De la chronique au mythe: Analyse de La Peste de Camus
Publié le 10/08/2014
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Délaissant les séductions ambiguës du passé, se refusant de même à chanter sur le mode de l'épopée le combat de la Résistance, La Peste se veut donc une simple chronique.
De la chronique au roman
Chronique cependant bien paradoxale : car cette relation qui se veut si probe, si fidèle de l'épidémie n'est bien entendu rien d'autre que le récit d'un événement qui jamais n'a eu lieu. Le narrateur — Rieux —, cela est certain, ne relate rien d'autre que ce qu'il a vu —ou ce dont il a eu témoignage — et ceci dans l'ordre où il l'a vu. En ce sens, il n'est pas inexact de présenter La Peste comme une chronique. Mais l'auteur — Camus — lui, ne nous raconte rien qui ne soit fictif et qui ne se donne pour tel: dans cette seconde perspective, La Peste est un roman. Disons donc que ce texte ne simule la chronique que pour mieux atteindre au roman.
Si La Peste n'est pas une chronique c'est parce que, par la vertu propre à toute littérature véritable, elle ne reproduit pas le réel mais le reconstruit. Camus a toujours marqué ses distances vis-à-vis de ce que l'on nomme le réalisme. Répondant à certaines des attaques dont il avait été l'objet au temps de L'Etranger, il notait dans ses Carnets :
«Vous me prêtez l'ambition de faire réel. Le réalisme est un mot vide de sens (Mme Bovary et Les Possédés sont des romans réalistes et ils n'ont rien de commun). Je ne m'en suis pas soucié. S'il fallait donner une forme à mon ambition, je parlerais au contraire de symbole. «
Camus n'aurait-il donc pas, lui aussi, l'ambition de «faire réel «? En fait, au même titre que les oeuvres de Flaubert et de Dostoïevski, La Peste est, en un sens, un roman réaliste. Le monde dans lequel l'écriture de Camus nous fait pénétrer est certes un monde fictif, mais c'est également un monde qui ressemble à celui dans lequel nous vivons : l'hypothèse de départ acceptée, rien de ce qui y arrive n'y est impossible ni même improbable; les personnages qui y évoluent n'ont rien qui les distingue foncièrement des êtres qui vivent autour de nous car ils partagent les mêmes pensées et les mêmes émotions. Camus prend même soin d'ancrer son récit dans la réalité la plus immédiate : il n'introduit jamais de personnage dans son livre sans nous en avoir donné une description physique, il multiplie les détails qui donnent une consistance à l'univers matériel dans lequel ces personnages évoluent. En somme, par le portrait, la description, le dialogue — c'est-à-dire toutes les techniques classiques de l'art romanesque —, il fait «vivre «, à la manière d'un Flaubert, tout un monde et les êtres qui le peuplent. C'est de manière concrète, précise et même clinique que Camus trace le tableau de l'épidémie.
Cela n'est pourtant point du « réalisme «. Si Camus repousse ce terme, c'est qu'il sait qu'un fossé existe inévitablement entre le monde et l'image que l'art en renvoie. Ecrire revient inévitablement à imposer l'ordre d'un style, la cohérence d'une vision au désordre de l'existence, à l'incohérence du monde.
Faire œuvre d'écrivain signifie obligatoirement donner forme à ce qui, par nature, est informe. Par le choix de son sujet, par la manière dont il le traite, l'angle d'attaque qu'il choisit, par sa façon de mettre en scène événements et personnages, par l'articulation même des mots et des phrases, le texte littéraire crée plus qu'il ne reflète : il n'est plus question alors de représentation mais de reconstruction.
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Camus n'aurait-il donc pas, lui aussi, l'ambition de
«faire réel»? En fait, au même titre que les œuvres de
Flaubert
et de Dostoïevski, La Peste est, en un sens, un
roman réaliste.
Le monde dans lequel l'écriture de
Camus nous fait
pénétrer est certes un monde fictif,
mais c'est également un monde qui ressemble
à celui
dans lequel nous vivons: l'hypothèse de départ accep
tée, rien de ce qui y arrive n'y est impossible
ni même
improbable; les personnages qui y évoluent
n'ont rien
qui les distingue foncièrement des êtres qui vivent au
tour de nous car ils partagent les mêmes pensées et les
mêmes émotions.
Camus
prend même soin d'ancrer
son récit dans la réalité la plus immédiate: il n'introduit
jamais de personnage dans son livre sans nous
en avoir
donné une description physique, il multiplie les détails
qui
donnent une consistance à l'univers matériel dans
lequel ces personnages évoluent.
En somme, par le
portrait, la description, le dialogue -c'est-à-dire tou
tes les techniques classiques de l'art romanesque - ,
il
fait «vivre», à la manière d'un Flaubert, tout un
monde et les êtres qui le peuplent.
C'est de manière
concrète, précise
et même clinique que Camus trace le
tableau de l'épidémie.
Cela n'est
pourtant point du «réalisme».
Si Camus
repousse ce
terme, c'est qu'il sait qu'un fossé existe
inévitablement
entre le monde et l'image que l'art en
renvoie.
Ecrire revient inévitablement à imposer l'or
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d'un style, la cohérence d'une vision au désordre de
l'existence, à l'incohérence du monde.
Faire œuvre d'écrivain signifie obligatoirement don
ner forme à ce qui, par nature, est informe.
Par le
choix de son sujet,
par la manière dont il le traite,
l'angle
d'attaque qu'il choisit, par sa façon de mettre en
scène événements et personnages, par l'articulation
même des mots
et des phrases, le texte littéraire crée
plus qu'il ne
reflète: il n'est plus question alors de
représentation mais de reconstruction..
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