Dissertation : « Enoncer des maximes s’accorde avec l’âge des vieillards, et les sujets sont ceux dont l’orateur a l’expérience ; car énoncer des maximes quand on n’a pas cet âge est malséant, comme de conter des fables ; et le faire sur des sujets dont on n’a pas l’expérience est sottise ou manque d’éducation » Aristote
Publié le 30/11/2014
Extrait du document
«
Camille Cobb
Aristote affecte l’énonciation des maximes et des fables à « l’âge des vieillards », autrement
dit à une personne d’expérience, une figure d’autorité.
Pour le philosophe grec, l’orateur qui propose
et formule des discours gnomiques doit avoir acquis une certaine expérience, plus précisément une
connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation de soi avec le monde.
En exprimant des préceptes et des règles morales, l’énonciateur est a priori contraint de connaître son
sujet compte tenu de la portée de celui-ci.
Effectivement, la maxime et la fable énoncent des vérités
morales, en d’autres termes, des principes recherchant le bien idéal, individuel ou collectif.
De cette
diffusion et de cette incarnation de valeurs, l’homme d’expérience s’impose en tant que figure
d’autorité, largement considérée et invoquée.
A bien des égards, le personnage d’Arnolphe, mis en
scène par Molière dans L’Ecole des femmes , apparaît comme une personne d’expérience et une figure
d’autorité, valeurs auxquelles se réfère Aristote.
Pour preuve, ce quadragénaire se présente, dès la
scène I de l’Acte I, comme un homme d’expérience : « Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user les femmes, Et comme on est dupé par leurs dextérités.
Contre
cet accident j’ai pris mes sûretés […] ».
D’emblée, on constate qu’Arnolphe se révèle au spectateur
comme un homme avisé.
Conscient des infidélités et des tromperies des femmes, il a su prendre ses
précautions afin de les déjouer.
De la même manière, dans la scène VII de l’Acte IV, Arnolphe se
présente comme un homme averti des perfidies des femmes grâce à son expérience et aux
enseignements qu’il a tiré des maris trompés : « En sage philosophe on m’a vu, vingt années,
Contempler des maris les tristes destinées, Et m’instruire avec soin de tous les accidents Qui font dans
le malheur tomber les plus prudents ; Des disgrâces d’autrui profitant dans mon âme, J’ai cherché les
moyens, voulant prendre une femme, De pouvoir garantir mon front de tous affronts, Et le tirer de pair
d’avec les autres fronts ».
De ces expériences, Arnolphe en tire des maximes, à l’exemple de la scène I
de l’Acte I dans laquelle il déclare à Chrysalde : « Epouser une sotte pour n’être point sot ».
Ce
précepte, véhiculant une vérité générale, tient en un seul vers, conférant ainsi à la maxime une autorité
considérable et incontestable.
Ainsi, si Arnolphe s’impose comme un homme d’expérience, il se
présente également comme une figure d’autorité, ce que la nature même de la maxime permet,
associée au statut, lui-même, d’homme intransigeant, qui n’hésite pas à interrompre son ami.
Mais si Arnolphe, dans L’Ecole des femmes , énonce ses maximes à partir de son expérience, La
Fontaine, dans ses Fables , semble agir de manière identique.
En effet, selon la tradition des fabulistes
dont s’inspire La Fontaine, la morale délivrée par la fable n’est pas dogmatique mais familière et issue
de l’expérience.
En effet, La Fontaine, d’abord maître des eaux et des forêts, est au contact de la vie
rurale et acquière ainsi, grâce à son expérience professionnelle, une connaissance de la vie provinciale
au contact des gens de la compagne et de la forêt.
Cette expérience inspire probablement certaines de
ses fables qui dressent un tableau complet de la vie rustique, à l’instar de La Laitière et le Pot au
lait 1
dans laquelle La Fontaine décrit une jeune fermière se hâtant vers la ville.
Active et entreprenante,
la jeune femme rêve de volailles et de troupeaux.
Bien que cette paysanne soit éloignée de la
bourgeoise, qui rêve de toilettes et de bijoux, elle incarne tout de même le fond de la nature humaine, à
savoir la puissance de l’imagination, commune à tous les hommes.
La Fontaine énonce ainsi une
morale à partir de son expérience de la vie provinciale et démontre, dès lors, que l’expérience peut être
à l’origine de l’énonciation de préceptes moraux.
A plus fortes raisons, la philosophie empiriste du XVIII e
siècle semble confirmer l’idée
d’Aristote selon laquelle l’expérience serait essentielle dans l’énonciation de maximes et de fables
puisque, de cette expérience externe, l’orateur peut en tirer des préceptes moraux.
Locke, dans son
Essai sur l’entendement humain (1690), soutient, contre la doctrine des idées innées, que toutes les
idées viennent de l’expérience.
L’intelligence de l’homme serait, à l’origine, une feuille vierge, sur
11 Jean de La Fontaine, Fables , Livre VII, Fable 9
2.
»
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