dissertation
Publié le 30/12/2014
Extrait du document
«
bien réelle des personnages qu’il contemple.
La représentation fidèle du réel est donc un enjeu majeur du théâtre.
C’est même une
condition nécessaire de sa réussite.
Le public a besoin, pour jouir du spectacle, de croire en ce qui
lui est montré.
Il faut également qu’il reconnaisse le réel sur la scène, et ce, dès les premières
minutes de la représentation.
Sans cet effet de reconnaissance, il ne peut se laisser prendre par
l’action et ressentir de réelles émotions.
C’est bien l’un des problèmes qui se posent à la troupe de
Bottom, lorsqu’elle cherche à mettre en scène la tragique histoire de Pyrame et Thisbé dans Le
Songe d’une Nuit d’Eté : les spectateurs pourront-ils croire en l’amour des deux jeunes gens, s’il
n’est pas de mur pour les séparer, et de faille dans ce mur pour qu’ils s’entretiennent ? pourront-ils
croire à la réalité de leurs rendez-vous nocturnes, s’il n’est pas de clair de lune pour les baigner de
leur lumière ? Malgré toute leur maladresse et leur ignorance, les apprentis comédiens retrouvent ici
une expérience essentielle du spectateur de théâtre : le spectateur, de la salle, attend que lui soit
présentée sur la scène une histoire à laquelle il puisse croire, qui ait toute l’apparence du vrai, du
réel, pour qu’il puisse éprouver des émotions véritables, rire, pitié, colère, terreur, et participer ainsi
à l’émotion théâtrale.
Le théâtre rend présent le réel, parce qu’il est un art incarné, parce que les auteurs se
donnent bien souvent une visée réaliste, parce que le spectateur a besoin de croire en la réalité de ce
qui lui est présenté.
Néanmoins, s’il y a bien une « représentation » du monde au théâtre, celle-ci ne
peut se faire qu’à travers un double filtre, celui des regards que posent, d’une part l’auteur et le
metteur en scène, d’autre part le spectateur, sur le spectacle.
La scène de théâtre est un lieu d’art, c’est-à-dire un espace artificiel : certes, les acteurs sont
des êtres de chair, et le décor constitué d’objets réels, mais la foi qu’accorde le spectateur à ce qu’il
voit repose sur un pacte nécessaire ; il accepte de prendre volontairement pour vrai ce qu’il sait être
faux.
Le théâtre est une illusion.
Chaque acteur feint d’être un personnage, des cartons feignent
d’être un palais ou une forêt.
Chaque élément de la représentation se désigne sans cesse avec
ostentation.
Cet aspect du théâtre est parfaitement illustré par le passage du Songe d’une Nuit d’Eté
que nous évoquions plus haut.
Les comédiens ont peur du pouvoir que l’illusion donne au théâtre,
aussi décident-ils de mettre en évidence lors de leur représentation ce qui doit par nature resté
caché, sous-entendu, implicite.
En affirmant « moi, dont le nom est Groin, je représente un mur »,
ou au contraire « sachez donc que je suis Etriqué le menuisier, un lion terrible, non, pas plus qu’un
lionne », ils mettent en évidence le mécanisme du théâtre, et par là même détruisent son effet.
Les
spectateurs savent que le mur n’est pas un mur, pas plus que le lion n’est lion ; mais ils doivent
pouvoir y croire, sans cela, point de spectacle.
Le théâtre repose donc sur une double feinte : le
spectacle feint de représenter le monde, et le spectateur feint de croire que le spectacle représente le
monde.
Le monde représenté sur scène est un monde fictif.
L’auteur, lorsqu’il crée un spectacle,
opère des choix, des découpages dans le réel, en fonction des effets qu’il cherche à produire.
Cela
est vrai de tous les genres dramatiques : le héros tragique n’existe pas comme tel dans le monde, il
est créé par le dramaturge pour provoquer crainte et pitié chez le spectateur.
Il en va de même du
personnage de comédie.
Bien sûr le « soldat fanfaron » de Plaute emprunte beaucoup de ses traits à
des êtres réels, mais le comique n’est obtenu que par l’hyperbole qui le caractérise.
Le nom forgé
par Plaute, « Pyrgopolinice », est à cet égard révélateur.
Ce nom n’existe pas dans le monde grec,
c’est un néologisme de l’auteur.
Mais cette création verbale est hautement signifiante, puisque le
terme est constitué de trois mots grecs identifiables pour le spectateur de l’époque, « tour » ( pyrgo ),
« ville » ( poli ) et « vaincre » ( nice ).
Le soldat fanfaron est le héros de l’hyperbole, celui qui fait
tomber les tours et soumet les villes ; il est tout entier désigné dans ce nom.
Ainsi Plaute a-t-il
volontairement déformé le réel, créant de toutes pièces un personnage dans le seul but de faire rire
les spectateurs.
C’est du regard distancié que l’auteur porte sur le monde de son temps que naît la
comédie, reflet déformant du réel.
L’auteur et le metteur en scène ne sont pas seulement les ordonnateurs du réel sur scène, ils
en sont proprement les « démiurges », pour reprendre ici une expression de Georges Forestier..
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