Dans le récit autobiographique, à quoi serti l'aveu ? Pour répondre à cette question, vous vous appuierez sur des exemples précis tirés des livres I à IV des Confessions.
Publié le 17/01/2022
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pour s'exprimer, particulièrement quand il s'agit de dire son amour ou son désir (voir la scène avec Mme Basile, le «roman » avec Mlle de Breil et l'idylle des cerises avec Mlle Galey).
Par rapport à cet embarras, l'écriture apparaîtcomme une revanche prise sur le naturel et sur les circonstances : l'aveu écrit surmonte les embarras de la parole,c'est une parole qui se libère, s'affranchit du poids de tout un passé de mutisme.Une composition dramatisée.
Dans la composition de son récit, Rousseau fait de l'aveu un instant dramatique.
Soitl'écrivain lui donne la forme d'un moment inaugural : l'évocation des fessées de Mlle Lambercier, première confessionvéritable dans le récit, est comme un point de départ du texte des Confessions : elle balaye les doutes et lesréticences de l'écrivain ( «Dès à présent je suis sûr de moi ») et le conforte dans son projet de tout dire.
Soit il luidonne un aspect conclusif spectaculaire à la fin du livre II, il détache l'épisode du ruban volé du reste du récit deson séjour chez Mme de Vercellis pour le rendre pathétique ( « Que n'ai-je achevé tout ce que j'avais à dire de monséjour chez Mme de Vercellis ! »).Une rhétorique de l'embarras.
L'aveu ne va pas de soi.
Il est une épreuve.
L'effort qu'il exige est signifié par lelangage, et sollicite le courage de l'écrivain pour surmonter une honte présente.
Avant d'avouer, ou bien aprèsl'avoir fait, Rousseau évoque ses réticences, et au cours de l'aveu lui-même il multiplie les circonlocutions, lespériphrases, les ellipses, toutes sortes de procédés d'expression qui miment son embarras, qui permettent dedévoiler avec franchise, parfois, crudité et brutalité, sans qu'il y ait volonté affichée de choquer le lecteur.
Lesaudaces du dévoilement sont atténuées, adoucies par le travail rhétorique qui rend visible l'effort de l'écrivain.
Onne peut soupçonner celui-ci de vouloir chercher l'exhibition scandaleuse de soi ou la provocation.L'aveu est le moment privilégié où l'écrivain se met à l'épreuve et mobilise sa capacité d'audace et de tact,s'obligeant à concilier la nécessité intérieure de l'expression et le souci de toucher le lecteur, sans le heurter.
la Valeur éthique (morale) de l'aveuL'aveu cherche à établir une image juste et vraie du « moi », avec le risque de la faire paraître désavantageuse : ilpose le problème de la grandeur de l'être qui se livre à nous.
Qui est le plus grand ? celui qui se montre sous un jouravantageux? ou bien, à l'inverse, celui qui accepte de se montrer parfois «méprisable et vil » quand il l'a été,d'autres fois « bon, généreux, sublime »?Soulager et purifier la conscience.
L'aveu soulage.
Il a une valeur thérapeutique.
Celui qui avoue libère saconscience du poids d'une faute (voir l'épisode du ruban volé).
De plus, avouer innocente en partie : analyser unefaute passée revient toujours à la relativiser (voir comment Rousseau est amené, dans ce même épisode du rubanvolé, à minimiser sa faute).
Avouer conduit donc à rendre sa conscience plus libre et plus transparente.
Chaquenouvel aveu est comme un obstacle nouveau dégagé sur la chemin d'un dévoilement total de soi.Mesurer la grandeur du «moi».
L'aveu est un instant décisif : l'écrivain s'y abandonne au sentiment désespérant,honteux, voire ridicule, d'être coupable, vil.
Mais l'aveu de la faiblesse rend possible l'affirmation de la grandeur (voirle préambule du livre I) et il permet de construire une image de soi qui est forte et de vastes dimensions : elle n'estni statue (comme le serait l'image d'un personnage figé, uniforme) ni pulvérisée (un « moi » éparpillé, insaisissable,fragmenté) ; elle est dynamique et couvre un large champ, de l'humilité jusqu'à la grandeur : on peut voir plusieursreflets de cette image dans les livres I à IV (un Jean-Jacques vaurien et picaro, un Jean-Jacques ambitieux etcertain de son mérite personnel, etc.).
Rousseau cherche à saisir et affirmer la totalité du moi, c'est-à-dire qu'ilnous donne à voir un être dans toute sa singularité depuis ce qui est le moins avouable jusqu'à ce qui est le plusglorieux.
(Conclusion)
Dans l'aveu, le dévoilement de soi se déroule entre deux pôles complémentaires : d'une part un effort pourconvaincre, d'autre part un mouvement d'abandon; s'aidant de l'un et de l'autre, l'écrivain cherche à atteindre lelecteur.
L'aveu est un pari et un risque que prend l'écrivain vis-à-vis de celui qui va le lire : pari sur la bienveillancedu lecteur, sur l'espoir d'être compris et bien reçu — au même titre que l'aveu amoureux est un" pari (sur l'avenir) etun risque (celui de se faire rejeter).
Les aveux, moments-clés des Confessions, font voir d'une façon émouvantel'état à partir duquel un écrivain décide (ou ne peut s'empêcher) de prendre la parole : quand il confie à la seuleoeuvre d'art le soin de transmettre au reste de l'humanité une parcelle de la vérité arrachée à ce qui, dans la vieréelle, était un objet sans valeur durable ni transmissible..
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