Deux textes extraits des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud vous sont proposés ci-dessous. À partir de l'analyse que vous en ferez, vous exposerez, dans un développement rédigé et composé, les modalités de leur exploitation à l'intention d'une classe de première. Vous pourrez par exemple vous intéresser à la tension entre volonté de rupture et « énergie visionnaire » (R. Char)
Publié le 11/08/2012
Extrait du document
Il s'agit à présent de montrer d'autres formes que prend le renouvellement de la poésie rimbaldienne à partir de 1872, mais aussi le danger que représente cette exploration du langage à travers la folie qui guette le poète. Dans la deuxième phase de la séquence, le professeur fera étudier les poèmes « Faim « et « Le loup criait sous les feuilles « lors d'une lecture comparative. Celle-ci se déroulera sur une séance. Les élèves auront lu Une saison en enfer en lecture cursive et pourront replacer ces deux poèmes dans la section « Alchimie du verbe « que Rimbaud présente comme « l'histoire d'une de [ses] folies «, comme un délire, une évasion hors de la réalité pour le poète qui se donne à l'enfer. « Alchimie du verbe « décrit donc rétrospectivement l'histoire poétique de Rimbaud. Les poèmes qui y sont cités ont été écrits au printemps de l'année 1872, et comportent des variantes importantes par rapport aux versions présentes dans Vers nouveaux et Chansons. Ces poèmes, Rimbaud les considère comme « d'espèces de romances dans lequel [il dit] adieu au monde. « L'originalité de ces textes repose d'abord sur le choix d'une forme peu classique. Ainsi l'octosyllabe de « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs « est délaissé au profit d'un mètre plus court, et surtout impair, l'heptasyllabe. Le deuxième quatrain de « Faim « alterne ces vers de sept syllabes avec deux vers de quatre syllabes, le derniers vers du poème se démarque avec ses huit syllabes. Rimbaud fait donc le choix de l'irrégularité. Les phrases sont courtes, le plus souvent construites par juxtaposition et énumération comme aux vers 3 et 4 de « Faim «
«
Ce poème marque donc une double rupture : avec les valeurs royalistes et positivistes de la société moderne, et avec la poésie traditionnelle.
Face à elles, l'auteur sedoit d'inventer un nouveau langage, qui confère à l'alchimie.
Mais cette entreprise ne va pas sans danger, c'est ce qu'il expose dans Une Saison en enfer.
Il s'agit à présent de montrer d'autres formes que prend le renouvellement de la poésie rimbaldienne à partir de 1872, mais aussi le danger que représente cetteexploration du langage à travers la folie qui guette le poète.
Dans la deuxième phase de la séquence, le professeur fera étudier les poèmes « Faim » et « Le loup criaitsous les feuilles » lors d'une lecture comparative.
Celle-ci se déroulera sur une séance.
Les élèves auront lu Une saison en enfer en lecture cursive et pourront replacerces deux poèmes dans la section « Alchimie du verbe » que Rimbaud présente comme « l'histoire d'une de [ses] folies », comme un délire, une évasion hors de laréalité pour le poète qui se donne à l'enfer.
« Alchimie du verbe » décrit donc rétrospectivement l'histoire poétique de Rimbaud.
Les poèmes qui y sont cités ont étéécrits au printemps de l'année 1872, et comportent des variantes importantes par rapport aux versions présentes dans Vers nouveaux et Chansons.
Ces poèmes,Rimbaud les considère comme « d'espèces de romances dans lequel [il dit] adieu au monde.
» L'originalité de ces textes repose d'abord sur le choix d'une forme peuclassique.
Ainsi l'octosyllabe de « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs » est délaissé au profit d'un mètre plus court, et surtout impair, l'heptasyllabe.
Le deuxièmequatrain de « Faim » alterne ces vers de sept syllabes avec deux vers de quatre syllabes, le derniers vers du poème se démarque avec ses huit syllabes.
Rimbaud faitdonc le choix de l'irrégularité.
Les phrases sont courtes, le plus souvent construites par juxtaposition et énumération comme aux vers 3 et 4 de « Faim » : « Je déjeunetoujours d'air, / de roc / de charbons/ de fer», ou comme dans la dernière strophe du même poème : « Mangez les cailloux qu'on brise, / Les vieilles pierres des églises,/ Les galets des vieux déluges, / Pains semés dans les vallées grises.
» De plus, le poème possède un vers non-rimant : « les galets des vieux déluges ».
On observeainsi une déconstruction des formes traditionnelles : il s'agit de libérer la poésie des servitudes de l'expérience, pour créer quelque-chose de nouveau et d'étonnant.
Endétruisant toute référence, le poète s'anéantit dans une langue neuve, comme un moucheron dissout dans un rayon de soleil, pour paraphraser la formule qui introduitle poème.Mais si cette originalité est visionnaire, c'est surtout par les réseaux d'images que les deux poèmes tissent.
Ils ont en commun le thème de la voracité, celle qui faitdévorer les pierres et détruire les églises, vestiges du monde ancien, dans « Faim », et dans le deuxième texte, celle du loup auquel s'identifie le poète : « comme lui jeme consume ».
Leur nourriture est inédite : en fait de pain, le sujet lyrique du premier poème se nourrit de minéraux, dont la dureté est corroborée par le rythmesaccadé du vers 4 et la rudesse des rimes en [εR], et ces pierres sont marquées par la destruction : les cailloux sont brisés, les pierres arrachées aux vieilles églises, lesgalets charriés par les déluges.
Or, cette nourriture est en rapport avec la faim qui paît « le pré des sons ».
Le sujet se nourrit ainsi de matière sonore, qu'il transformeen poésie, mais celle-ci est dangereuse, comme le vénéneux liseron.
On voit ici à l'œuvre l'expérience du dérèglement des sens.On retrouve les mêmes caractéristiques dans « Le loup criait sous les feuilles ».
On a vu plus haut dans le prédateur une image du sujet lyrique.
Affamé, il ne peutsupporter de nourriture habituelle : les plumes des volailles l'étouffent.
Autre animal intervenant dans le texte, l'araignée dédaigne, à l'instar du carnivore de lapremière strophe, les salades et les fruits.
On peut voir dans ces derniers le symbole des nourritures spirituelles que propose la société : pris au sens figuré, les saladessont les discours mensongers, le fatras philosophique et moral que sert la société bourgeoise ; les fruits ne sont pas moins connotés péjorativement, enlaidis par ladiérèse forcée, interdite dans la prosodie classique.
Ainsi l'araignée, insectivore de nature, n'a pour se nourrir que des violettes, et comme le loup, elle se consume.
Orl'araignée aussi, qui tisse sa toile comme l'écrivain construit son œuvre, est une métaphore du poète.
Ces deux animaux, créatures effrayantes dans l'imaginairepopulaire, manifestent son caractère inquiétant.
Aucune nourriture ne lui convient donc : ni celle que la société lui offre (les salades, les fruits), ni celle qu'elle luiinterdit (les volailles dérobées du poulailler), ni celle qu'il recherche de façon morbide.
Il est condamné à souffrir, à se consumer.
Le manque engendre un doublesouhait : « Que je dorme ! que je bouille » dans lequel le poète en appelle au sommeil pour oublier sa souffrance, puis aux châtiments dans l'au-delà.
Salomon et leCédron, vallée courant le long du Mont des Oliviers, où le Christ a connu son agonie, replacent le poème dans la Palestine biblique : comme le Christ, le poète estsupplicié.
Mais si le bouillon est versé dans le Cédron, c'est l'indice que tout retourne à la nature, que le sujet se perd totalement dans le cosmos.Le poète est donc torturé par son expérience de voyant, mais c'est elle qui lui permet d'accéder à la fusion dans la nature, à la compréhension totale des choses.
Cependant, l'œuvre de Rimbaud ne témoigne pas toujours de cette souffrance.
Au-delà du « dérèglement de tous les sens » se trouve le dégagement, l'ascèse, étapeultime de cette entreprise visionnaire.
C'est ce que montrent les poèmes « L'Éternité » et « Ô saisons ! ô châteaux ! », explicités par un contexte de prose qui manifesteune nouvelle volonté de rupture.La quatrième séance consistera en la lecture analytique de « L'Éternité », complétée par les paragraphes de prose qui l'encadrent.
Il s'agira de montrer quelle est cetteascèse du langage, c'est-à-dire dans quelle mesure ce texte peut être interprété comme le point culminant d'un travail de déconstruction de la « vieillerie poétique » eten quoi cette ascèse permet au sujet lyrique de devenir « étincelle d'or de la lumière nature », comme l'écrit l'auteur juste avant de citer ce poème.
Le texte s'ouvre surun cri de joie, sorte d'eurêka qui met en évidence la joie de l'instant.
Dans « la mer mêlée au soleil » s'exprime l'esprit païen de Rimbaud, mais c'est aussi un processusimaginaire de libération.
On assiste à une quête dont le graal est le soleil.
Pour le poète, voleur de feu, l'expérience poétique du monde offre à l'homme dans certainsmoments le pouvoir d'échapper au temps, comme ici devant le spectacle de la nature ; ce n'est pas le bonheur que les religions promettent après la mort, comme nousle verrons dans la strophe 4, mais un sentiment d'éternité, accessible ici et maintenant dans un moment de ravissement poétique devant la relation presque charnelleentre la mer et le soleil.
La deuxième strophe présente une injonction à l'âme de se conduire conformément à ce qu'elle espère, malgré l'attachement au monde, que lepoète résume par le symbole de la vie humaine qu'est le temps.
C'est alors qu'intervient le thème du dégagement, expression de la liberté qui passe par des métaphoresascensionnelles : « allée », « tu te dégages», « élan », « tu voles ».
La forme se simplifie à l'extrême dans un vers très court, pentasyllabique dans la plus grande partiedu texte, dont se détachent le vers de trois syllabes « au soleil » présent dans la première et la dernière strophe, ainsi que les vers 19 et vingt, qui comptent trois etquatre syllabes : « Votre ardeur / Est le devoir.
» Ces irrégularités n'apparaissaient pas dans la version publiée dans « Vers nouveaux et chansons », et apporte unelégèreté, une plus grande liberté au poème.
La construction sans complément de selon, au vers 12, va dans le même sens.
Le texte manifeste ainsi une véritable épurede la forme.
La strophe 4 montre le refus d'un monde qui ne fait que prêcher la patience, où l'espérance est toujours déçue, où toute idée de salut est renvoyée à unavenir incertain.
L'expression « nul orietur » fait référence au livre de Malachie dans l'ancien Testament : « Et orietur vobis timentibus nomen meum sol justitiae »(Et pour vous qui craignent mon nom se lèvera un soleil de justice.) À la patience, la persévérance qu'exige la science, Rimbaud oppose le surgissement immédiat etinstantané de la vision poétique, comme dans la contemplation ou la sensation des braises de satin que sont les rayons du soleil.
Ainsi l'expérience du bonheur se faitdans la fusion avec la nature.Mais ce bonheur, cette expérience ultime de la vision, détourne de la santé comme le montre la page de prose qui commence par « je devins un opéra fabuleux ».
Lesélèves relisent cet extrait afin de situer « L'Éternité » et « Ô saisons ! ô châteaux ! » dans le contexte d'Une Saison en enfer et de comprendre à la fois leur genèse et lafaçon dont l'auteur les perçoit.
L'omniprésence du motif de la folie amène à comprendre l'expérience fabuleuse de « L'Éternité » comme un délire et finalement unleurre.
On observe alors une nouvelle rupture, le rejet de sa propre création par le poète.
La poésie étant libre création, libérée de toutes les servitudes de la raison,elle devient un mode de pensée et de vie.
Cette culture de l'hallucination perpétuelle ne peut mener qu'au drame : « Ma santé fut menacée.
La terreur venait (…) Jedus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau (…) J'avais été damné par l'arc en ciel.
» D'où la sentence finale : «Cela s'est passé.
Je saisaujourd'hui saluer la beauté », qui sonne comme une fin de non-recevoir donnée à l'expérience poétique visionnaire, et répond à cette phrase qui marque le début dela crise que relate Une saison en Enfer : «Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux.
— Et je l'ai trouvée amère.
— Et je l'ai injuriée.
» Ainsi Une saison en enfermarque à la fois un accomplissement de l'originalité visionnaire de la poésie de Rimbaud, et son propre reniement.Les élèves seront évalués sur le commentaire composé du poème « Ô saisons ! ô châteaux !» Grâce à l'étude des textes précédents, ils pourront étudier comment lacélébration du bonheur se manifeste dans la forme épurée de la chanson à travers des vers brefs et des rythmes scandés.
Mais ce bonheur n'est pas dépourvu d'unecertaine mélancolie, sensible dans le refrain.
Mélancolie vis-à-vis du temps qui passe, déploré dans l'expression « ô saisons ! » et du sentiment des illusions perduesqu'exprime « ô châteaux ! », en référence aux rêves enfuis, aux châteaux en Espagne.
Ici encore il y a une mise à distance de sa propre expérience par le poète : le« charme » du bonheur est un envoûtement qui détourne de la création poétique, qui induit l'impuissance du poète en tant que voleur de feu.
La séquence pourra être complétée par la lecture d'un poème des Illuminations, « Génie », qui reprend dans un autre genre certaines thématiques abordées dans le.
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