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Corrigé du commentaire de l’incipit d’Aurélien (chapitre 1)

Publié le 24/02/2024

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« Corrigé du commentaire de l’incipit d’Aurélien (chapitre 1) Objet d’étude : le personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours Poète et romancier, marqué par son expérience de la guerre de 14 puis par son adhésion à la Résistance, Aragon a rompu en 1934 avec le pur surréalisme de ses débuts pour se consacrer, avec le « Cycle du monde réel », a une vaste peinture de la France bourgeoise de 1890 à 1840.

Le titre de cette somme romanesque est révélateur de la volonté d’Aragon de se démarquer du surréalisme, mouvement selon lui coupable de ne pas être suffisamment engagé, pour se tourner vers la peinture du monde réel.

Aurélien, écrit pendant la deuxième guerre mondiale, est ainsi le quatrième ouvrage de ce cycle romanesque.

Couvrant les années de l’entre-deux-guerres, il met en scène Aurélien Leurtillois, un ancien combattant de la classe 11 qui a achevé la guerre dans l’armée d’Orient.

Ce dernier, qui ne s’est pas remis de la guerre, mène une vie oisive, entre sorties et liaisons sans lendemain. L’extrait que nous commenterons correspond à l’incipit de ce roman.

Il évoque, après coup, la rencontre d’Aurélien et de Bérénice, une jeune bourgeoise entière dans son amour avec laquelle le personnage éponyme vivra une passion amoureuse contrariée.

Nous nous demanderons en quoi ce début de roman peut s’avérer surprenant / ce qui fait l’originalité de ce début de roman. Après avoir montré le caractère déroutant de cette rencontre amoureuse, qui met à distance les codes de ce véritable topos romanesque, nous verrons en quoi cet incipit, en cela représentatif du roman moderne, peut apparaître comme un monologue intérieur d’un jeune homme hanté par son passé.

Enfin, nous examinerons la poésie particulière que mettent en place les premières lignes de ce roman, une poésie lyrique et moderne, encore marquée par l’écriture surréaliste. La scène de première rencontre est devenue avec le temps un véritable topos de la littérature romanesque et un passage obligé de tout roman centré sur l’analyse des sentiments.

Elle possède des codes (un cadre public, un échange de regards, un échange verbal, la mise en place d’obstacles) et un aspect programmatique que l’on retrouve de romans en romans depuis l’Antiquité.

A cet égard, l’incipit d’Aurélien s’avère tout à fait surprenant.

En effet, le narrateur ne raconte même pas directement la rencontre d’Aurélien et Bérénice, qui se trouve placée dans l’avant-texte, et se contente d’en montrer les effets sur le personnage.

Ainsi, nous verrons dans ce premier temps de notre commentaire, comment cette scène, qui se place dans un cadre indéterminé et déroutant, met en place un portrait dépréciatif de Bérénice.

De manière surprenante, cette première rencontre ressemble en effet davantage à une scène de rupture. Un incipit a entre autres pour fonction d’informer le lecteur sur le cadre dans lequel l’intrigue se déroulera.

Or, le début d’Aurélien met au contraire en place un cadre spatiotemporel indéterminé.

Ainsi, le narrateur ne fait allusion qu’une fois à la première guerre mondiale : « un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées » ligne 11.

Mais le reste du texte semble par la suite mêler les époques et brouiller les temporalités : « Césarée, c’est du côté d’Antioche, de Beyrouth.

Territoire sous mandat » (ligne 18).

Cette phrase mêle de manière assez emblématique la géographie antique (Césarée), le Liban moderne (Beyrouth), la Turquie d’Alexandre le Grand et la géopolitique moderne du Moyen-Orient (territoire sousmandat).

En plus de se placer hors du temps, cet incipit se place également hors de l’espace. En effet, nous ne savons rien du décor dans lequel Aurélien et Bérénice se sont rencontrés. Les seuls lieux évoqués sont des lieux légendaires, lointains dans le temps comme dans l’espace : « Rome » (lignes 24), et surtout « Césarée » (lignes 14, 18, 19, 20, 26).

Loin d’évoquer la Césarée contemporaine, qui se situe au nord d’Israël, et dans laquelle Aurélien aurait pu passer, le narrateur finit même par décrire un décor purement légendaire, imaginaire : « Ça devait être une ville aux voies larges… » (lignes 27-31).

La tournure « devait être » est un terme modalisateur qui marque un doute : ce début de roman s’appuie donc sur un cadre incertain, qui mêle le réel et l’imaginaire.

De manière assez déroutante pour le lecteur, le décor mis en place dans cet incipit s’avère ainsi un pur décor mental, un paysage intérieur, qui nous éloigne de la rencontre des deux personnages. Mais ce qui s’avère également surprenant pour le lecteur, qui s’attend au récit des origines d’une passion amoureuse, c’est l’évocation de Bérénice, qui est expédiée en quelques lignes au début de l’extrait.

La première phrase du roman, par son côté tranchant et définitif, n’est à cet égard pas dénuée d’humour : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide ».

L’adverbe « franchement » est en effet un terme modalisateur qui souligne le caractère expéditif du jugement d’Aurélien, son absence d’hésitation.

Il contraste nettement avec le reste de l’extrait, qui se caractérise au contraire par ses doutes (« Plutôt petite, pâle, je crois » ligne 8), ses hésitations, son incertitude.

Ainsi, l’évocation de Bérénice s’avère totalement négative et dépréciative : « un étoffe qu’il n’aurait pas choisie » (ligne 2), « ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus » (ligne 5).

Par sa manière d’insinuer que Bérénice ne prend pas soin d’elle et a mauvais goût, Aurélien, « héros » éponyme de ce roman, fait même preuve d’une certaine goujaterie : « sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût » (ligne 4), « les cheveux coupés, ça demande des soins constants » (ligne 5).

Bérénice, de manière paradoxale, n’intéresse pas Aurélien.

Le narrateur, qui épouse le point de vue de son personnage, note que ce dernier ne l’a même pas regardée : « Aurélien n’aurait pas su dire si elle était blonde ou brune.

Il l’avait mal regardée » (ligne 6).

A l’issue de cet incipit, la description de Bérénice est elle-même mise en doute, incertaine. Enfin, il peut sembler étonnant que cette première rencontre semble s’ancrer sur l’idée de rupture.

Ainsi, Bérénice suscite chez Aurélien des sentiments peu fréquents lors d’une première rencontre, des sentiments qui semblent davantage liés à une longue relation qu’à une brève rencontre : « Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation » (ligne 7).

L’ennui, l’irritation, sont des sentiments liés à l’usure du temps, à l’usure du couple, et sont davantage des symptômes qui précèdent une rupture que des signes qui inaugurent une histoire d’amour.

En outre, cette idée de rupture semble être omniprésente dans le texte, et notamment à travers les références répétées à Bérénice, la tragédie de Racine, « cette romance, cette scie » (ligne 17) : la citation « Je demeurai longtemps errant dans Césarée », qui structure l’extrait, revient ainsi dans le texte de manière lancinante, comme une incantation.

Cette pièce raconte en effet la rupture de Titus, devenu empereur, et de Bérénice, reine de Judée, « Car Rome hait tous les rois, et Bérénice est reine ».

Mais cette rupture est double puisqu’un autre personnage, Antiochus, secrètement amoureux de Bérénice, sera également malheureux : « une espèce de grand bougre ravagé, mélancolique, flemmard » (ligne 22), dont Aurélien a oublié le nom mais dans lequel il semble confusément se reconnaître.

Or, ce personnage se retrouve errant précisément à cause d’un chagrin d’amour, parce que Bérénice l’a quitté pour rejoindre son rival et ami, à Rome.

Par ses rythmes heurtés, ses phrases nominales, par les thèmes qu’il développe, il se dégage donc de cet incipit une tristesse sèche, qui contraste nettement avec ce que le lecteur attend d’une première rencontre. La première rencontre de Bérénice et d’Aurélien occupe ainsi une place secondaire dans ce début de roman assez déroutant.

L’ensemble de l’extrait, qui adopte un point de vue interne, est ainsi davantage centré sur les pensées du personnage, sur ces doutes, ses ruminations que sur la narration d’actions, d’événements.

Dans le deuxième temps de cette étude, nous verrons donc comment le récit se trouve contaminé par le monologue intérieur du personnage et finit par dresser le portrait d’un homme « de trente ans qui n’a plus le cœur à rien » (ligne 29).

Nous verrons enfin comment cet extrait se trouve animé de sentiments et d’émotions parfois contradictoires, souvent complexes. Le narrateur d’Aurélien est extérieur à l’histoire mais il épouse totalement et de manière univoque le point de vue de son personnage.

Ainsi, nous pouvons relever des verbes de perception (« Il l’avait mal regardée » ligne 6), des marques de sentiments (« Elle lui déplut enfin.

Il n’aima pas comment elle était habillée » lignes 1-2).

L’ensemble du passage peut à ce titre apparaître comme le monologue intérieur du personnage, une technique propre aux romans du XXème siècle et qui fait sans conteste l’originalité de cet incipit.

En effet, le récit, au lieu de raconter une histoire, se contente de suivre le cours des pensées et de.... »

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