Dom Juan acte III scene 1
Publié le 05/12/2013
Extrait du document
«
Le caractère pathétique de la scène est accentué par une des rares interventions de Sganarelle, brave bougre, qui
se sent plus proche du pauvre que de son maître et qui souffre de voir le pauvre pareillement torturé.
Elle a un effet
de dédramatisation : en suggérant un compromis, " jure un peu ", il laisse entendre que le péché n'est pas si
grand, qu'" il n'y a pas de mal ".
Peut-être Sganarelle joue-t-il dans cette scène le rôle symbolique de la mauvaise
conscience qui pousse à la faute, à la trahison des principes.
Mais peut-on jurer " un peu "? La foi, la morale
souffrent-elles de tels accommodements ? Revoilà notre Sganarelle en piètre défenseur de la morale et de la
religion, reproche souvent adressé à Molière au XVIIème siècle.
Mais voir le pauvre comme représentant du Bien,
Don Juan comme l'expression du Mal, n'est-ce pas en réalité trop simple?
Deuxième partie - approfondissement
La véritable nature du pauvre
· le rôle du pauvre : vocation, profession utile ?
A la précision du pauvre qui se pose en ermite, " retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans " pour apitoyer le
Seigneur et donner plus de valeur à sa prière, Don Juan réplique plus loin, du tac au tac, par la question " Quelle
est ton occupation parmi ces arbres ? " Le choix du terme " occupation ", la reprise de " ce bois " par " ces
arbres " révèlent le peu de considération de Don Juan pour la sainte activité de l'ermite et sa volonté de le
réintégrer dans le monde matériel, tout en mettant en cause sa véritable utilité.
· le pauvre est-il si désintéressé ?
Le renseignement sur le chemin à suivre est complété par des conseils du pauvre qui avertit les seigneurs que
" depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour ".
Comment interpréter cette extrême sollicitude? Est-ce
politesse du miséreux face au grand seigneur, prévenance réellement sincère envers autrui ou sorte de monnaie
d'échange anticipée ?
· Le pauvre a-t-il une conception véritablement chrétienne de la prière ?
Une réponse du pauvre mérite d'être examinée avec soin : en effet, " Prier le Ciel tout le jour pour les gens de
bien " peut paraître une sainte résolution, quoique la réponse fuse comme une leçon bien apprise ; mais la relative
qui suit, " qui me donnent quelque chose " fait tomber, si l'on y regarde bien, l'auréole ; la prière du pauvre
apparaît bien sélective, surtout si l'on donne à l'expression " gens de bien " deux sens opposés, moral ou
matérialiste, gens à la recherche du bien ou gens qui possèdent des biens.
La prière ne devrait-elle pas être pure
manifestation de la foi, sans condition aucune ?
LA LECON DE DON JUAN : LES refus successifs (charité, prière, Dieu)
· un être sans illusion, perspicace, sûr de lui :
Il prévient en fait la demande d'aumône en répondant à la prévenance du pauvre par une politesse extrême, tout à
fait surprenante dans la bouche d'un grand seigneur, ironique dans l'accumulation des verbes conventionnels " te
suis bien obligé , te rends grâce ", accompagnés hyperboliquement de l'apostrophe " mon ami ", du complément
de manière " de tout mon coeur ".
En fait il le paye en paroles plutôt qu'en argent, attitude d'ailleurs fréquente chez
Don Juan.
Sans doute veut-il signifier par là que ses politesses valent bien les prières du pauvre ermite.
Il contraint
ainsi le pauvre à formuler sa demande pour lui assener alors : " Ton avis est intéressé à ce que je vois ".
· un logicien impitoyable
Plus subtilement ensuite, il met en oeuvre un interrogatoire afin d'enfermer son interlocuteur dans des
contradictions et l'amener à ses propres conclusions.
L'ironie qui perce dans la surprise feinte de l'interro-négative
" il ne se peut donc pas " et du constat " Voilà qui est bien étrange " révèle la volonté critique de Don Juan.
La
maïeutique fonctionne à merveille et le malheureux pauvre, qui ne peut qu'avouer sa misère, est tombé dans le
piège.
En logicien, Don Juan utilise les réponses successives du pauvre, les additionne en quelque sorte pour
parvenir à l'audacieuse déduction : la fervente dévotion ne paie pas.
L'adjectif " étrange " renforcé par le présentatif
" Voilà " doit entraîner la réflexion sur un phénomène qui jusqu'alors paraissait normal.
Le " et " qui précède " tu es
bien mal reconnu de tes soins " termine la démonstration.
Don Juan s'efforce ainsi de pousser le Pauvre à
conclure sur l'inutilité de la prière.
Conclusion partielle et transition
Il est certes bien facile pour un homme nanti de faire dire par un infortuné qui jeûne et attend des secours, que sa
prière est vaine....
Est-ce de la cruauté de la part de Don Juan ? Peut-être, mais il se pourrait que Don Juan ne
puisse s'empêcher, en minoritaire qu'il est, - les esprits forts n'ont pas le dessus au XVII° - de démontrer à tout prix;
ne prend-il pas le même plaisir avec Sganarelle.
Il reprend en fait la même technique face au pauvre.
· un révolté contre un ordre établi
S'il termine par une déduction cinglante qui renvoie le pauvre à la misère terrestre d'un malheureux qui souffre,
abandonné de Dieu, et non pas d'un représentant de Dieu, Don Juan veut en fait insister sur le cycle infini qui
emprisonne ce pauvre : pauvreté, aumône, prière, pauvreté...
Don Juan ne peut accepter cette soumission à un
ordre des choses immuable, qui ne trouverait compensation que dans l'au-delà.
Non seulement la misère du
pauvre pour Don Juan est la preuve de l'ingrate indifférence voire de l'inexistence de Dieu, mais ce pauvre prie
pour des gens aisés qui le maintiennent dans sa pauvreté et qui peuvent en outre se donner bonne conscience
grâce à la charité.
· le blasphème comme acte, exercice libérateur.
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