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Diversité et unité du moi dans les Confessions de Rousseau

Publié le 23/06/2015

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rousseau

« L'AIR LE PLUS BIZARRE ET LE PLUS FOU « (L. II, p. 92)

La c« bizarrerie

Jean-Jacques se présente à nous comme un personnage sin­gulier, étrange, fantasque. Le mot « bizarre « revient souvent pour définir sa conduite. Ce jeune homme ayant des « notions bizarres « de la vie (L. I, p. 37), avoue son « goût bizarre « (ibid., p. 46) pour la fessée, la « bizarrerie « de son comportement (ibid., p. 69), la manière dont il rêve « bizarrement « des femmes (ibid., p. 129). Ce terme était rare avant d'être utilisé par Rousseau, qui contribua à le rendre plus fréquent et à le débarrasser de sa valeur péjorative.

La bizarrerie est la clef du caractère de Jean-Jacques. C'est par ce trait que le héros se distingue des autres hommes. Le mot est révélateur de la finesse psychologique de Rousseau. En effet, l'adjectif « bizarre « pose plus de questions qu'il n'en résout. Énig­matique et imprécis, il ne réduit pas l'être à un seul trait. Molière a pu prendre des termes comme « avare « ou « misanthrope « pour titres de ses comédies. Ils réduisent en effet le personnage à un seul trait et permettent la caricature. Le mot « bizarre « ouvre au contraire une série d'interrogations et d'interprétations. Il est au point de départ de l'enquête qu'entreprend Rousseau sur le moi.

La référence à la « bizarrerie « n'incite pas seulement à réflé­chir sur le caractère du personnage. Elle structure également le texte en servant de charnière entre le récit et l'analyse psy­chologique. Quand il évoque une attitude étrange, le narrateur s'interrompt aussitôt pour tenter de l'expliquer. Il justifie alors ce passage de la narration à l'explication : « Cette bizarrerie tient à

une des singularités de mon caractère; elle a eu tant d'influence sur ma conduite qu'il importe de l'expliquer « (L. I, p. 69). Rousseau a plusieurs fois recours à ce type de transition. Il met l'accent sur tout ce qui peut nous surprendre en lui : « Voici encore une autre folie romanesque dont jamais je n'ai pu me guérir « (L. Il, p. 116), « Je touche à un de ces traits caractéristiques qui me sont propres, et qu'il suffit de présenter au lecteur « (L. III, p. 141).

Le narrateur mentionne souvent sa singularité pour annon­cer ce qui va suivre :

On verra plus d'une fois dans la suite les bizarres effets de cette disposition [...I(L. I, p. 75);

ce que j'ai à dire dans le livre suivant est presque [...1 entièrement ignoré. Ce sont les plus grandes extravagances de ma vie (L. III, p. 177).

La « bizarrerie « de Jean-Jacques rythme ainsi Les Confessions. Elle interrompt la narration pour introduire un développement analytique, et éveille en même temps notre curiosité.

La « folie «

Un autre terme revient souvent pour caractériser le moi : celui de « folie «. Le narrateur, ce « vieux fou « (L. I, p. 59), insiste sur la « folie « de son tempérament (ibid., p. 47), de ses amours (ibid., p. 58), de sa fuite hors de Genève (L.11, p. 81). Ce sont au fond toutes ses expériences qu'il nomme ses « folies « (L. III, p. 177). Il désigne ainsi l'originalité de son caractère. Sa « folie « est sans doute ce qui n'appartient qu'à lui. Le terme est à la fois orgueilleux et humble. Le narrateur dit avec fierté qu'il peut être « amoureux à la folie « (L. I, p. 58). Mais il mentionne avec un peu de honte sa sexualité étrange, «goût bizarre toujours per­sistant et porté [...I jusqu'à la folie« (ibid., p. 46). Le narrateur est à la fois fier et gêné de sa singularité.

L'emploi ambigu du mot « folie « résume ce mélange d'arro­gance et de timidité qu'on sent souvent chez Rousseau. La force du moi tient en effet à son caractère unique, irréductible à ce que sont les autres hommes. « Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre « (ibid., p. 33), revendique Rousseau. Mais ce héros orgueilleux se trouble dès qu'il doit affronter autrui. Le sentiment d'être différent le conduit alors à un repli sur lui-même. En employant le terme de « folie «, Rousseau tout à la fois s'affirme et s'excuse.

La valeur du moi apparaît ici comme le point central des Confessions. Rousseau ne cherche jamais à ressembler à son lecteur. Si Jean-Jacques est proche de nous, ce n'est pas parce qu'il a passé sous silence l'étrangeté de sa conduite. C'est parce qu'il a montré à quel point il est, comme chacun de nous, diffé­rent des autres.

rousseau

« sérieux de l'abbé de Gouvon s'enticher tout d'un coup de l'insou­ ciant Bâcle (Lill, p.

141-142).

Nous entendrons le jeune homme timide prendre hardiment la parole devant le sénat de Berne (L.

IV, p.

207).

Le lecteur est tenté de conclure comme Rousseau : « Quelle différence dans les dispositions du même homme! » (ibid.).

Si l'on prend le texte à la lettre, Jean-Jacques est à la fois « un autre homme» (L.

Ill, p.

175) et« le même homme» (L.

IV, p.

207).

Ces deux expressions soulignent l'instabilité et la conti­ nuité du moi.

Les métamorphoses de Jean-Jacques Jean-Jacques se glisse avec souplesse dans d'autres identi­ tés que la sienne.

À Turin, pour se tirer d'un mauvais pas, il se fait passer pour un « jeune étranger de grande naissance » à l'esprit dérangé (L.III, p.

131).

Quand il voyage en Suisse, il se proclame soudain musicien et change « son nom ainsi que sa religion et sa patrie» (L.

IV, p.

198).

Le voilà devenu « Vaussore de Villeneuve».

Plus tard (au Livre VI), il s'invente encore, au cours d'un voyage, une nouvelle identité.

Il se baptise Dudding et se dit anglais, sans savoir un mot de sa prétendue langue mater­ nelle! Jean-Jacques a le don des métamorphoses.

Signe de cette mobilité, son nom se prête à de légères variations.

Le narrateur se nomme tour à tour« Jean-Jacques » (L.

1, p.

36).

« Rousseau » (ibid., p.

59),« J.J.

Rousseau 1 » (L.II, p.

99).

À l'occasion, Jean­ Jacques utilise même l'anagramme Vaussore 2 .

Ces noms, qui désignent la même personne, sont chaque fois un peu différents.

L'auteur nous dit par là que le moi, pourtant unique, est toujours d'une extrême mobilité.

1.

Dans Rousseau juge de Jean-Jacques, il est question de. »

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