DÉFENSE DES SCIENTISTES: Jean ROSTAND, Peut-on modifier l'Homme ?
Publié le 11/09/2014
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TEXTE
DÉFENSE DES SCIENTISTES
Ce n'est pas, en effet, parce qu'on les admire, ces merveilleux progrès de la biologie, parce qu'on ne peut faire autrement que de s'enthousiasmer pour les perspectives grandioses que le laboratoire découvre au destin de l'homme, ce n'est pas pour cela
I14 TEXTES ABSTRAITS
qu'on ne voit pas, qu'on ne comprend pas, qu'on ne sent pas ce qu'il peut y avoir de troublant, de déconcertant, d'effrayant à voir l'homme peu à peu s'approcher de l'homme avec ses grosses mains et se préparer à éprouver sur lui-même les effets d'une sorcellerie bégayante... Quel biologiste digne de ce nom pourrait, sans une secrète émotion, et même s'il en a appelé la venue, voir venir l'heure où la technique va oser s'en prendre à l'être pensant... Nous, qu'on appelle les « scientistes « — et nous ne refusons pas cette appellation, il en est de moins honorables — nous ne sommes pas si grossièrement et naïvement insensibles qu'on veut bien le croire...
Ce n'est pas parce que nous laissons l'homme dans la nature que nous avons pour lui moins de respect et que nous sommes disposés à lui manquer d'égards. J'irais même jusqu'à dire que, peut-être, le respect de l'homme devrait être encore plus grand chez ceux qui ne croient qu'en l'homme et qui, dénués de toute illusion de transcendance, ne savent voir en lui qu'une bête non pareille, n'ayant d'autre obligation qu'envers elle-même, n'ayant à écouter d'autre loi que la sienne, n'ayant d'autres valeurs à révéler que celles qu'elle s'est données.
Jean ROSTAND, Peut-on modifier l'Homme ? (La Diane française, 1953), Hachette.

«
II4 TEXTES ABSTRAITS
qu'on ne voit pas, qu'on ne comprend pas, qu'on ne sent pas ce
qu'il peut y avoir de troublant, de déconcertant, d'effrayant à voir l'homme peu à peu s'approcher de l'homme avec ses grosses
mains et se préparer à éprouver sur lui-même les effets d'une
sorcellerie bégayante ...
Quel biologiste digne de ce nom pourrait,
sans une secrète émotion,
et même s'il en a appelé la venue, voir
venir l'heure où la technique va oser s'en prendre à l'être pensant ...
Nous, qu'on appelle les «scientistes» -et nous ne refusons
pas cette appellation, il en est de moins honorables -nous ne
sommes pas si grossièrement et naïvement insensibles qu'on veut
bien
le croire ...
Ce n'est pas parce que nous laissons l'homme dans la nature
que nous avons pour lui moins de respect et que nous sommes
disposés à lui manquer d'égards.
J'irais même jusqu'à dire que,
peut-être, le respect de l'homme devrait être encore plus grand
chez ceux qui ne croient qu'en l'homme et qui, dénués de toute
illusion de transcendance, ne savent voir en lui qu'une bête non
pareille, n'ayant d'autre obligation qu'envers elle-même, n'ayant
à écouter d'autre loi que la sienne, n'ayant d'autres valeurs à révéler que celles ·qu'elle s'est données.
Jean ROSTAND, Peut-on modifier l'Homme? (La Diane française, 1953), Hachette.
Pourquoi Jean Rostand éprouve-t-il le besoin de démontrer
ici que
les «scientistes» ne sont pas insensibles? Comment
la précision du vocabulaire contribue-t-elle à l'exactitude
de l'analyse ? Ne peut-on dégager de ce texte un véritable
humanisme scientifique ?
COMMENTAIRE PROPOS~
INTRODUCTION
Jean Rostand n'est pas seulement le grand savant dont les
travaux sur la génétique font autorité, ni le vulgarisateur qui
a fait connaître au grand public les notions fondamentales de la
biologie moderne, mais aussi
un penseur, un philosophe qui
s'est efforcé de tirer des sciences une culture humaniste et une
morale élevée.
Dans le texte ci-dessus, il a voulu défendre les
savants, ses frères, de l'accusation d'insensibilité souvent portée
contre eux, et pour cela,
il n'a pas hésité à exprimer ses propres
idées et ses sentiments personnels : n'a-t-il pas ainsi contribué
à édifier une philosophie de l'homme et de la science ?.
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