Crépuscule. Expliquez ces vers d'Alfred de Vigny
Publié le 14/02/2012
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Ces deux strophes de la Maison du Berger nous remémorent aussitôt d'autres strophes (1) du même poème, où la nature est prise à partie et traitée en ennemie. Entre les unes et les autres - celles-ci figurent au début du morceau - la contradiction est flagrante et appelle des explications. Ici Alfred de Vigny se montre tout ému en face de la nature à la tombée de la nuit; ailleurs il apostrophe rudement cette marâtre insensible et cruelle, qui n'a cure de nos douleurs et nous broie impitoyablement. Il paraît sincère dans les deux cas; est-il possible d'aimer et de haïr ainsi un même objet ?

«
Pars courageusement, laisse toutes les villes
...Du haut de nos pensers, vois les cites serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles
Libres comme la mer autour des sombres Iles.
Marche a travers les champs une fleur a la main.
Amour de la nuit par opposition au jour; amour des champs par oppo-
sition aux villes : voila, semble-t-il, les sentiments qui inspirent au poete
cette description enchanteresse.
Un autre sentiment, tres personnel aussi,
et en meme temps tres romantique, les compenetre et les informe; c'est
une vague religiosite qui emprunte ses comparaisons a la langue de l'Eglise :
encensoirs, colonnes, reposoirs'.
Outre ces expressions materielles, tout ce passage est comme impregne d'un mysticisme etrange, qui, s'il est tres pur
dans ces deux strophes, se double, plus loin, d'une sensualite inquietante.
Et si, des sentiments, nous passons a la description proprement dite, nous
eprouvons a la fois une satisfaction et une gene.
Chaque detail nous ravit,
l'ensemble nous enchante, et pourtant nous ne distinguons pas nettement
ce paysage ou entrent le jardin, la fork, la montagne, le cours d'eau, la
source isolee...
Le moins que l'on en puisse dire, c'est que ce tableau, pent-
etre tres evocateur, n'est pas « compose 3.
Par bien des points, it s'appa-
rente aux paysages flous, inconsistants, irreels de Lamartine.
Voici done notre poke qui s'avance, loin des villes, a travers champs,
une «fleur a la main 3.
Il se paHe a lui-meme et nous fait connaitre ainsi
le but de sa course : il.
va au rendez-vous nocturne que la Nature lui a fixe.
Celle-ci l'attend : temple immense et immobile, a la maniere des cathedrales.
Elle n'est point une amie frivole et rieuse; grave et recueillie, elle porte
la meditation.
Renfermee dans un silence austere, elle convient au poke phi-
losophe, taciturne et hante par les plus angoissants problemes.
Cette per-
sonnification generale est suivie d'une serie d'autres; l'herbe, le soleil, la
terre, la fork, etc..., prennent vie, agissent comme des titres animes et intel-
ligents.
L'herbe des prairies d'abord e/eve, aux pieds du poke qui la foulent,
vers la Nature divinisee, son nuage des soirs, periphrase pour designer
la brume qui, le soir venu, monte des gazons.
Ce « nuage » parfume pourrait bien, dans la pensee du reveur, se confondre avec celui de l'encens qui,
symbole de ('adoration et de la priere, monte vers Dieu a l'heure du sacrifice
vesperal.
- Phenomene concomitant, la brise du soir passe comme un
souffle bienfaisant sur les plantes qui vont s'endormir.
Nouvelle person- nification et nouvelle periphrase : cette brise, qui suit le toucher de l'astre
du jour, c'est le soupir d'adieu du soleil a la terre, expression ingenieuse
et eminemment poetique.
Plus poetique encore est le vers 4, qui decrit l'un
des effets de la brise, choisi entre milk et gracieux entre tous : ce souffle, ce soupir balance les beaux lis comme des encensoirs.
L'image s'accorde
avec la precedente; elle rend aussi un son religieux, nous sommes bien
dans un temple.
- Et l'allegorie se poursuit, imprecise et suggestive.
Le
temple ce n'est plus Ia Nature entiere, c'est la foret.
Les flits de ses grands
arbres ne ressemblent-ils pas aux colonnes des cathedrales gothiques?
Avant de Vigny, Chateaubriand a fait ce rapprochement.
L'ombre envahis-
sant le sanctuaire, les colonnes sont comme voilees, indistinctes et s'en- foncent a des profondeurs oil le regard se perd.
Mais ici encore, nous
trouvons une personne, la foret est censee voiler elle-meme ses colonnes.
-
La montagne de meme : c'est elle qui se cache.
Parler de montagne a propos
du Maine-Giraud est pure exageration; mais les pokes ont tous les droits
sur la realite, des lors qu'ils en tirent de la beaute.
- Le saute, lui aussi,
arbre romantique (cf.
Lamartine et Musset), entre en scene comme un
acteur et joue son role : it a suspendu ses chaster reposoirs sur les pales
ondes.
Toujours la note religieuse, et les beaux vocables qui recelent une
poesie intense.
Les saules sont compares aux reposoirs de la Fête-Dieu,
sur lesquels le pretre pose l'ostensoir; a cette heure mysterieuse, la Divi-
nite semble reposer sur ces arbies inclines et comme prosternes au-dessus
des eaux.
Pales est une epithete aussi belle que juste; quand arrive Ia nuit,
la surface des ondes (vocabulaire classique) palit, ne reflete plus les couleurs
des objets qui s'y mirent; comme dit V.
Hugo :
La nuit de l'eau dans l'ombre argente la surface.
(Priere pour tous.)
Pars courageusement, laisse toutes les villes
...
Du haut de nos pensers, vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.
Amour de la nuit par opposition au jour; amour des champs par oppo sition aux villes : voilà, semble-t-il, les sentiments qui inspirent au poète cette description enchanteresse.
Un autre sentiment, très personnel aussi, et en même temps très romantique, les compénètre et les informe; c'est une vague religiosité qui emprunte ses comparaisons à la lan~ue de l'Eglise : encensoirs, colonnes, reposoirs·.
Outre ces expressions materielles, tout ce passage est comme imprégné d'un mysticisme étrange, qui, s'il est très pur dans ces deux strophes, se double, plus loin, d'une sensualité inquiétante.
Et si, des sentiments, nous passons à la description proprement dite, nous éprouvons à la fois une satisfaction et une gêne.
Chaque détail nous ravit, l'ensemble nous enchante, et pourtant nous ne distinguons pas nettement ce paysage où entrent le jardin, la forêt, la montagne, le cours d'eau, la source isolée ...
Le moins que l'on en puisse dire, c'est que ce tableau, peut être très évocateur, n'est pas « composé».
Par bien des points, il s'appa rente aux paysages flous, inconsistants, irréels de Lamartine .
.
.
.
Voici donc notre poète qui s'avance, loin des villes, à travers champs, une « fleur à la main ».
Il se parle à lui-même et nous fait connaître ainsi le but de sa course : il va au rendez-vous nocturne que la Nature lui a fixé.
Celle-ci l'attend: temple immense et immobile, à la manière des cathédrales.
Elle n'est point une amie frivole et rieuse; grave et recueillie, elle porte à la méditation.
Renfermée dans un silence austère, elle convient au poete phi losophe, taciturne et hanté par les plus angoissants problèmes.
Cette per sonnification générale est suivie d'une série d'autres; l'herbe, le soleil, la terre, la forêt, et.
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