Devoir de Philosophie

Deux philosophes romanciers : Montesquieu et Voltaire - Histoire de la littérature

Publié le 25/01/2018

Extrait du document

montesquieu

Moraliste et peintre satirique de la société, Montesquieu s'inscrit à la suite de La Bruyère et de l'auteur du Diable boiteux avec un talent d'expression et un esprit qui ne sont qu'à lui, sans pour cela le qualifier spécialement comme roman­cier. La fiction d'un voyageur naïf et ironique n'est pas non plus création roma­nesque; en doublant Uzbek par Rica, en faisant un instant apparaître par les yeux de Rhédi un troisième aspect de l'Europe, Montesquieu a multiplié ingénieu­sement les points de vue, variant ainsi le procédé fondamental d'exposition, mais ne songeant pas à impliquer Rica dans l'intrigue, ni à donner à son rapport avec Uzbek un rôle utilisable dans un roman : Rica n'est qu'un compagnon de voyage, et un instrument d'investigation complémentaire au service du philosophe. Le germe du roman n'est pas dans la multiplicité des points de vue, il est dans leur évolution, essentiellement dans celle d'Uzbek : au cours d'un si long séjour, Uzbek perd sa naïveté, aperçoit la raison d'être de ce qui l'étonnait, préfère en plus d'une occasion l'Occident à l'Orient. Le témoin n'est pas immuable, il change en comprenant mieux les habitudes françaises et en jugeant mieux de loin les habitudes orientales. Sérieux comme est Uzbek, il réfléchit sur les diffé­rences qu'il constate entre l'Orient et l'Occident et veut apprécier raisonnablement l'un et l'autre, d'où l'enquête qu'il mène par lettres avec ses correspondants, quelquefois consulté, le plus souvent consultant, sur le meilleur gouvernement, sur le pouvoir royal, sur la nature et l'origine des lois, sur l'esclavage, sur le divorce, sur la population, sur le progrès, sur le luxe et, puisque la morale et la religion sont solidaires de la sociologie et de la politique, sur le bonheur, sur le plaisir, sur la diversité des cultes, sur les attributs de Dieu, sur la tolérance, etc. Montesquieu a bien pu placer ainsi quelque dissertation toute prête ou quelque conte inemployé, mais dans l'ensemble, comme l'a montré R. Mercier, les trois problèmes liés du bonheur, de la vertu et de la liberté sont posés dans tous les développements théoriques comme dans tous les épisodes du roman et dans tous les récits insérés; ces épisodes et ces récits étant groupés en << tableaux contrastés >> ou composés eux-mêmes de deux parties antithétiques, l'unité du livre est assurée sur le plan de la signification par la permanence des mêmes problèmes et sur le plan de la forme par l'emploi régulier du balancement et des correspondances. L'intrigue du sérail n'est plus un ornement extérieur, elle est incorporée au dessein du livre et démontre que la liberté est nécessaire au bonheur et à la véritable vertu, comme le démontrent aussi l'histoire des Troglodytes et l'anecdote d'Ibrahim et d'Anaïs.

Ce que Montesquieu a inventé, c'est de lier toutes les observations de ses voyageurs par « une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue n : au lieu d'être un recueil de chapitres distincts comme Les Caractères, les Lettres persanes sont un roman dont l'intrigue, lente à se nouer, mais piquante par sa couleur orientale et dramatique dans ses derniers épisodes, peut capter l'intérêt du lecteur : l'absence d'Uzbek, qui inspire d'abord à ses femmes des regrets et des protestations d'amour, fait naître en elles, en se prolongeant, l'impatience, l'excita­tion, le relâchement, l'esprit de querelle et finalement une révolte qui se conclut par le châtiment sanglant des coupables et le suicide de Roxane, la femme préférée d'Uzbek. Mais la forme épistolaire, « oit les sujets qu'on traite ne sont dépendants d'aucun dessein ou d'aucun plan déjà formé >>, permet à l'auteur « de joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman 9 >~. En somme Montes­quieu a concilié les avantages des lettres décousues et du roman cohérent : si l'unité de l'œuvre ne résidait que dans ce compromis, elle serait sans rigueur et la partie romanesque ne serait en réalité qu'un prétexte et un divertissement; c'est ce qu'y a vu longtemps la critique; deux articles récents de R. Mercier et de R. Laufer invitent au contraire à chercher dans les Lettres persanes une structure serrée, un lien organique entre l'imagination du romancier et la réflexion du philosophe 

montesquieu

« LE ROMA N AU XVIII• SIÈCLE, 1715-1760 > plus ou moins arrangé, ils n'ont rien écrit qui soit pour leur doctrine ce que le Tél émaque était pour la pensée de Féne lon, ou même Cleoeland pour la méditation de Prévost.

Dans les rubriques �.

En somme Montes­ quieu a concilié les avantages des lettres décousues et du roman cohérent : si l'unité de l'œuvre ne résidait que dans ce compromis , elle serait sans rigueur et la partie romanesque ne serait en réalité qu'un prétexte et un divertisseme nt; c'est ce qu'y a vu longtemps la critiq ue; deux articles récents de R.

Mercier et de R.

Laufer invitent au contraire à chercher dans les Lettres persanes une structure serrée, un lien organique entre l'imagination du romancier et la réflexion du philo sophe 4• 1.

Au tome 1 de son édition de La Nouvelle Héloïse.

2.

P.

VBRNIÈRE, Introduction à son édition des Lettres persanes, Paris, 196o, p.

IX (c'est le texte de cette édition que nous citons).

3· Les expressions entre guillemets sont tirées des Quelques réflexions sur les Lettres persanes, parues pour la première fois dans l'édition de 1754 (éd.

cit.

pp.

3-5).

4· R.

MERciER, « Le roman dans les Lettres persanes, Structure et signification », Revue des sciences humaines, 107, juillet-septembre 1962; R.

LAUFER : «La réussite romanesque et la signification des Lettres persanes de Montesquieu », Revue d'Histoire littéraire de la France, 1961 (repris dans Style rococo, style des lumiùes, Paris, 1963, pp.

51-72).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles