=ir contre le vent de l'histoire.Mais ce repli de la noblesse engendre des comportements opposés à celui de Dom Juan.

Désorientée par unemutation qui la condamne à long terme, la noblesse écoute aussi parfois les voix qui prêchent le retrait du monde.

Ala fausse dévotion de Dom Juan répond la vraie dévotion de Done Elvire.

Molière met dans la bouche de l'un la copiehabile des clichés du discours dévot; il donne à l'autre les accents de la foi la plus sincère.

Le modèle reste le mêmedans les deux cas, L'Introduction à la Vie dévote de Saint François de Sales.Les cinquante rééditions de cet ouvrage édifiant montrent qu'il était en phase avec la sensibilité du temps, unbesoin d'épanchement mystique représenté ici par la conversion de Done Elvire.

Ce n'est pas le parallélisme le moinssignifiant de la pièce que celui des deux mutations à peu près simultanées de Dom Juan et de Done Elvire, l'unprenant le masque du faux dévot peu après que son épouse lui ait annoncé sa décision de prendre le voile.Molière ne limite pas l'action de sa pièce au seul cadre de la haute aristocratie.

Il met son héros en contact avectous les milieux.

La confrontation de modes de vie et de pensée différents coexistant dans une même sociétéproduit une distanciation critique qui montre tout d'un coup cette société, non dans son apparence, mais dans saréalité scandaleuse.

Le propos de Molière, certes grand favori du Roi, n'est pas politique.

Par leur jargon ses paysansdevaient susciter plutôt le rire que la compassion de son public.

Mais il emploie à des fins théâtrales un procédé quisera repris plus tard par les philosophes du XVIII' siècle pour dénoncer les inégalités sociales et les abus d'un régime. »

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