Dans les Mémoires d'outre-tombe, dont la publication a commencé en février 1848, Chateaubriand exprimait cette inquiétude : « Quelle sera la société nouvelle?... Vraisemblablement, l'espèce humaine s'agrandira; mais il est à craindre que l'homme ne diminue, que quelques facultés éminentes du génie ne se perdent, que l'imagination, la poésie, les arts, ne meurent dans les trous d'une société ruche où chaque individu ne sera plus qu'une abeille, une roue dans une machine, un atome dan
Publié le 03/03/2011
Extrait du document
La prédiction de Chateaubriand consiste essentiellement : 1 A annoncer la société nouvelle comme plus nombreuse (l'espèce humaine s'agrandira), et comme plus contraignante, par sa masse et son organisation (ruche, machine, matière organisée), pour l'individu (abeille, roue, atome); 2 A en déduire la « diminution « de l'individu qui perdra : — des facultés éminentes, entre autres l'imagination; — la possibilité d'être poète ou artiste (musicien, peintre, sculpteur, etc.).
«
planification nous dit ce que nous serons dans vingt ans.
c) Dans l'avenir, donc, l'homme semble devoir perdre : 1 la faculté de rêver au mystère et à l'imprévu; 2 les qualitésindividuelles lui permettant de se tirer d'affaire tout seul.
Il sera de plus en plus façonné pour l'usage social, garanticontre l'accident et pourvu d'un avenir prévisible.
FEUILLE 3 : a) Depuis Chateaubriand ont disparu en fait : 1 la poésie du désespoir lyrique; 2 de la rêverie, dufantastique; 3 la poésie d'idées (remplacée par la philosophie ou les sciences humaines), b) Quant aux arts, ontdisparu tous ceux qui étaient descriptifs, figuratifs : des procédés techniques (photo, etc.) les remplacent, c)Semblent donc devoir disparaître les arts qui reproduisent le réel, la poésie qui le décrit : des techniques entiendront lieu; et aussi la poésie qui pense, ou qui exprime l'inquiétude et le mystère : la science explique tout etréduit de plus en plus les zones d'ombre.
FEUILLE 4 : a) La poésie n'est pourtant pas morte : il y a de nos jours de grands poètes (Apollinaire, Eluard, Aragon,Claudel, Michaux, Char, etc.).
Abandonnant à la science l'univers sensible, à la philosophie, les idées, elle saitexplorer les domaines où règne encore l'irrationnel (amour, mystère des correspondances, contemplation de lanature, inconscient (surréalisme), délires, etc.) et surtout exister par une forme qui fait du poème un objet quicharme et fait rêver par l'incantation du mot, de l'image, du rythme, etc.
(cf.
SUJET N° 1 ).
L'art aussi fuitl'objectivité, s'écarte du figuratif, devient cubiste, surréaliste, abstrait, etc., c'est-à-dire crée un univers au-delà dusensible par l'utilisation de ses moyens propres (couleurs, formes, sons, etc.).
Poésie et arts ont donc pris leurdistance par rapport à la pensée claire et à la science pour se créer un royaume à eux.
La société de masse yaccède difficilement.
Mais comme le monde moderne a des moyens puissants d'information et de culture, on peutespérer qu'un vaste public se formera peu à peu.
b) La société moderne développe : 1 Y imagination créatrice dans la découverte scientifique; 2 elle fournit à lacapacité de rêver de nos contemporains de vastes champs nouveaux : la vie, la matière, le cosmos, l'avenir de lascience, l'infiniment petit, le monde sous-marin, etc.; et aussi l'avenir social d'un monde plus juste et plus humain.
3La poésie, les arts offrent toujours des univers mystérieux, hors du réel; plus les sciences se développent, plus ledomaine réservé à l'imagination poétique devient particulier et profond.
De multiples évasions mineures, comme ledessin animé, l'exotisme (chanson, voyage), le mystère (romans policiers), etc., montrent que l'imagination del'homme moderne ne s'atrophie pas.
c) 1 Notre société tâche de préserver les facultés anciennes : par exemple le développement du sport compense laparalysie physique dont nous menace la machine; le camping, les voyages dans des pays déserts essaient depréserver les qualités de Robinson Crusoé; si moins de gens jouent des instruments, la culture musicale est enrevanche développée grâce au disque, etc.
2 Elle développe d'autres facultés : l'esprit d'équipe utile au travailcollectif; l'esprit social nécessaire à la société de masse; des facultés artistiques propres aux arts nouveaux : lecinéma, la télévision; ou résultant des techniques nouvelles (le goût artistique de l'amateur de photographies); desqualités physiques inconnues au temps de Chateaubriand, celles du sportif, du skieur, du navigateur solitaire, etc.
3Vous pourriez conclure librement en montrant votre « imagination », justement, soit dans un parallèle entre le jeuneromantique et le jeune homme que vous êtes, soit dans l'évocation de l'homme futur.
En tout cas, la conclusionraisonnable, c'est que, si la société a changé l'homme, et souvent dans le sens qu'indique Chateaubriand, l'hommemoderne sait réagir, s'adapter, se renouveler.
N'en a-t-il pas, d'ailleurs, été ainsi lors de toutes les grandesmutations de la civilisation?.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Pensez-vous que Chateaubriand ait fait figure de prophète lorsqu'il écrivait dans ses Mémoires d'Outre-Tombe : « Vraisemblablement, l'espèce humaine s'agrandira mais il est à craindre que l'homme ne diminue, que quelques facultés éminentes du génie ne se perdent, que l'imagination, la poésie, les arts, ne meurent dans les trous d'une société-ruche où chaque individu ne sera plus qu'une abeille, une roue dans une machine, un atome dans la matière organisée? »
- Chateaubriand a rencontré deux fois Bonaparte : en 1802, après la publication du Génie du Christianisme qui servit les desseins politiques du Premier Consul; le 18 mars 1804y trois jours avant l'exécution du duc d'Enghien, arrêté le 15, qui devait faire de Chateaubriand un adversaire déterminé de Napoléon. Voici, tirés des Mémoires d'Outre-Tombe, les passages qui évoquent ces deux rencontres.
- Gabriel Rey écrit dans Humanisme et surhumanisme (1951): «Dire que la littérature classique est le fait d'une élite pour une élite est sans doute plus exact historiquement qu'en soi. Rien n'empêche de concevoir un classicisme de masse ; c'est une simple question d'éducation et de pensée régnante, de mode enfin. [...] Prétendre que le «peuple» - entité d'ailleurs plus mythique que réelle - est voué à jamais à sa vie intellectuelle et artistique actuelle, à la pensée (si l'on peut dire)
- « Il me semble que nous soyons parvenus à cette époque prédite par Descartes où les hommes em-ploieraient la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres et de tous les autres corps, en même façon que les métiers d'artisan et se rendraient ainsi, maitres de la nature. Mais, par un renversement étrange, cette domination collective se transforme en asservissement dès que l'on descend à l'échelle de l'individu et en un asservissement assez proche de celui que comporte la vi
- Vigny écrit dans le Journal d'un poète : « J'aime peu la comédie, qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ». Il précise plus loin sa pensée en disant : « Je sais apprécier la charge dans la comédie, mais elle me répugne parce que, dans tous les arts, elle enlaidit et appauvrit l'espèce humaine et, comme homme, elle m'humilie ». Qu'en pensez-vous ?