Dans son ouvrage consacré aux figures du « moi » dans l'oeuvre de Jaccottet, le critique littéraire Jean-Luc Seylaz écrit : « Il y a (aussi) en lui un homme qui s'applique à dire simplement le plus simple, averti des dangers de la complaisance, soucieux par conséquent de s'effacer (renoncer aux images, c'est éliminer un moi « poétique » toujours menacé de s'enchanter de sa propre parole) et convaincu que le dénuement est à la fois son destin et sa chance (Jaccottet affirme) : « A parti
Publié le 16/04/2012
Extrait du document
«
revêt dans la poésie de Jaccottet deux aspects : un paysage extérieur, écho de la réalité et un
paysage intérieur, reflet des états d’âme du poète.
Dès lors, le recueil s’oriente vers un
témoignage partiel de l’auteur faisant office d’autobiographie où il fait part de sa peine et de
sa douleur.
Le poète subit physiquement les épreuves du mourant.
Ceci se constate le mieux dans
la section « Leçon » où ses mains tremble devant la peur et la souffrance.
« Main plus errante,
qui tremble », « tes mains la peur – t’égarer, d’avoir mal, d’avoir peur ».
Ces mains,
instrument du poète tremble devant la faiblesse des mots pour décrire la douleur.
Il se
demande même comment chanter avec « ces clous dans la gorge ».
Le poète qui s'identifie aux
morts devient lui-même la proie que la mort guette : « Ecris vite ce livre, achève vite
aujourd'hui ce poème / avant que le doute de toi ne te rattrape ».
Donc, à partir de là, il y a ce
que l’on peut appeler un « éclatement du moi » qui traduit le déchirement du poète face à la
mort de ses proches.
Ceci est mis en avant par la métaphore du miroir qui lui renvoie un reflet
insupportable et cela se constate avec l’emploi de l’impératif, mais aussi d’un vocabulaire
péjoratif.
« Mais regarde-toi donc dans le miroir brandi par les sorcières ».
Alors, le poète fait face à lui-même dans cette crise existentielle qu'il traverse.
Un dialogue
s'instaure entre le « je » et le « tu ».
D'ailleurs, on ne peut pas vraiment savoir à qui se réfèrent
ces pronoms.
Tout au plus pourrions-nous supposer que le « je » représente le poète, tandis
que le « tu » serait une autre partie de lui-même.
Des injonctions mettent en lumière cet
échange : « Détruis donc cette main [...] et regarde de tous tes yeux » ou « Déchire ces ombres
[...] et sors », et, plus virulent encore, « Je t'arracherais bien la langue tu n'es déjà plus
qu'égout baveux ».
Mais n'est-ce pas là aussi prendre le lecteur comme témoin ? D'autres
injonctions semblent toutefois prendre le ton du conseil et paraissent moins brutales : « Ecris
vite ce livre » comme pour se débarrasser le plus rapidement de sa douleur, « Ecoute, vois ».
Quoi qu'il en soit, quelle que soit l'origine de cette voix seconde, ce dédoublement permet la
critique, la remise en question, le conseil avisé.
Ainsi, l’éclatement du moi marque la détresse
du poète et place le lecteur en témoin de cette émotion.
En somme, par sa poésie jalonné d’images, s’inspirant involontairement du « jadis »
qui représente le chant d’amour en l’honneur de l’antiquité et constitue une sorte d’épopée,
Jaccottet s’éloigne de sa quête d’une poésie « simple » dont les images illustre cette phrase :
« Car ces choses, ce paysage, ne se costument jamais ; les images ne doivent pas se
substituer aux choses, mais montrer comment elles s’ouvrent, et comment nous entrons
dedans » (Jaccottet dans Paysages avec figures absentes).
De plus, par l’insertion
autobiographique révélant sa douleur (l’éclatement du « moi ») durant l’expérience du deuil
(expérience trop personnelle), le poète contredit cette recherche de simplicité où le langage et
les images suffisent pour montrer la réalité des choses exprimées.
Jaccottet poursuit, une quête poétique visant à une poésie idéale vers la simplicité.
On
comprend dès lors l’attitude complexe du poète à l’encontre des images qui disent, ou mieux,
qui tentent de dire, le rapport du moi (ce que l’on ressent) au monde.
En effet, les images, pour
Jaccottet baignent dans le doute et l’incertitude car il y aura toujours un risque qu’elles
masquent ou travestissent la réalité.
« Les choses ne se costument jamais », mais l’image peut
être « un bouclier d’air ou de paille ».
Aussi, dès l’écriture du poème, Philippe Jaccottet est confronté à l’innommable, la
mort.
Doutant que le langage puisse exprimer le sentiment juste à travers le mot juste, le poète
veut une poésie qui s’interroge sur le sens des mots.
Dans ce sens, les images mythiques ne
sont plus de mise, il faut s’éloigner de la poésie de « jadis » vers une poésie plus moderne et
réelle dont le but est la simplicité..
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