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Corpus et analyse linéaire : « Heureux ceux qui sont morts… » de Charles Péguy, l'extrait de « Chant de l'honneur » d'Apollinaire et « De profundis » de Jean-Marc Bernard

Publié le 07/06/2012

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2. Poésie : expression d'un mal-être individuel  C'est ainsi que le XIXe siècle a enfanté des poètes en proie à une angoisse profonde et indicible. À une époque où, avec le romantisme, le Moi devient objet d'étude quasi exclusif, le poète est porté à chercher les sources de son inspiration dans l'examen de ses tourments intérieurs, dont il rend compte sous la forme de paysages parfois cauchemardesques (Baudelaire, « Causerie «, in Les Fleurs du mal). Là encore, le genre poétique paraît le mieux placé pour faire ressentir l'ineffable mal-être, dont Musset cherche à comprendre les causes dans « Nuit de Mai « : « Qu'ai-je donc en moi qui s'agite ?/ Pourquoi mon cœur bat-il si vite ? « L'expression de la souffrance prend la forme d'un questionnement existentiel ; il ne s'agit plus de réfléchir sur la place de l'homme dans la vie, mais sur la raison d'être de sa propre existence au monde. Dès lors, l'écriture poétique devient un reflet de la tentation de la mort, tentation présente ou passée (Rimbaud, Une saison en enfer : « Je disais adieu au monde… «). L'élégie prend alors la forme d'une expérience paradoxale et féconde : dire par la poésie son désir de mourir, c'est dans le temps même de son énonciation, dénier ce désir (Théophile Gautier, « Le Pin des Landes « : « Il faut qu'il [le poète] ait au cœur une entaille profonde/Pour épancher ses vers, divines larmes d'or ! «). Cette « entaille « n'est cependant pas uniquement causée par un malheur individuel : le poète, « bouche d'ombre «, peut exprimer et dénoncer les blessures de tout un peuple.  3. Poésie engagée : expression de la souffrance d'un peuple   

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« même strophe, « les grandes batailles » et « les grandes funérailles » embrassent le deuxième quatrain.

Pour autant,l'itération ne constitue pas le principe exclusif de cette prière ; le chant échappe à la monotonie grâce à une reprisede vers au cœur même du poème : l'invocation « Que Dieu mette avec eux dans la juste balance », présente dans letroisième vers de la quatrième strophe, se retrouve dans le quatrain suivant, légèrement modifiée : la « balance »divine est remplacée par son synonyme, « plateau ».

Cet effet de déplacement et de décalage presqueimperceptible corrige la pulsation lancinante de l'anaphore, apportant une impression de fluidité et de mobilité.

Lavolonté d'apaisement, conférée par le rythme litanique accompagné d'une impression de léger mouvement, traduitl'idée de repos éternel et de vie.3.

Une oraison funèbreLe poème de Charles Péguy renvoie en effet à l'oraison funèbre – prière pour le repos des morts et commémorationde leur vie passée.

À la différence du sermon des « Béatitudes », le poète n'énumère pas tous ceux qui serontdignes d'une récompense divine : il restreint son discours à « ceux qui sont morts ».

Le poème est même structurépar la célébration de ces défunts, au moyen de la formule votive « Heureux ceux qui sont morts », reprise sept foisdans les trois premières strophes.

Le poète implore la clémence divine pour ces hommes morts « dans les grandesbatailles », les projetant à l'instant du Jugement dernier, épisode fondateur de la pensée chrétienne, à traversl'image de Dieu qui, pourvu de la « juste balance », pèsera leurs actes.

Le poète se fait leur avocat et réclame leurrepos.

Cette requête est clairement soulignée au vers 14 : « Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence.

» Le jeud'écho sonore – « enseve-lis »/ « sil-ence » – souligne l'idée de douceur liée à l'inhumation.

Péguy enracine doncson discours dans les formes multiples de la prière chrétienne, mais cette supplication est-elle réellement adressée àDieu ? Celui-ci, en effet, n'est jamais évoqué qu'à la troisième personne, et le pardon qu'on lui réclame n'est sommetoute que rhétorique : le sort des combattants, déjà réglé, n'a nul besoin de la prière d'un poète.

C'est lacompréhension des hommes encore vivants que réclame le locuteur ; ce sont les pacifistes que le poète cherche àcirconvenir, en conclusion d'un plaidoyer habilement argumenté.II.

… Au service d'une glorification des « hommes de guerre »1.

La terre, élément dérisoireLe discours du poète se fonde notamment sur une constante référence à la terre, présentée dès le premier verscomme une cause de la guerre : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle.

» Le terme ne désigne pas iciun territoire précis ; il est vaguement délimité, comme l'indique la périphrase « quatre coins de terre », qui rappellel'expression « aux quatre coins de la terre », traduisant du même coup l'idée d'un lieu sans nationalité particulière.Le poète insiste également sur le caractère dérisoire de ce pour quoi se sont battus les hommes.

Ainsi, le territoirehumain est désigné par des termes renvoyant à des espaces arides et sauvages : c'est une « vigne », et surtout un« coteau », un « ravin sauvage et solitaire ».

Le poète insiste sur la vision d'une terre « humble » – expressionredondante, puisque le mot « humble » vient du latin humus, qui signifie « terre ».

Ce terme, en effet, estsystématiquement associé à des substituts dévalorisants : « boue » ; « sable ».

L'allitération en [r] présente dans lapériphrase « terreau d'ordure et de poussière » suggère l'idée d'un matériau dérisoire, indigne, insignifiant.

Cetteimpression est renforcée par les termes exprimant une petite quantité : « quelques grammes », « un peu ».

Cettedernière expression rythme l'avant-dernier paragraphe : la terre des hommes, perçue non plus comme un espaceimmense, mais comme une faible quantité, fonde dans le même temps la puissance lyrique du poème.

C'est ainsi quela terre misérable est également terre célébrée.

Cette visée laudative est notamment sensible aux vers 9 et 10 ; les« cités charnelles », c'est-à-dire les territoires constitutifs de l'humanité, sont « le corps de la cité de Dieu ».

Dèslors, le motif de la guerre est louable : il est juste d'honorer les hommes morts pour « une juste guerre ».2.

Une guerre juste et épiqueÀ travers son oraison funèbre, le poète met en place un véritable plaidoyer en faveur de la guerre.

Celle-ci estcomplètement idéalisée, déréalisée, abstraite, évoquée seulement par ses causes – la volonté de conserver sa terre– et ses conséquences – « ceux qui sont morts ».

Entre ces deux extrémités, les combats sont évoqués au moyende périphrases qui leur confèrent une dimension épique : « grandes batailles », « dernier haut lieu ».

Cette dimensionest accentuée par le jeu d'oppositions entre la petitesse du bien défendu et la grandeur des batailles.

Péguyrenouvelle ainsi l'épopée antique ; s'il y fait allusion à travers l'évocation des « cités » qui rappellent celles de Troieou de Thèbes, il lui donne une mesure plus humblement humaine.

Ainsi, la patrie est désignée par deux métonymiessuggérant ce pour quoi les hommes se battent réellement : « leur âtre et leur feu » et « les maisons paternelles »renvoient à l'idée de patrimoine et de tradition ; se battre pour une terre, c'est donc assurer la transmission d'unbien et, au-delà, d'une identité.

Dès lors, les hommes honorés par le poète sont, à l'image de la terre pour laquelleils ont donné leur vie, à la fois humbles et grands.3.

Humilité et héroïsme des hommesCes deux vertus sont indissociables dans le poème : c'est même l'humilité de ces hommes anonymes qui leur confèreune grandeur héroïque.

Ainsi la terre est-elle, dès le premier vers, liée à la chair des combattants : « terre charnelle».

L'adjectif est d'ailleurs repris dans la troisième strophe : « cité charnelle ».

Cette idée d'une consubstantialité del'homme et de sa terre est reprise explicitement dans la dernière strophe, dans une formule explicative, qui vientjustifier la demande de clémence divine : « C'est qu'ils en étaient faits.

» Le poète insiste également sur l'amourabsolu de ces hommes pour leur terre, à travers la reprise de l'expression « tant aimé ».

On remarque d'ailleurs unsystème d'oppositions, fondateur du poème, entre la puissance amoureuse soulignée par l'adverbe intensif « tant »et la faiblesse de l'objet aimé : « quelques grammes » d'une « terre périssable ».

Dès lors, les combattants, dansl'instant où ils se retrouvent unis dans la mort avec la terre originelle, prennent une dimension héroïque.

Le poètethéâtralise l'instant de leur mort, les figeant dans une posture de gisant : « Couchés dessus le sol à la face de Dieu» ; la beauté de la pose est ici soulignée par la douceur harmonieuse de l'allitération en [s].

La mort au combat estainsi déjà perçue comme une cérémonie, « une mort solennelle » ; les « grandes funérailles » ont lieu au momentmême de la mort du combattant.

Aussi le poète réclame-t-il le repos pour eux, à travers une frappante antithèse : «Paix aux hommes de guerre.

» Par la mort, ils deviennent de « grands vainqueurs », et la terre qu'ils ont défenduedevient, par un subreptice glissement de sens, la terre qui va les recouvrir et qui doit leur assurer « un dernier. »

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