Dans l'avis « Au lecteur » de l'une de ses pièces, Molière écrit : « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. » Vous discuterez cette remarque en vous demandant dans quelle mesure la lecture d'une pièce de théâtre permet d'imaginer la représentation, et si, par ailleurs, l'absence de mise en scène ne limite pas la signification et la
Publié le 29/09/2010
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• Le sujet porte sur la nature du théâtre. Ce type de sujet, qui ne demande pas de comparaison avec les autres genres littéraires, n'a été donné que rarement ces dernières années. Par ailleurs, il demande un certain nombre de références, tant livresques que vécues : représentations théâtrales auxquelles vous avez pu assister.
• Le libellé : l'avis porté sur le théâtre par Molière est donc celui d'un dramaturge qui s'intéressait aussi bien à la mise en scène qu'au jeu d'acteur. Il présente un paradoxe puisqu'il est extrait de l'avis « Au lecteur«!
— Le libellé qui accompagne la citation recommande clairement d'étudier les deux aspects du thêâtre : représentation et oeuvre littéraire.
«
Le texte écrit prend également une valeur théâtrale, parce qu'il fait rebondir l'action.
Molière utilise la répétition pourcréer une situation comique permettant un jeu de scène intéressant.
La réplique fameuse des Fourberies de Scapin (acte II, scène 7) : «Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? », exprime l'exaspération grandissante deGéronte.
De même, la litanie d'Orgon dans Tartuffe (acte I, scène 4) : «Et Tartuffe? [...] Le pauvre homme ! » donne à voir l'attendrissement du maître, l'indignation de la servante.
De fait, le texte théâtral, s'il mime parfois le langage oral lorsqu'il est en prose, est un texte écrit, littéraire ; laforme n'est pas indifférente.
Les tirades, entre autres, assument un double rôle en ce qu'elles ont une fonction dansl'action mais pourraient aussi bien se lire hors du contexte.
Phèdre de Racine en contient deux, très significatives. Le discours de Phèdre à Hippolyte (acte II, scène 5), dans lequel elle finit par avouer son amour coupable, glisseimperceptiblement de Thésée à son fils.
On repère à la lecture, mieux qu'à la représentation, les trésors derhétorique déployés par Racine ; on y suit l'exaltation et le dévoilement involontaire de l'héroïne tragique.
De «Jebrûle pour Thésée », le texte aboutit à :
« Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.
»
Le lecteur sait dès cet instant que le destin de Phèdre est de se perdre.
La tirade de Théramène (acte V, scène 6)rapportant la mort d'Hippolyte subit certes la loi du genre (le théâtre classique ne peut représenter sur scène desactions aussi violentes), mais elle devient également un texte épique* qui vaut en soi.
Racine s'est vu reprochercette tirade très longue que ses contemporains ont jugée bien peu théâtrale.
L'auteur s'en est défendu par labeauté de la langue et l'émotion de l'épisode rapporté.
On retrouve ce procédé de la tirade dans les comédies.
Elle sert à Beaumarchais de revanche sur ceux qui lui ontrendu la vie difficile.
Le monologue de Figaro (acte V, scène 3), écrit dans une prose rythmée, exprime ledésabusement de son auteur, ses doutes sur la société : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vouscroyez un grand génie», dit Figaro au Comte qu'il imagine devant lui.
Et plus loin, évoquant un poste brigué par tous : «Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint.
»
Certains dramaturges utilisent ouvertement ce procédé pour créer un théâtre poétique.
Ils affichent les « ficelles »de construction des scènes — scènes de transition entre une scène comique et une scène dramatique — sanségard pour la cohérence des personnages.
Jean Giraudoux, par exemple, dans Intermezzo, fait dire à l'un de ses personnages (l'Inspecteur) : «S'il est vrai que votre spécialité consiste en ce bas monde, par une phrase ou par ungeste, à changer le diapason de l'atmosphère, [...] au travail ! Vous pouvez y aller d'un bon bémol ou d'un bondièse»).
La poésie, les jeux de mots abondent d'ailleurs dans ses pièces ; en revanche, on n'y trouve guèred'indications scéniques.
Le théâtre classique comporte également des passages particulièrement poétiques.
Les stances que Pierre Corneilleassocie aux alexandrins* forment des unités difficiles à représenter autrement que par une récitation.
Dans unecomédie de jeunesse, La Place royale, le héros Alidor conclut la représentation par ces mots mélancoliques :
«Je suis libre à présent qu'elle est désabusée
Et je ne l'abusais que pour le devenir.
»
Ainsi, le théâtre utilise des formes poétiques qui créent un effet d'irréalité.
Cela tue-t-il pour autant l'illusion et leplaisir théâtral?
***
Le texte de théâtre peut être envisagé sous deux aspects complémentaires, plus qu'opposés : l'aspectspectaculaire et l'aspect littéraire.
Entre les deux, il existe une marge de liberté qui permet au metteur en scène decompléter la création de l'auteur.
Or, cette création de la mise en scène provient d'une lecture personnelle del'oeuvre.
A partir de l'univers imaginaire suscité par la découverte de la pièce, le futur metteur en scène se forgeune interprétation et utilise les acteurs, le décor, les lumières, parfois la musique, comme matière première.
Ainsi, leDom Juan de Molière a pu subir divers traitements sur scène, certains insistant sur le comique, d'autres privilégiant la dimension tragique.
Mais n'en est-il pas ainsi pour toute oeuvre d'art un peu élaborée?.
»
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