Dans la Préface de Cromwell, Hugo conseille à l'auteur dramatique d'oublier «l'espace banal» des tragédies classiques et de montrer la diversité des lieux scéniques. Les drames romantiques que vous connaissez tiennent-ils compte de ces exigences ?
Publié le 22/02/2012
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• « Personnages muets ou lieux intériorisés » ? Démontrer autant que montrer
Au-delà de leur pouvoir de représentation, c'est la configuration des espaces qui importe.
La vérité des lieux ainsi que leur représentation deviennent démonstratives.
Victor Hugo use, dans la distribution del'espace scénique et par sa configuration des vertus, de l'opposition qui peut naître de la représentation de tous lesespaces intérieurs de clôture, alors qu'il réserve l'évocation de la liberté aux rêveries ou aux songes despersonnages.
Ainsi, l'espace ouvert à l'évasion sera simplement «dit» par Hernani à Doria Sol, lieu du bonheurimaginé et à jamais compromis.
Seuls les dialogues le suggèrent : les montagnes d'Estremadure ou, dans un lointainplus inaccessible encore, la France, refuge des proscrits.
La représentation de l'espace se fait d'autant pluscontraignante puisqu'un monde de clôture suppose des espaces de liberté.
Elle se caractérise par l'attention et lerôle dévolus aux fenêtres ouvertes sur le monde ou sur la ville.
A Saragosse, les fenêtres de la chambre de la reinese referment sur l'ordre de la duègne (Ruy Blas — Acte et les portes ne s'ouvriront que selon l'horaire prescrit parune étiquette rigide qui assimile cette résidence à une prison.
La maison de Don Salluste est plus sinistre encore,avec sa seule et unique fenêtre dont les didascalies nous suggèrent les hauteurs grillagées.
Les serviteurs muetsdonnent à cet espace l'atmosphère de quelque sérail oriental/ Il Faudra l'adresse du « picarro » pour y pénétrer parla cheminée.
L'intrusion de Don César de Bazan à l'acte V révélera que ce lieu de délices ne peut être qu'une nassemortelle.
L'opposition entre les lieux diurnes et les lieux nocturnes.
Cette antithèse dans la représentation de l'espace est également porteuse de symboles.
L'univers de la nuit oùl'espace scénique devient, selon le goût romantique, livré aux lanternes sourdes (Lorenzaccio Acte I, scène 1), auxquiproquos surprenants de l'ouverture d'Hernani (Acte I, scène 1) sera également l'heure de l'arrivée aussi inopinéeque brutale de Don Carlos au château de Don Ruy Gomez.
L'espace nocturne se fait l'espace privilégié des forces dumal.
Lorenzo nous rappellera, avec une certaine emphase romantique, la fascination étrange du Prince desTénèbres.
« Suis-je un Satan ? lumière du ciel ! » (Acte III, scène 3).
Le meurtre perpétré, ce même Lorenzo aspireà la fraîcheur de la nuit florentine, en y cherchant, par le mouvement qui le porte à s'asseoir sur le bord de lafenêtre, une pureté retrouvée.
Quant à la marquise Cibo, dans un élan passionné, elle ouvre la fenêtre pouréchapper aux noirceurs de l'entreprise du Cardinal.
Florence se révèle alors le théâtre nocturne du libertinage duDuc.
Cette présence dénote une complicité pathétique entre une ville et une femme, pareillement soumises àAlexandre.
Espace réel ou espace rêvé ?
Même si la représentation de l'espace obéissant à .des critères d'une minutie et d'une précision extrême, aboutit àpeupler la scène de décors significatifs, de mobiliers révélateurs intégrés à la couleur historique du drame, cetespace doit sa valeur exemplaire plus au mythe qu'a l'histoire.
D'autant que, porteur de signes, l'espace, qui s'ouvreà la présence de nombreux figurants, devient porteur de sens.
Il s'agit alors de créer des scènes antithétiques.
Ceteffet est particulièrement vérifiable dans les drames de Hugo.
Ainsi visualisés, les lieux imposent au regard du public,comme aux yeux du personnage, des espaces contrastés dans leur succession brusque : le palais du Roi, la maisonde Don Salluste, puis celle de Ruy Blas ; de même que l'on passe de la solitude du sépulcre à l'éclat de l'Empire pourle successeur de Charlemagne.
La possibilité de diversifier la représentation de l'espace permet de figurer la magiedu songe ou la vérité du cauchemar.
Cette vérité, l'illusion théâtrale est plus propre que tout autre art à la mettreen scène.
La représentation de Florence dans Lorenzaccio de Musset convie également le spectateur à entrer dans un espaceaussi précis que fabuleux.
Sa présence tient de l'envoûtement.
Elle impose l'image vivante et colorée du labyrinthede ses ruelles, des rives de son fleuve, du parvis de ses églises et du luxe de ses palais.
Leurs noms seuls sontmagiquement porteurs d'un halo culturel prestigieux.
Elle conjugue donc l'Italie réelle à l'Italie mythique.
Musset quine se soucie pas, en composant sa pièce (non destinée à être jouée), des impératifs de la représentation est, plusque Victor Hugo, libre de faire de l'espace ce lieu éclaté qui ouvre la scène aux représentations.
de l'extérieurautant que de l'espace intérieur.
La pièce suppose donc la présence d'un nombre impressionnant de personnages.
Ladistribution de Lorenzaccio en précise le nombre : une quarantaine.
Tout ce qui a pu entraver la représentation d'unCromwell (un nombre considérable de personnages et une grande diversité de lieux) semble autoriser la liberté decréation chez Musset.
Cette nouveauté dans le traitement de l'espace a pu déconcerter bien des metteurs enscène de l'époque romantique, et peut être donner à ce drame un des aspects originaux de sa modernité.
La représentation de l'espace dans les divers drames romantiques semble donc non seulement obéir aux exigencesdes théoriciens mais parfois même les dépasser.
Elle renforce les pouvoirs de l'illusion au théâtre et rend audramaturge ses vertus de magicien..
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- Victor Hugo, Préface de Cromwell
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