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Correspondances de Charles Baudelaire

Publié le 14/09/2006

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La Nature est un temple où de vivants piliers  Laissent parfois sortir de confuses paroles;  L'homme y passe à travers des forêts de symboles  Qui l'observent avec des regards familiers.    Comme de longs échos qui de loin se confondent  Dans une ténébreuse et profonde unité,  Vaste comme la nuit et comme la clarté,  Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.    II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,  Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,  - Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,    Ayant l'expansion des choses infinies,  Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,  Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Les éditeurs et les commentateurs des Fleurs du Mal sont partagés quant à la date de composition de ce sonnet. Les uns le rattachent à la période 1845-1846, les autres, comme Antoine Adam, estiment qu'il a été écrit en 1855. Or, comme le montre précisément Antoine Adam et comme le rappelle Claude Pichois dans sa dernière édition de La Pléiade, la lecture de ce poème dépend largement du moment où on le situe dans l'évolution de la vie et de la pensée baudelairienne.  Si on opte pour les années 45-46, il faudra tenir compte de l'influence de Hoffmann, de Balzac, d'Esquiros et de l'abbé Constant.  Si au contraire on retient l'année 1855, il faudra interpréter « Correspondances « à la lumière des articles que Baudelaire écrit à cette époque sur Victor Hugo, sur Gautier, sur Poe, ainsi que de la lettre à Toussenel dans laquelle, à propos de Fourier, il exprime sa foi dans le principe de l'analogie universelle.

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« de la première interprétation.

L'unique indice matériel irréfutable de ces sources est, à vrai dire, une citation desKreisleiriana d'Hoffmann que l'on trouve dans le Salon de 1846 et dont certains passages seront repris textuellementdans le sonnet : «Ce n'est pas seulement en rêve, et dans le léger délire qui précède le sommeil, c'est encore éveillé, lorsquej'entends de la musique, que je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons et lesparfums.

Il me semble que toutes ces choses ont été engendrées par un même rayon de lumière, et qu'elles doiventse réunir dans un merveilleux concert.

L'odeur des soucis bruns et rouges produit surtout un effet magique sur mapersonne.

Elle me fait tomber dans une profonde rêverie, et j'entends alors comme dans le lointain les sons graveset profonds du hautbois.

» En fait, ces idées sur les associations entre les sens n'offrent rien de nouveau et sont dans l'air depuis longtemps.Dans la même période, elles apparaissent aussi bien chez Balzac que chez Alphonse Esquiros, un écrivain queBaudelaire mentionne parmi ses « secondes liaisons littéraires », que chez l'abbé Constant, auteur d'un poème quiporte, à l'article près, le même titre que celui de Baudelaire : « Les Correspondances ».Ce poème, publié en 1845, offre d'évidentes analogies avec le sonnet de Baudelaire, notamment dans cette strophe: « Formé de visibles paroles,Ce monde est le songe de Dieu;Son verbe en choisit les symboles,L'esprit les remplit de son feu.

» Chez Esquiros, auteur d'un roman intitulé Le Magicien, Baudelaire a sans doute trouvé l'idée que « la nature est untemple ».

Esquiros aimait, en effet, comparer la forêt à une cathédrale.

Cependant cette association, qui deviendraplus tard un cliché de la peinture et de la poésie symboliste, s'inscrit à cette date dans le prolongement d'uncourant panthéiste qui a fortement marqué la fin du XVIII' siècle et qui pour Baudelaire se concrétiseraessentiellement dans le nom du philosophe suédois Swedenborg.Or, la pensée de celui-ci a fortement influencé Balzac : celui-ci l'avait vulgarisée sous une forme romanesque dansSeraphita et il est fort possible que Baudelaire, assez tôt, se soit familia-risé avec cette conception mystique etcosmique des « correspondances » à travers l'oeuvre du grand romancier.Cette référence, centrale dans la période ultérieure, celle de l'élaboration philosophique et personnelle des idéesempruntées, suffit à mettre en garde contre une opposition trop schématique et trop didactique des deux phasesentre lesquelles les commentateurs hésitent pour fixer leur interprétation des « correspondances » baudelairiennes.Il apparaît, en effet, qu'à un premier temps, dominé par l'acquisition des sources, a succédé dans l'évolution dupoète, la formation d'une vision du monde dans laquelle ces diverses sources s'intègrent et se transforment dans unsystème original et nouveau, appelé à fonder notre modernité.Cela ne signifie pas pour autant que Baudelaire ait cessé de lire les autres auteurs et de s'imprégner de leurssuggestions et de leurs plus audacieuses rêveries.Ainsi, Claude Pichois cite, à juste titre, un texte d'un poète auquel Baudelaire rendra à plusieurs reprises unhommage émouvant : Gérard de Nerval.

Le 15 février 1855, quelques jours après la mort mystérieuse de Nerval,trouvé pendu dans la rue de la Vieille Lanterne, la Revue de Paris publiait la deuxième partie d'Aurélia où Baudelairepouvait lire, entre autres, ces lignes :« Comment me disais' -je, ai-je pu exister si longtemps hors de la nature et sans m'identifier à elle ? Tout vit, toutagit, tout se correspond; les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacles lachaîne infinie des choses créées; c'est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés secommuniquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles.

Captif en ce moment sur la terre, je m'entretiensavec le choeur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs.

»Plus que d'influence, il faut parler d'une rencontre propre aux esprits jumeaux, à propos de la convergence que l'onrelève entre ce texte et ceux que Baudelaire écrira dans la même période sur une analogie universelle appréhendéecomme un principe constructeur qui unifie l'homme et le monde, l'être intérieur et l'organisation de la vie cosmique. La lettre à Toussenel Baudelaire a expliqué dans sa lettre à Toussenel la différence qu'il convient d'introduire entre un emprunt engendrantune proximité d'ordre purement intellectuel, établissant un rapport de contiguïté, et une appropriation de la penséed'autrui relevant de la trouvaille et de la révélation, qui traduit des affinités congéniales et accomplit une véritableidentification entre des êtres appartenant à la même famille spirituelle.Dans cette lettre, par laquelle, le 21 janvier 1856, il accuse réception d'un livre de Toussenel sur les oiseaux, intituléL'Esprit des bêtes.

Le Monde des animaux.

Ornithologie passionnelle, Baudelaire, en fait, dialogue avec lui-même, carles remarques critiques sur les idées de Fourier qu'il adresse à Toussenel, disciple fidèle du penseur utopiste,éclairent sa propre évolution et mesurent le chemin parcouru depuis son enthousiasme révolutionnaire de 1848jusqu'à son adhésion à la philosophie réactionnaire de Joseph de Maistre.. »

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