Dans quelle mesure les productions artistiques (cinéma, peinture, musique, littérature...) permettent-elles de « comprendre l'esprit » d'une époque ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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connaît si bien l'atmosphère que tel vers :« Quand pourrai-je au travers d'une noble poussièreSuivre de l'oeil un char fuyant dans la carrière ? » (Phèdre)fait ressurgir en rapide tableau à nos yeux la Grèce antique et ses courses de char.
Belle reconstitution du passé etpas le moindre rapport apparent avec le siècle de Louis XIV !• Mais surtout le classicisme, intéressé par les bases générales de la nature humaine, par sa psychologie, enrecherche les pulsions essentielles, peignant à travers NÉRON par exemple, ou AGRIPPINE, PYRRHUS, HERMIONE...,les passions qui sont les ressorts humains ; faisant oeuvre de moralistes.• Ainsi veut-il atteindre une vérité générale qui échappe au Temps.• L'historien a-t-il à faire avec de telles oeuvres?— ou avec les pures recherches esthétiques d'une poésie qui s'évade dans les Chimères (NERvAL) :« Je suis le ténébreux - le veuf - l'inconsolé,Le prince d'Aquitaine à la tour abolie [...] »Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;— ou dans l'Azur (MALLARMÉ) :Où fuir ? Et quelle nuit hagardeJeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?— ou l'Après-midi d'un faune, qu'il soit poème ou morceau de musique ?L'immédiate compréhension de l'époque de ces poètes par l'intermédiaire de leurs textes n'est guère apparente !
II.
Les révélations latentes des oeuvres artistiques
• À ces constatations dues souvent à des prises de position de l'artiste, il faut opposer de nettes limites.• D'abord — contrairement aux affirmations de ceux qui pensent, à la suite de Flaubert, que « l'artiste ne doit pasplus apparaître dans son oeuvre que Dieu dans la nature...
Il doit s'arranger de façon à faire croire à la postéritéqu'il n'a pas vécu...
» — l'écrivain n'est jamais totalement absent de son oeuvre, non plus donc de son époque.• L'Éducation sentimentale (FLAUBERT) est l'histoire d'une génération ; bien que l'on ait reproché à FLAUBERT den'avoir pas voulu prendre parti pour les événements de son temps, il en est marqué et ils ressortent à travers leslignes.• Le fait même de se refuser à être « écho » de son siècle est déjà une révélation, car il est des époques quiréclament cette distance de la part du créateur.
Ce sont des modes artistiques correspondant à des besoins et ellessont en rapport soit avec des gouvernements, soit avec les tendances provisoires d'une nation.• Ainsi SAINTE-BEUVE constate que les alternances régulières de conceptions littéraires (entre autresclassicisme/romantisme) ou de sens de la vie (pessimisme/optimisme) sont étroitement liées aux circonstanceshistoriques et à l'évolution d'une société.• Cadre social, principes d'ensemble et pouvoirs dirigeants jouent un rôle soit de plein accord, soit de déclassementavec l'oeuvre créée.• SAINTE-BEUVE est frappé par exemple de la parfaite harmonie entre la littérature classique et l'histoire du règnede Louis XIV.• L'oeuvre porte alors l'empreinte de l'époque même si elle semble en être loin par le choix du sujet (Grèce antique)et la forme choisie (tragédie), d'un RACINE entre autres.• Certes, sous ses personnages héroïques, c'est l'humanité de tous les temps qui transparaît, la mère, l'amoureuse(ANDROMAQUE, HERMIONE), l'ambitieuse (AoniPpINE), le jaloux (PYRRHUS, MITHRIDATE)..., et ce n'est pas ce querecherchera le minutieux collecteur qu'est l'historien...• ...
bien que cette systématisation de l'intemporel soit révélatrice du climat d'ordre, de mise sous le boisseau,d'obligation inconsciente à généraliser et non à s'insérer dans le quotidien, né d'une monarchie absolue et de sonautoritarisme.• Mais plus encore : sous les héros raciniens transparaissent les courtisans de Louis XIV.
L'expérience de l'auteur quivit près du roi est faite de son observation de la cour, de ses drames, de ses intrigues parfois féroces qui sedissimulaient sous une politesse raffinée et une étiquette rigoureuse.
Nous les retrouvons par exemple dans lesparoles de PYRRHUS à ANDROMAQUE au moment même où il la soumet à un terrible chantage.• La formulation elle-même est caractéristique du XVIIe siècle et n'est pas la transposition du modèle EURIPIDE.— tantôt ce sont ces fameuses périphrases classiques : De son fatal hymen je cultivais les fruits » (= j'élevais mesdeux enfants)— ou la litote non moins classique :
Va, je ne te hais point, dit Chimène à Rodrigue (= je t'adore) (CORNEILLE : Le Cid)
— ou la multiplicité de termes typiques de la galanterie d'alors : perfide, cruel, ou charmant, céleste, noble ».• Mais surtout, ce sont les vues des contemporains qui se font sentir :— dans le théâtre de Corneille, nous avons l'écho de l'âge de l'héroïsme romanesque, d'un certain stoïcisme et mêmede la Fronde qui s'annonce ou se vit :Pour grands que soient les rois ils sont ce que nous sommes Ils peuvent se tromper comme les autres hommes...
» ;— dans celui de RACINE, la perspective janséniste et le pessimisme de fin de siècle, qui se trouvent aussi chez LAROCHEFOUCAULD, Mme de LA FAYETTE, LA BRUYÈRE...
dénoncent une tendance d'esprit sans la moindre illusion surl'homme.• Le critique TAINE découvre même un rapport systématique entre Les Fables de LA FONTAINE et la société de sontemps : Lion = roi ; Renard, Ours, Loup, Tigre = grands et courtisans ; Grenouilles ou Âne sont les petits, lepeuple....
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