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Dans la comédie du XVIIIe siècle, les valets, écrit Yves Moraud, sont « le reflet d'une époque qui, sans être révolutionnaire, s'adonne, comme en se jouant, à la critique, à une contestation morale, à des audaces de toutes sortes, dont les effets réels ne se feront sentir que plus tard. » (La Conquête de la liberté, de Scapin à Figaro, PUF, 1981).

Publié le 15/03/2015

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morale

Cette formule de Napoléon révèle comment le héros de Beaumarchais fut perçu, dès l'époque qui suivit la Révolution. Quelques années à peine avant que l'Histoire ne lui donne raison, Figaro avait imposé le type d'un homme nouveau dont l'esprit et la vitalité se jouaient des contraintes sociales et dont l'énergie sem­blait en mesure de faire tomber la Bastille elle-même, comme l'avait pensé le roi au moment du Mariage.

Si, dans Le Barbier, il se bornait, dans la plus pure tradition du valet d'intrigue, à seconder les amours de son maître, dans Le Mariage il agit pour son propre compte, et affronte seul tous les abus de la société, de la tyrannie des grands à la corruption de la justice. Dans le morceau « de bravoure et de bravade « qu'est son célèbre monologue, il porte l'estocade aux privilèges de la naissance, à la cruelle 

morale

« DISSERTATIONS LITTÉRAIRES lité morale que suppose la franchise finale de Dorante, qui n'hésite pas, au risque de tout perdre, à lui révéler le stratagème de Dubois.

Quant à Figaro, qui a dû déployer pour survivre « plus de science et de calculs qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes », il incarne «une fin de siècle qui transforme la rancœur, l'ambition, le civisme, le sens de la justice du peuple en une énergie capable de tout bouleverser» (Y.

Maraud).

Avec lui, le personnage du valet accède à la liberté de pensée de l'individu.« Avec Fi­ garo, écrit Frédéric Grendel, Je entre en scène.» Le grand monologue de l'acte V du Mariage de Figaro retrace la vie mouvementée d'un homme inclassable dont le parcours brouille les cartes du jeu social, et qui ose déclarer qu'il fut« maître ici, valet, là, selon qu'il plaît à la fortune!» Il -LA MISE EN SCÈNE DU JEU Échange de rôles Sur le mode de la fantaisie, le théâtre met en scène la réversibilité des condi­ tions sociales, prouvant ainsi, sans en avoir l'air, qu'elles tiennent au hasard, et non à une impérieuse nécessité.

Masques et déguisements permettent ces permutations de rôles.

Certes, il ne s'agit que d'un jeu, comme le signifie le titre même de la co­ médie où maîtres et valets échangent leurs identités et s'affranchissent un moment des convenances sociales.

Ce Jeu de l'amour et du hasard offre aux domestiques le plaisir d'une revanche sur le destin.

Arlequin rudoyant Dorante-Bourguignon («Vos petites manières sont un peu aisées, mais c'est la grande habitude qui fait cela », III, 7), Lisette osant suggérer à sa maîtresse qu'elle est en train de tomber amoureuse d'un « valet », ne le peuvent que sous le couvert du travestissement, dont les ressources comiques détournent l'attention et désamorcent ce que ces comportements ont de réellement subversif.

La maîtrise du jeu L'illusion théâtrale investit certains valets d'un pouvoir qui les transforme en véritables « metteurs en scène ».

Dans Les Fausses Confidences, Dubois dicte à Dorante son rôle et ses répliques.

Il prévoit le déroulement de l'intrigue et fomente les coups de théâtre.

Démiurge ou intrigant sans scrupule, il apparaît comme la projection du dramaturge lui-même, doté envers ses créatures d'une lucidité sans pareille, dont il use pour bouleverser les règles du jeu social, en faisant épouser à un intendant sans le sou la très riche veuve d'un financier.

Là encore, le jeu auto­ rise une remise en cause de la réalité sociale, avec une audace qui n'échappa pas aux contemporains de Marivaux, dont certains dénoncèrent « l'indécence » de ce dénouement.

!_:_es vertus de la parodie Ce renversement de perspective n'est pas seulement prétexte à exhiber l'injus­ tice, tout en mettant à nu les lois de fonctionnement du théâtre.

Il a aussi une vertu moralisatrice.

Ainsi, le cadre utopique de L 'Île des Esclaves est le décor d'une conversion des maîtres à l'humanité et à la générosité.

«Rien de plus sermonnaire que cette pièce, écrit le marquis d'Argenson, c'est le véritable castigat ridendo mores».

La formule latine, qui signifie que l'œuvre «stigmatise les mœurs par le rire», souligne que le procès de l'inégalité doit une bonne part de son efficacité au jeu dont il est l'occasion.

MAÎTRES ET VALETS 6]. »

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