Correspondances, Les Fleurs du Mal, Baudelaire
Publié le 16/09/2006
Extrait du document
La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Ce poème se présente comme une explication et une illustration de son titre. Baudelaire y évoque une vision du monde où tout se « correspond « : ce monde et un arrière-monde invisible, les différentes sensations entre elles, ce qui est perçu et ce qui peuple notre imaginaire. Ce multiple jeu de correspondances vient de ce que des éléments en apparence distincts renvoient à une unité originelle. Après avoir expliqué d'une manière quand même un peu allusive dans les deux quatrains, Baudelaire illustre son propos dans les tercets qui s'achèvent par une sorte d'envolée vers l'infini.
Dans les lignes qui suivent, nous explicitons cette distinction entre les différentes formes de correspondances. Nous n'oublierons pas, simultanément, d'insister sur les liens qui existent entre elles, puisqu'elles découlent d'une unité profonde. Comme souvent dans l'explication de texte, il ne faut distinguer les éléments que pour montrer comment ils sont associés.
«
profonde.
Comme souvent dans l'explication de texte, il ne faut distinguer les éléments que pour montrer commentils sont associés.
LES DIFFÉRENTS TYPES DE CORRESPONDANCES
Dans ce sonnet s'exprime une vision du monde que l'idée de correspondance permet d'articuler.
On peut distinguertrois types de correspondances :
Correspondance entre le monde que nous percevons et un arrière-monde.
L'univers est structuré comme un symbole, c'est-à-dire qu'il comporte deux éléments entre lesquels il existe desanalogies.
Seul l'aspect concret nous est perceptible, mais nous avons parfois l'obscure prescience de l'invisiblecaché sous le visible.
On a parlé de correspondances « verticales » pour ce type de correspondances : « vertical » parce quecorrespondant au rapport entre le Ciel et la Terre.
Correspondance entre des sensations issues des diffé rents organes des sens.
Il s'agit donc des correspondances entre sons, odeurs, couleurs, sensations tactiles ou gustatives.
Le motsynesthésie est parfois employé pour parler de ce type de correspondances.
On a parlé dans ce cas de correspondances « horizontales » : horizontales parce que mises en oeuvre seulementdans le monde perçu par nos sens.
Ce type de correspondances se rattache étroitement au précédent.
En effet, selon Baudelaire, nous percevons plusou moins confusément des rapports entre des sensations classées dans des catégories différentes parce que, dansl'arrière-monde qui nous échappe, elles se résorbent dans une unité.
Elles renvoient à une réalité unique et sontcomme la preuve d'une structure double de l'univers.
Correspondance entre des sensations et des notions « morales ».
Nous sommes toujours dans le domaine des correspondances horizontales.
Il existe des correspondances entre desimples sensations et des notions « morales » comme la corruption ou le triomphe.
Ainsi que dans le cas précédent,ces correspondances horizontales sont une conséquence de la
correspondance verticale entre le monde perçu et le monde caché.
Nous étudierons plus loin le rôle du poète dans le déchiffrement de ce jeu d'analogies.
LA STRUCTURE
La tentation serait de se contenter d'un simple saucissonnage du texte correspondant aux trois types decorrespondances que nous venons de distinguer.
Même si elle nous horripile, cette façon de procéderconvient parfois.
Ce n'est pas le cas ici.
Nous constatons que, justement à cause des liens qui existententre ces différents types de correspondances, le passage de l'un à l'autre se fait insensiblement (le faitque cette distinction ne se juxtapose pas au découpage en strophes est certainement voulu, justementpour montrer la corrélation entre ces différents types de correspondances).
La correspondance entre le monde visible et le monde invisible concerne la première strophe, mais aussi,partiellement, la seconde où ce thème se mêle à celui des synesthésies.
Le passage des correspondances du second type à celles de la troisième catégorie se produit à l'intérieurdu premier tercet avec l'arrivée du vers 11 et se prolonge dans le second tercet.
Dans cette dernière strophe, toujours insensiblement (seulement une virgule entre le premier tercet et lesecond), nous revenons au thème du début.
Les expressions «ayant l'expansion des choses infinies» et «Qui chantent les transports de l'esprit et des sens» se rapportent, en effet, à cet état d'extase où le mystique entre en communication directe avec le divin.
Nous revenons donc à l'idée d'un arrière-monde, en général
non perçu, mais dont l'homme peut avoir le sentiment dans certaines circonstances.
Nous sommes donc en présence d'une composition en cercle.
Au point de départ, une affirmation surla structure double du monde.
De cette affirmation, le poème passe à l'observation de faits quiconduisent progressivement à revenir à l'idée qu'il existe un arrière-monde : l'univers est structurécomme un symbole.
Tout, comme les vers mêmes de ce poème, nous ramène à l'unité.
Parti del'évocation du monde suprasensible, il nous ramène sur terre pour revenir dans les dernières lignes au.
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