CRENNE Hélisenne de : sa vie et son oeuvre
Publié le 22/11/2018
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CRENNE Hélisenne de, pseudonyme de Marguerite Briet (v. 1510-après août 1552). Première romancière française, au sens moderne du mot, Hélisenne de Crenne est l’auteur d’un étrange roman sans âge, tant il dit spontanément des expériences essentielles : les Angoysses douloureuses qui procèdent d'amours (1538).
Hélisenne s’appelait Marguerite Briet. De petite noblesse picarde, plus riche que son mari, seigneur de Crennes, avec qui elle a des relations orageuses et dont elle se sépare définitivement avant 1552, elle semble avoir étouffé très jeune sous le contrôle de celui-ci, avant de venir vivre libre dans une de ses maisons parisiennes. Pourquoi s’est-elle cachée sous ce pseudonyme? Par prudence sûrement, mais la terre de Crennes ne la dissimule guère. Par goût du romanesque, sans doute : d’où lui vient ce prénom, porté, deux ans après l’apparition de son propre roman, par la mère d’Amadis de Gaule dans le premier livre que traduit de l’espagnol un autre Picard, Des Essarts? On aurait envie, pour bien des raisons, d’en faire une Bovary qui aurait su écrire. Mais ce rapprochement fausse sans doute le personnage : il est difficile de l’imaginer isolée; et comment a-t-elle trouvé son premier éditeur parisien, Denis Janot, qui va précisément imprimer deux ans plus tard Amadis de Gaule? Qui est le modèle de l’ami fidèle de ses fictions, Quezinstra? Pourquoi le héros de son cœur, Guénélic, est-il partagé entre les armes et les lettres?
«
res
», en 1532) et le Pérégrin de Caviceo (énorme somme
romanesque, traduite en 1527).
Malgré des emprunts
considérables (et encore à Lemaire de Belges et au Petit
Jehan de Saintré, etc.), Hélisenne en fait tout autre
chose.
Elle avoue deux intentions, q_ui se manifestent
aussi dans ses œuvres conjointes, les Epistres familières
et invectives et le Songe de madame Hélisenne...
la
considération duquel est apte à instiguer toutes person
nes de s'aliéner de vice et s'approcher de vertu (1539) :
un propos moral qui unifie tout le roman; il faut éviter
aux femmes qui la lisent les «embrasements >> de
l'amour et faire préférer aux hommes le« martial exer
cice ».
Mais ce premier dessein, quoique perpétuelle
ment réaffirmé, n'efface jamais le second: Hélisenne
soulage ses anxiétés et tristesses en les racontant; elle
espère s'attirer la même compassion que celle qu'elle a
reçue d'un confesseur sage et indulgent au sein du récit
lui-même.
Alors, tous les aveux sont possibles, tous les déborde
ments, à commencer par ceux d'un style extraordinaire,
véritable création d'Hélisenne : certes, il abonde en lati
nismes pédants, en constructions contournées, en réfé
rences mytholC>giqucs plus ou moins exl}Ctes (et cela ne
fera que croîtrt: dans sa traduction de 1 'Enéide, en 1541,
plus latine que l'œuvre de Virgile même ...
), mais com
ment expliquer que tant d'extravagances restent parfaite
ment claires, sinon par la cohérence de cette langue fic
tjve, seul instrument possible des violences inavouables?
Etonnement devant la surprise de l'amour, découverte
de la sensualité jusque dans ses moindres détails (cette
importance extrême du vêtement, de la beauté des che
veux, des mouvements du corps, des regards « impudi
ques», des expressions que l'on cultive devant son
miroir), aveu du désir de voir ct d'être vue, de la coquet
terie comme comportement naturel; mais aussi violence
des coups du mari jaloux, atmosphère sordide d'une
petite ville de province qui épie tout; et par-dessus tout
cela, les souffrances dues à un jeune voyou sans discré
tion, sans tendresse, dont on voudrait pourtant se croire
aimée.
Toutes tes formes de la persécution à laquelle est
soumise la femme qui existe trop.
Hélisenne était de la race dont on fait les« sorcières »,
si l'écriture et la générosité de l'édition ne J'avaient
sauvée, sinon de son premier emprisonnement, du moins
de la mort qu'die s'est rêvée dans son œuvre.
BIBLIOGRAPHIE Œuvres (éd.
ile 1560), Gen è v e, Slatkine Reprints, 1977; les
Angoysses douloureuses qui procedent d'amours a été réédité
par Paule Dema ts, Paris, Belles-Lettres, 1968.
Ce travail est
précédé d'une remarquable étude sur Hélisenne, qui tient compte
des éléments b ographiques découverts par V.-L.
Saulnier,
« Quelques nouveautés sur Hélisenne de Cren ne >>, Bulletin de
l'Association Gu'llaume Budé.
déc.
1964, pp.
459-463.
Elle fo u r
nit de nombreux détails sur les sources littéraires et contient un
glossaire de la langue d'Hélisenne.
Sur les livres JI et m des Angoysses, cf.
aussi M.J.
Baker,
« Franc e's First Sentimental Novel and Novels of Chivalry »,
B.H.R., XXXVI, 1974, pp.
33-45.
Sur la traduc1ion des quatre premiers livres de l'É né id e, cf.
Christine Scollen-Jimack, « H.
de Crenne, Octovien de Saint
Gelais and Virgil », dans Studi francesi.
1981.
M.-M.
FONTAINE.
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